kalinka-machja CERCLE CULTUREL ET HISTORIQUE CORSE-RUSSIE-UKRAINE

Journal d’un travailleur clandestin russe en Corse .... en 2013.


Journal d’un travailleur clandestin russe en Corse .... en 2013.
 

Nous ne résistons pas au plaisir d'offrir à votre lecture critique ou ..... amusée,  cet article d'une sorte de Candide russe paru dans " le Courrier de Russie".
J.M


Le Courrier  de  Russie

Pour accéder directement à l'article du "Courrier de Russie" , taper via moteur de recherche : 
http://www.lecourrierderussie.com/2013/11/les-russes-en-corse-journal-d-un-travailleur-clandestin/
ou cliquer  plus haut sur  Le courrier de Russie.


Les Russes en Corse : journal d’un travailleur clandestin
Traduit par : Inna DOULKINA  publié Mardi 26 novembre 2013

Le jeune Russe Alexandre Sivov a passé l’été dernier dans les vignes corses. À la différence de nombre de ses compatriotes, il ne s’est pas prélassé au soleil mais a gagné sa vie, en tant qu’ouvrier saisonnier. Et ce, avec un visa périmé et sans permis de travail. Il a fait part de son expérience dans des notes rédigées pour la revue en ligne Svobodnaïa PressaLe Courrier de Russie les traduit pour vous.


Je suis un travailleur clandestin, le seul Russe dans une équipe d’Arabes  employés à la récolte de fruits et légumes en Corse. Qu’est-ce que je fais ici ?
Si les employeurs de France métropolitaine qui embauchent des travailleurs clandestins écopent de fortes amendes, ce n’est pas toujours le cas en Corse. J’ai entendu dire que le maire d’une ville de l’île, dans les années 2000, a même recommandé aux gendarmes de ne pas toucher aux personnes « en situation irrégulière ». « L’entretien de notre ville repose entièrement sur eux, aurait-il proclamé. Si on les renvoie, cela aura des répercussions extrêmement négatives pour nos touristes. »
Avec l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, le contrôle policier s’est renforcé, mais sous François Hollande, c’est de nouveau le dégel. En France, les effectifs de police et de gendarmerie ne sont pas très importants, les prisons sont toutes surpeuplées et l’État n’a pas les moyens de les entretenir. Le pays comprend une quantité de lois innombrable. Certaines datent encore de l’époque de Napoléon, et il est impossible de toutes les respecter. Ainsi la police décide-t-elle par elle-même des infractions qu’elle réprime ou ignore. Pour se décider, elle s’oriente sur l’air du temps politique et sur des ordres officieux venus d’en-haut. Apparemment, aujourd’hui, en France, les policiers sont censés se concentrer sur la lutte contre les trafiquants de drogues et les assassins. Et les immigrés peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

Propriétaires travailleurs et bienveillants

90 % des immigrés  illégaux arrivent en France avec un visa Schengen et non par divers moyens clandestins, comme le fait croire, à tort, la télévision. Une fois sur place, ils se contentent de disparaître dans la nature. Ce que j’ai fait, moi aussi.
Le moyen le plus facile de trouver du travail en France est de se faire embaucher comme ouvrier saisonnier. Je l’ai compris dès 1999, en testant la profession pour la première fois. Douze ans plus tard, j’ai décidé de renouveler l’expérience.
Comment travaille-t-on en France ? Le secteur agricole du pays a beaucoup de défauts mais aussi deux avantages indéniables. Premièrement, les propriétaires, avec femmes et enfants, participent au même titre que les ouvriers à tous les travaux des champs. Ainsi, j’ai passé mon entretien d’embauche avec un futur employeur perché sur un arbre, en train de cueillir des fruits.
Deuxièmement, les propriétaires sont très bienveillants à l’égard de leurs ouvriers, ce qui m’a réellement enchanté. Vous en avez qui invitent régulièrement les ouvriers à leur table, d’autres qui leur proposent de se faire la cuisine eux-mêmes, en fournissant gazinière et vaisselle. Ils les emmènent en voiture au supermarché, leur installent un poste de télévision et un magnétoscope. Tous les souhaits des ouvriers sont satisfaits très rapidement. Ainsi, on m’a livré en deux heures une crème solaire.

Ouvrier saisonnier : un métier sur piston

En France, il y a le SMIC. Alors que la moitié de la population apte à travailler est au chômage, les entreprises n’ont pas le droit de verser de salaires qui seraient inférieurs au SMIC. Elles n’ont d’ailleurs pas besoin de les payer plus : tous les gens qui travaillent de leurs mains, en France – des ouvriers du bâtiment aux saisonniers en passant par les vendeurs – touchent le SMIC. Seul un cercle très restreint de spécialistes peut compter sur des salaires plus élevés.
En France, le travail d’ouvrier saisonnier est considéré comme un vrai métier et non comme une balade en plein air. Il y a même des ouvriers saisonniers professionnels. C’est aussi un travail considéré comme dangereux : si le propriétaire a bien voulu fermer les yeux sur l’absence de mon permis de travail en m’embauchant, il a en revanche fortement insisté pour que je me procure une assurance médicale. Il a bien fait, d’ailleurs – qui aurait payé le médecin si je m’étais fait couper les doigts, hein ?..
Le travail d’ouvrier saisonnier en France est enfin très demandé : les ouvriers se refilent les adresses des propriétaires de père en fils, entre amis. Un novice sans contact, piston ou expérience sera bien embarrassé. Dans la plupart des cas, les propriétaires lui diront toujours que tout est complet. C’est ce que, personnellement, je me suis entendu répondre plus d’une fois – mais il en aurait fallu plus pour m’arrêter.

La sensation du loup affamé

Un immigré qui arrive en France doit retenir une chose : pour trouver du travail, il ne doit penser qu’à cela. Il ne doit rencontrer que des gens qui en cherchent eux aussi, ne doit parler avec eux que de travail. Et il doit en chercher, évidemment, jour et nuit. Ne jamais refuser un travail occasionnel, ne serait-ce que pour quelques heures, quelque sale ou difficile qu’il soit. Il doit oublier les distractions, la bière, le café, les femmes. Il doit retrouver la sensation du loup affamé qui court en plein hiver, dans la toundra, en quête de sa proie. Et qui sait que, s’il ne la trouve pas d’ici quelques heures, il mourra. C’est seulement en sentant et en agissant ainsi qu’un immigré peut gagner sa place dans la lutte concurrentielle avec ses semblables.
Mes ancêtres travaillaient comme ouvriers dans le sud de l’Empire russe. Puis la roue de l’Histoire a tourné, et leurs enfants ont pu devenir ingénieurs et cadres dirigeants. Et la voilà qui tourne de nouveau et que je fais renaître, moi, les traditions d’une vie ouvrière. Rien de nouveau sous le Soleil, après tout.
Pour trouver du travail en France, j’ai trois avantages majeurs : je parle très bien français, je suis en excellente forme et, de par mon expérience d’entrepreneur, je suis quelqu’un d’habile et qui ne manque pas d’initiative.
Si vous vouliez suivre mon exemple et tenter vous aussi votre chance en France, munissez-vous d’un sac à dos, d’une tente, d’un sac de couchage et de vêtements de travail. En cherchant du travail, petit-déjeunez d’une baguette et d’eau du robinet. Au déjeuner, ce sera une brioche, une boîte de sardines marocaines, un litre de lait, une tablette de chocolat et une orange. Au dîner, prenez des biscuits pas chers que vous mangerez en marchant. Et n’oubliez pas de vous procurer une boîte de vitamines.
Mais quid des cantines gratuites pour les personnes défavorisées, me direz-vous. Ce à quoi je vous répondrai : « Vous êtes venu ici pour gagner de l’argent ou pour devenir un SDF européen ? ».

Aussi bien que les Marocains

Eh bien, au boulot. Je réussis à faire garder mon sac à dos (une chance remarquable) et je vais voir, léger, une trentaine de fermes des alentours. Je constate que la plupart des propriétés sont en effet complètes : parmi les ouvriers, je vois beaucoup d’Italiens et d’Espagnols. Mais il faut aussi reconnaître que les Européens, depuis un moment, ne s’éclatent plus au travail. L’Occident est en effet pourri. Il n’en reste que de la poussière, et on le constate aisément. Tout le système d’éducation européenne, à ce qu’il semble, ne fait que reproduire des fainéants, des chômeurs, des êtres rachitiques et des idiots.
J’ai vu dans une ferme un jeune Espagnol qui tentait de se faire embaucher via une amie interprète. Sourire de dégénéré, cheville tatouée et enrubannée, silhouette malingre. Le propriétaire demande si le jeune homme a déjà travaillé. Non. Et non, il n’a pas non plus ses papiers. « Mais qu’est-ce qui vous a pris d’aller travailler dans un pays étranger sans vos papiers ?!, s’exclame le propriétaire. Demandez qu’on vous les envoie par fax. » En entendant cette conversation, j’ai eu pitié du propriétaire.
Nouvelle ferme. Tout est complet. Je me renseigne tout de même sur les conditions de travail. Cinq jours ouvrables, 7h-12h, dimanche férié. Les jeunes Européens ne souhaitent pas travailler quand il fait chaud.
Tous les propriétaires français le savent : pour dénicher de véritables travailleurs, il faut embaucher des Arabes. Les Marocains sont les meilleurs. Les Tunisiens sont un peu moins bien. Les Algériens encore moins. Mais tout de même, ils sont tous beaucoup plus sérieux dans le travail que les Européens.
En discutant avec les propriétaires, je me montre très sûr de moi, comme un ouvrier qui sait son prix. Je n’ai pas le droit de travailler en France légalement et je cherche quelqu’un qui accepterait de m’embaucher au noir. C’est strictement interdit, et le propriétaire risque d’être puni. Mais j’ai un argument béton : « Monsieur, leur dis-je, bien qu’étant Européen, je travaille aussi bien qu’un Marocain. »
Je finis par trouver ce que je cherche : huit heures de travail par jour, pas de jour férié. Je vais travailler au noir dans des vignes et j’ai trois semaines de travail garanties. Évidemment, seuls les Marocains et les Algériens acceptent des conditions aussi
« dures ». Dans leur équipe de sept, je suis le seul Européen.
.
C’est ça, la solidarité africaine !

La plupart de mes collègues ont dépassé la trentaine. Ce sont des hommes robustes, en bonne santé. Il faut savoir que les Arabes travaillent toujours très vite. Et, comme les propriétaires ne nous surveillent pas, nous faisons de grandes pauses et remplissons quatre remorques par jour. Nous pourrions en faire six – mais à quoi bon, quand nous sommes payés à l’heure ? Entre eux, les ouvriers parlent arabe, avec moi, ils parlent français. Je constate qu’ils ne disent jamais monsieur au propriétaire, mais camarade. Nos relations au sein de l’équipe sont excellentes.
Certains d’entre nous vivent dans une arrière-cuisine, d’autres dans un petit pavillon de bois. Nous avons une gazinière. Après le travail, nous nous lavons dehors avec un tuyau. Nous préparons nos repas nous-mêmes. Le propriétaire nous fournit en viande. Pour les autres denrées, nous allons au supermarché, à trois kilomètres de la ferme.

Tous les ouvriers de mon équipe sont en séjour légal, sans pour autant être déclarés comme travailleurs. Ils se disent « musulmans modérés ». En d’autres mots, ils ne mangent pas de porc mais ne refusent pas un petit verre de rouge. Et non, ils n’ont pas de tapis de prière.
Le soir, autour d’un thé, les Arabes m’informent de ce qui se passe autour. Ils m’expliquent notamment que, de novembre à la fin de l’année, en Corse, on récolte des kiwis et, à partir de janvier, ce sont les clémentines. Ils me suggèrent d’aller tenter ma chance à Aleria, sur la côte orientale de l’île. C’est ça, la solidarité africaine – cette notion que j’ai découverte pour la première fois à Bruxelles, il y a quelques années, auprès de Faï, un Congolais francophone.
Cette solidarité concerne tous les immigrés, légaux et illégaux. Ainsi, si un immigré rencontre à Paris un groupe d’Arabes, il peut les approcher facilement et leur poser toutes sortes de questions : où se faire embaucher comme ouvrier saisonnier, pour quelle période et si le contrôle policier y est dur. Même si ces Arabes sont régularisés depuis longtemps, ont l’air très respectable et des métiers tout à fait nobles, ils sauront répondre à toutes ces questions. Alors que les Français, eux, ne savent rien. Bien que Russe, j’ai bénéficié moi aussi de la solidarité africaine. Plusieurs fois, les immigrés m’ont ramené en voiture, donné des conseils précieux, suggéré des travaux occasionnels. Un immigré, quelle que soit sa nationalité, reste à jamais ami, camarade et frère pour un autre immigré.

Chasse aux immigrés : version corse

Un vendredi, au moment où nous nous apprêtons à reprendre le travail après la pause déjeuner, le frère du propriétaire vient nous dire que les policiers se sont lancés dans une chasse aux immigrés. Il ordonne à certains d’entre nous de partir rapidement pour une ville voisine. Moi, je suis autorisé à rester. « S’ils te demandent ce que tu fais là, tu dis que tu es un touriste et que tu nous aides bénévolement », me recommande-t-il.
Comment les propriétaires sont-ils au courant des rafles ? Élémentaire : les fermiers sont tous très amis avec les policiers. Ils les nourrissent gratuitement dans leurs auberges et leur suggèrent de bons terrains à acheter pas cher pour leurs futures villas. Et si les fermiers font tout comme il faut, un beau jour, le policier assis en terrasse devant un bon cognac dit : « Mais quelle chaleur ! Et nos chefs, ces crétins, qui nous envoient tous demain chasser les immigrés ! ».
Immédiatement, tout le réseau des parents, amis et voisins corses s’agite dans toute la région – et les immigrés clandestins, comme d’un coup de baguette magique, disparaissent dans la nature.
Mais quid de leur rémunération, demandez-vous ? Ne vous inquiétez pas, ils seront tous payés. L’honnêteté des fermiers français est légendaire, on n’y trouve pas un escroc. Aucun propriétaire ne se risquera à arnaquer son ouvrier, sachant que l’année suivante, il ne trouverait aucun Arabe acceptant de travailler pour lui – et que son entreprise ferait faillite. Quant à moi, j’ai été payé 60 euros par jour, pour huit heures de travail journalier.

Les immigrés : un symptôme

En France, avec quelques précautions, un travailleur illégal peut vivre sans problème. Ainsi, dans un petit hôtel de Corse, on ne m’a même pas demandé mon passeport. Ils voulaient juste que je paie. Dans les petits hôtels parisiens pas chers, ils regardent le passeport, mais nul ne s’est jamais ému de mon visa périmé. « C’est l’affaire de la police, pas la nôtre » m’a-t-on répondu à la réception.
En revanche, pour ne pas être arrêté, le travailleur clandestin doit toujours payer ses tickets de transport – c’est souvent comme ça qu’on se fait prendre. Il faut aussi savoir que la police française a des effectifs restreints, n’est pas spécialement agressive et n’attrape les immigrés que lorsqu’ils commettent de véritables infractions. Sinon, elle a d’autres chats à fouetter.
Mais alors, quand un immigré clandestin qui a touché sa paie se retrouve à une table de restaurant en plein air et regarde un spectacle brésilien avec des filles qui dansent et des lumières qui clignotent, il se sent maître de sa vie. Surtout que passent, sur les trottoirs, des Français de souche qui voudraient bien, eux aussi, entrer dans ce restaurant – mais n’en ont pas les moyens.
Passent aussi les Arabes : ils ne boivent presque pas, sont en bonne santé, savent travailler et le veulent bien. Rien d’étonnant à ce que les Françaises les détaillent d’un œil souriant et curieux.
Aujourd’hui, la France vit des problèmes d’ordre social très sérieux. On voit de plus en plus de Français de souche errer à travers le pays en demandant l’aumône. Parfois, ils ne savent même pas à qui s’adresser pour demander de l’aide. Alors que sur les immigrés, légaux et illégaux, repose entièrement le secteur de l’économie réelle. Ils sont plus de 90 % parmi les ouvriers de construction des routes, par exemple. Plus un immigré est « sauvage », moins il comprend le français et la télévision française avec ses émissions glamour abêtissantes, plus sa vision du monde est réaliste, et grande son utilité à la France. La société française, tout comme la société européenne dans son ensemble, est malade. Les immigrés ne sont pas la cause de sa maladie, ils en sont un symptôme.