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L'AME RUSSE vue ... par un Français de Tunisie -


L'AME RUSSE vue ... par un Français de Tunisie -


Nous reproduisons ici un texte admirable écrit par monsieur Fernand PAU, Inspecteur honoraire de l'Education Nationale.
Ce texte fait référence aux Russes "blancs" qui trouvèrent refuge en Tunisie après la révolution de 1917 et la guerre civile 1917-21.
Il illustre, d'une certaine manière, l'ouvrage qui fait l'objet d'un commentaire dans la rubrique DOCUMENTATION  "Autour de l'immigration blanche", celui d'Anastasia Manstein-Cherinsky "LA DERNIERE ESCALE" : le siècle d'une exilée russe à Bizerte. Sud Editions. Tunis.

Pour situer le contexte dans lequel ces pages ont été écrites, nos lecteurs peuvent se reporter également, dans cette même rubrique "BIBLIOGRAPHIE", sous - rubrique "Autour de l'immigration blanche" à l'ouvrage consacré au thème de l'émigration russe en Tunisie par K.V. Makhroff, ouvrage ayant pour titre : LA COLONIE RUSSE EN TUNISIE . 1920 - 2000 .

Nous y mentionnons aussi l'article paru dans le numéro 46/3 des "CAHIERS DU MONDE RUSSE". (Cf.rubrique "LIENS" de notre site) sous la plume de Marina A. Panova :
История русской эмиграции «первой волны» в Тунисе.

A Kyril

Il me semble les avoir toujours connus... encore que je les aie découverts que bien plus tard... et que je ne sois pas bien sûr, à ce jour, de les avoir les avoir compris.
Au moins, je ne les aurai pas ignorés même s'ils n'ont jamais rien fait pour ne pas l'être. Une chose est certaine qui mérite d'être dite d'abord: dans ce melting-pot tunisien des années trente à cinquante, ils n'eurent jamais droit à ces appellations non contrôlées qui permettaient alors et tout à la fois de livrer la nationalité, l'ethnie, la religion… en affublant le tout d'un néologisme peu fait pour les valoriser, le plus souvent. Il me revient a l'esprit quelques unes de ces étiquettes que je préfère laisser aux oubliettes de notre petite histoire. Aucune ne concerne les Russes. Dans ce monde composite et méditerranéen où, chaque jour, tout un chacun avait, en fait, besoin de l'autre, s'imposaient ce que j'appellerai des arrangements constants. Nous avions tous la peau fine et !es regards, l'absence de regard même, tout autant que certains mots, certains gestes, certaines attitudes, étaient inscrits dans un code assez précis qui se transmettait, à l'intérieur de chaque communauté, selon des modes inapparents mais efficaces.

Les Russes, les Russes blancs (puisqu'il s'agissait d'eux) échappaient à cette implication. Ils allaient, dans notre société, comme un croiseur en mer. De ce fait, ils échappaient à la nécessité du marquage. J'ai d'ailleurs été surpris, beaucoup plus tard, d'entendre parler des "Ruskoffs" par Cavana.

En tout cas, à notre niveau de gamins puis d'adolescents et d'adultes, je n'ai jamais entendu, épisodiquement, que le terme de Russes.
Mon premier souvenir remonte à 1927, je pense. Nous habitions à St Henri, près du Bardo, avant de nous installer à Mégrine.
Mon père partait le lundi en de longues tournées dans le "bled". Il avait la charge d'aller payer les ouvriers qui défrichaient pour permettre aux géomètres - souvent des Russes - de dresser leurs plans cadastraux. Il revenait le samedi, barbu, fatigué. Il rapportait du gibier et des poteries romaines avec lesquelles je jouais sans en connaître la valeur.
Il débarqua, un jour, accompagné de deux blonds immenses, très raides, qui commencèrent par se casser en deux pour s'emparer de la main de ma mère interloquée.
Après ce baise main inattendu, on passa à table puisque tout commence sérieusement ainsi en France.
Ces invités toujours aussi guindés, ne connaissaient - et c'était exceptionnel - du français qu'un confus "missi, missi" de remerciement et ils avaient recours à d'étranges mimiques pour indiquer leur réplétion. Le contraste de ces signes avec la raideur des personnages était irrésistible pour des gamins. Mon frère et ma sœur étaient néanmoins assez grands pour réfréner leur hilarité. Ils étaient assez vicieux pour déclencher la mienne. Un regard du père et la main leste de ma mère me rappelèrent aux bonnes manières.
Il me reste de cette première rencontre deux choses : notre maison, notre table, surtout, s'étaient ouvertes à ces hommes étranges et ils m'en avaient imposé.
Or notre maison ne s'ouvrait d'habitude qu'aux Français, aux Audois, surtout, et à quelques rares Limousins, en raison des origines respectives de mon père et de ma mère. Tout simplement, je pense, parce qu'il n'y avait de dialogue possible et de références communes qu'avec eux, en fait.

Une fois installés à Mégrine, en 1928, il me fallut attendre 1930 pour fréquenter l'école de ce village créé de toutes pièces pour les Français et par des Français fonctionnaires de tout niveau. Jusque là j'allais à l'école de la rue du Maroc, à Tunis, où mes condisciples étaient, pour la plupart, des petits orphelins siciliens bagarreurs à la tête rasée pour prévenir les poux.
Je prenais, chaque jour, accompagné par ma sœur un petit train à vapeur qui devait être au centre de ma vie tout au long de ma jeunesse. C'est donc dans cette belle école de Mégrine -Coteaux, installée dans un ancien pavillon de chasse, avec ses jolies faïences et ses arcatures arabes, que je passai mon certificat d'études et l'un des moments les plus heureux de ma vie. C'est là aussi que je commençai à découvrir vraiment quelques uns des enfants de cette petite communauté russe et, parmi eux, des jeunes filles aux prénoms bizarres, dont Natacha, bien sûr !
Par la suite, je devais entendre des Svetlana, des Tamara… Je ne sais pourquoi mais j'aurais plutôt tendance à me souvenir de ces délicieux prénoms féminins où le "a" éclate. A cela, cependant, une explication moins tendre qui n'exclut point la première.

Entre garçons, en effet, nous affections de ne nous appeler que par le patronyme. Le recours au prénom était suspect d'amitié particulière; il avait une charge féminine et ne faisait point viril.
Le prénom n'intervenait, accessoirement, que pour distinguer deux frères... et pour évoquer ou interpeller les filles. Ce petit trait sociologique ne devait m'apparaître, contrastivement, que beaucoup plus tard, lorsque, chez les "Français de France" et, surtout, dans les milieux se piquant d'intellectualité, on affectait d'ignorer le patronyme pour ne pratiquer que le prénom. A ne plus s'y reconnaître, d'ailleurs, quand il y avait plusieurs Michel ou Sébastien.
Les jeunes Russes se reconnaissaient, donc, à leur nom pour les garçons, à leur prénom pour les filles.
De ces premiers temps de coexistence, il ne me reste, des Russes, que la blondeur des filles, dans un pays où elle était assez rare. Rien d'autre, car ces jeunes slaves (j'ignorais alors le mot) parlaient comme nous sans accent... c'est-à-dire avec le nôtre et, parfois, nos tics langagiers.
C'est ainsi que "Oulia" (nine) fut en fin de compte surnommé "la p'tain" parce qu'il émaillait et ponctuait son discours, assez bredouillant, de cette interjection dépouillée de son sens littéral. Il faut dire que, comme "les Toulousains se traitent de cons si peu qu'ils se traitent", selon Nougaro, nous mettions de la péripatéticienne à la sauce de toutes nos phrases. Mais Oulia était, dans ce genre, le champion incontesté.
Hors cet avatar communautaire, la syntaxe et le vocabulaire de nos jeunes Russes étaient plus normés et plus riches que les nôtres. Leurs parents avaient appris le français académique et, dans leur bouche, la langue prenait valeur.
En fait, ma vraie découverte des Russes fut plus tardive. Elle se situe en fin d'adolescence, à ces âges où se forment ces petits groupes étanches aux adultes. Au moment, aussi, où des jeux durs permettent à chacun de trouver ses limites, hors du champ artificiel de l'école, et de s'affirmer réellement.
En fait, c'est le sport qui, peu à peu, gouverna nos esprits et détermina nos affinités. Et là, on pouvait s'étonner de constater qu'une communauté aussi restreinte produisît tant de bons athlètes.
Résumons ici ce premier tableau. Les Russes n'étaient ni arabes, ni siciliens, ni juifs, ni maltais, ni grecs, ni yougoslaves... ni "français de France".
Nous les sentions et reconnaissions comme des Européens mais du nord, d'un nord lointain, imprécis.
Leurs parents, réservés, un peu raides, parlaient peu et dans un français fort académique, le français des livres, avec des références culturelles qui nous dépassaient souvent.
Leur accent était étrange, auprès du nôtre, de notre gutturalité et de notre tranchant. Il nous apparaissait trop modulé, trop compréhensif pour ne pas être doucereux. Derrière la politesse, nous sentions bien la fermeté, et, parfois, l'avertissement discret de fermeture.
Nous mettions cela autant au compte de la culture "slave" - dont nous ne connaissions rien - que de l'éducation militaire de ces hommes qui étaient, nous le savions, en fait, des officiers supérieurs d'une marine désarmée. Ils en avaient, d'ailleurs, gardé le port.
Leurs femmes étaient belles, à nos yeux, racées, un brin aristocratiques en cette société française de petits paysans devenus petits bourgeois au sortir d'une "grande" guerre meurtrière.
Cependant, les Russes et nous avions ceci en commun que nous étions propriétaires! Nos parents avaient fait construire, au prix de gros sacrifices, leur "villa" sur un beau terrain où chacun faisait pousser de beaux légumes, d'abord, puis des arbres fruitiers et, enfin , quelques fleurs. On cultivait utile !
Et puis nous habitions, les Russes et nous, Mégrine Coteaux, c'est dire, sur, une très modeste hauteur. Ce détail nous faisait prendre une certaine distance par rapport aux ouvriers de la Cité Lescure, dans la " plaine ".
Les Russes, aux revenus encore plus modestes ne s'y étaient pas trompés eux mêmes en faisant construire du "bon côté" de la voie ferrée, néanmoins, et sur la hauteur. Mais, eux, négligeaient leur jardin, n'ayant probablement jamais touché une pioche dans leur jeunesse.

Un seul d'entre eux - qu'ils ignoraient tranquillement - avait installé sa masure dans le bas, en allant sur Ben-Arous. Mon père le fréquentait un peu. Ainsi, je pus découvrir, avec lui, un personnage étonnant et un univers de bric à brac invraisemblable.
SEKETCHEV - j'ai toujours ignoré son prénom - était barbu. Il avait tout inventé et il savait tout faire. Il entreprenait tout et ne finissait rien. C'était un homme de projets à répétition et farfelus. Il passait ses journées à tout réparer et tout réinventer. Ce barbu blond n'écoutait rien et refaisait le monde avec une totale assurance. Je ne saurais évoquer son langage puisque je n'en comprenais que quelques bribes. Et ce langage ne s'ajustait pas avec le temps ; c'était toujours le même baragouin, même si Seketchev était sûr de parler le français.
Cette puissance d'un imaginaire débridé, cette capacité à dépasser, par un verbe profus et abscons une réalité misérable, cette force de vie, c'était aussi, pour moi, la Russie. Avec cette aptitude à survivre, coûte que coûte.
Seketchev n'avait, visiblement, guère été à l'école. C'était un énorme bluffeur, sinon un mythomane; mais il résistait, à sa façon, sans subir, en dépassant sa condition marginale par l'imaginaire.

Cependant, il y avait aussi, des Lutzernoff, des Makhroff, des Zernine, des Oulianine, des Wiaz-Mitinoff, et des Ramouskevitch en ce Mégrine Coteaux.
Et là, le tableau changeait radicalement. Je sentais bien que le monde de Seketchev et celui des autres Russes n'étaient pas les mêmes, certes, mais je percevais, aussi, que les forces sous jacentes étaient communes. Explosives et primaires cher l'un, maîtrisées par une éducation rigoureuse chez les autres.

Comme les adolescents ne parlent guère, entre eux, de leurs parents, je ne savais presque rien des pères et mères de nos camarades.
Le soleil, les rues larges et sans automobiles, les terrains vague transformés en stade, tout nous servait de lieux de réunions.
Au contraire des nos jeunes actuels, nous n'avions, à l'âge du collège, que des rapports lointains avec les filles. Rapports furtifs et pudiques dont le petit train de banlieue et ses plate-formes (arrière, à cause du vent) étaient l'opportunité trop brève. Des préférences s'amorçaient dans la discrétion la plus totale. Le seul luxe était le sourire et un bonjour particulier. Nous n'aurions, bien évidemment, pas imaginé nous embrasser pour nous saluer comme le font, si banalement, les jeunes maintenant. Sur ce point nos sociétés méditerranéennes convergeaient. Quant à la bagatelle, un peu plus tard, elle n'était même pas concevable... hors du bon motif matrimonial.
Je devais, ceci dit, m'apercevoir que nos copains russes, sous des dehors froids et indifférents, étaient beaucoup plus réalistes que nous. Ils se révélèrent de bons renards dans nos poulaillers petits bourgeois. Mais toujours avec ce détachement et celte discrétion qui sont la marque même de la prudence aristocratique. Les Russes ne se vantaient de rien, en amour, mais ils faisaient.
Cette économie du verbe et cette introversion, naturelles ou acquises, dans un pays où l'on parlait d'abord pour parler, pour le plaisir de se manifester, induisaient parfois à les taxer d'hypocrisie.

Ma première prise de conscience profonde de ce monde silencieux et apparemment sans histoire, attendit, pour s'opérer, un événement grave.
Cyrille faisait partie du petit groupe de coureurs sauteurs lanceurs que nous constituions. Il était de ceux qui écoutent et savent dire en peut de mots. Il venait parfois goûter à la maison et nous dévorions comme on le fait à ces âges insatiables, malgré les difficultés de ces temps lorsqu'il s'agissait de dénicher certaines denrées. En réalité, Cyrille avait l'art de tout faire avec un certain détachement, y compris de s'alimenter solidement.
Il m'avait invité, un jour, chez lui à un "goûter russe", m'avait-il annoncé. Je sus alors, ce que pouvait être la démesure. Je mangeai, pour la première fois, des "blinis" et - l'avouerai- je ? - je bus même du thé et dus en reprendre.
Tout cela sous le regard d'une très belle darne prolixe et aux " r " roulant de très loin. Elle était somptueusement drapée dans ce qui aurait pu, aussi bien, être une tenture. Avec elle je découvris, avant la lettre, ce portrait de madame Bonneuil, de Bonnard, ou celui, prodigieux de Klimt.
Le dénuement des lieux contredisait assez le faste du goûter et la somptuosité de la robe improvisée. Je sortis de là un peu ébloui, un peu déboussolé et avec l'envie d'entendre encore cette langue qui chantait si bien auprès de l'atonalité de la nôtre. Je sentais qu'elle recélait un univers plus vaste, plus riche, plus extrême. Autre, totalement. Un univers où notre intellectualité littérale, notre réalisme terre à terre pouvaient être dépassés, chamboulés... sinon niés. J'allais dire qu'alors je sentis la déraison possible et belle.
Il me fallut quelques mois encore pour aller plus au fond de ce monde que nous côtoyions en l'ignorant et qui, d'ailleurs, devait éprouver lui même l'inutilité d'être compris après tant d'avatars.
C'est à l'événement grave évoqué plus haut que je dois cette avancée.
Un jour d'octobre - ou novembre ? - où le ciel était gris, le froid humide et transperçant, j'appris que le père de Cyrille était mort. Je ne suis pas sûr d'avoir su qu'il avait été malade. On souffrait en silence dans ce monde.
Je ne sais trop pourquoi je décidai d'aller assister aux obsèques. Je le fis comme cela, sans consulter les copains ni, bien sûr, les parents. Peut être parce ce que j'avais deviné que ces Russes seraient un peu seuls.

Au bord de ce trou, dans la grisaille, sur des talus d'une argile détrempée, se dressaient une dizaine d'hommes et de femmes, tous russes. Très dignes, dans des vêtements parfois hors d'âge mais impeccablement portés.
Un pope marmonna quelque prière et c'est alors que s'éleva, de ce groupe, un choeur. Non point des voix mais un choeur. Je savais ce que c'était que chanter, à l'italienne, avec "la belle voix ".
Mais, là, c'était un choeur. Soixante ans après, je ressens encore le coup qu'il me porta, au creux du ventre et de la poitrine. En ces régions de l'homme où la raison ne fait plus la loi.
Au dessus des graves somptueux sortaient les aigus pathétiques des femmes. Et je réalisai alors que cet homme mis en terre dans un pauvre cercueil achevait là, bien loin de tout ce qui avait été sa vie, bien loin de sa patrie, de la terre de ses pères, un destin détourné par l'histoire.

Des années plus lard, je me souvins de la dignité de ces gens alors que je choisissais de m'arracher à mon univers premier par solidarité avec les miens.
J'avais pu entrevoir certaines dimensions humaines, une certaine forme de religiosité profonde qui étaient étrangères à mon propre monde mais aussi, je le redis, une démesure potentielle liée à une puissance insoupçonnée de l'imaginaire et de la passion. Entre culture imposée par l'école, très structurée, et culture héritée du fond des âges, je percevais tout un conflit ou une rencontre imprévisible. Disons encore que j'entrevis, par la grâce de ces Russes "blancs" tout à la fois une autre forme de courage, une autre relation à Dieu et au monde, une autre exigence de soi.

Alors, me direz vous, que reste- t- il de ce côtoiement au bilan de ma vie ?
L'interrogation est salutaire... elle me conduit à en mesurer les résonances importantes.
Pourquoi donc aurais je lu Dostoïevski à vingt ans puis Gogol, Tolstoï, Pouchkine, Tchekov... et, par la suite, Makarenko et tous les "modernes", de Maïakovsky aux écrivains en rupture... dont un certain Soljénitsine …?
Pourquoi aurais je écouté du Tchaïkovski, du Rimski-Korsakov, du Scriabine, du Prokofiev... puis fait chanter ou jouer ces auteurs en concert ?
Pourquoi me serais je référé au merveilleux Makarenko après avoir lu et relu cette aventure enfin réalisée d'une utopie éducative (et dans une infâme traduction) ?
Pourquoi ne suis-je qu'à moitié étonné de voir une si grande nation livrée à l'absurde, à tout et à son contraire et survivre, vaille que vaille? Pourquoi ? Sinon parce que ces sacrés Russes, tout "blancs" qu'ils fussent, m'ont révélé tout autre chose: un peuple avec toutes ses différences.
Mais un peuple dont certains traits dominants me paraissent s'imposer à qui veut comprendre au lieu de juger, à qui veut dépasser la complaisance à soi.
C'est d'abord, la référence au Père, à l'image du Père, en tout, que je crois retrouver en ce peuple. Dans ses prêtres barbus, dans les basses nobles de ses premiers rôles d'opéra, dans ses chefs politiques et le respect définitif qui leur est porté, sans possibilité de dérision, dans l'iconographie... partout. Dans une certaine dissimulation imputable à la peur du regard terrible. " Tuer le père " pour devenir soi même, selon Sartre, est une incongruité pour les Russes.
Puis vient la démesure. Non l'exagération, non l'incongruité, non l'insolence, non la sotte vantardise, mais la démesure et l'imprévisible. Et une capacité prodigieuse de subir. Je défie tout Français de comprendre, vraiment, Raskolnikov qui est un héros russe, authentiquement. Je peux seulement, m'interroger indéfiniment à son propos.
Mais au lieu de dire : "il est fou… c'est un psychopathe…", je dis : " il est Russe et
prodigieux ... "
Avec un mélange d'admiration et de compassion fraternelle.




Fernand PAU
Inspecteur honoraire de l'Education Nationale
SAINT MATHIEU DE TREVIERS
LE 25 / 09/1999


 



Jean Maiboroda