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La fabuleuse destinée de Zinovi PESHKOV, "Le manchot magnifique", fils adoptif de Gorki, frère de hiérarque bolchevique, devenu général et ambassadeur français.


La fabuleuse destinée de Zinovi PESHKOV, "Le manchot magnifique", fils adoptif de Gorki, frère de hiérarque bolchevique, devenu général et ambassadeur français.

 

 
 
 
Pechkoff, le manchot magnifique

Fils adoptif de Gorki, héros de la Légion étrangère, homme d’influence, ambassadeur de France, grand séducteur, Zinovi Pechkoff, surnommé « Le manchot magnifique », est une légende oubliée du XXe siècle.

Nijni-Novgorod, années 1900. Un adolescent traîne sur les bords de la Volga. Il est pauvre, il est juif, il n’a pas d’avenir dans la Russie tsariste. Jusqu’au jour où il croise l’immense écrivain Gorki qui en fait son assistant et l’adopte. Yeshua Sverdlov devient Zinovi Pechkoff.

En exil à Capri avec son nouveau père, il découvre la littérature, la politique, se lie avec Lénine, l’écrivain Bounine ou le chanteur Chaliapine. Mais il brûle d’agir. Quand la Première Guerre mondiale éclate, il s’engage en France dans la Légion étrangère au côté de Blaise Cendrars, connaît la rude vie des tranchées et la gloire des combats – il y perd le bras droit. La France l’adopte à son tour et le dépêche aux États-Unis pour les inciter à entrer en guerre.

En 1918, alors que son frère Iakov Sverdlov s’apprête à devenir le premier chef d’État soviétique, Pechkoff est au cœur de la guerre civile russe, avec les Armées blanches. Dans les années vingt, au Maroc, il gagne son surnom de « Manchot magnifique » pendant la guerre du Rif. Puis ce sera la Syrie, le Liban, ses premiers succès diplomatiques. Et la France Libre. De Gaulle en fait son envoyé spécial, un général-ambassadeur abonné aux missions délicates, en Chine auprès de Chiang Kaï-Shek, au Japon auprès de MacArthur dont il devient l’ami.

Pechkoff parcourt le monde, connaît tout le monde, séduit tout le monde. Son courage, son goût de la vie, sa connaissance de l’âme humaine ont révélé sa nature, celle d’un héros de roman.

À partir d’archives inédites, notamment la magnifique correspondance avec Gorki, Guillemette de Sairigné signe la première grande biographie de Zinovi Pechkoff.

Biographie
600 pages |
En librairie le 26 septembre 2019
EAN : 978-2-37073-291-0

 
 

« La monumentale biographie d’un des personnages les plus sidérants, fascinants et emblématiques du XXe siècle. »
Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche

« Il y a du Gary chez cet homme-là … Guillemette de Sairigné a redonné tout son éclat à ce « manchot magnifique ». »
LiRE

« Un récit au long cours, mené au grand galop de l’aventure, comme un roman à grand spectacle. »
Le Figaro Magazine

« Guillemette de Sairigné retrace le parcours trépidant de ce héros hors norme. »
Le Point

« Une vie en forme de cavalcade, avec l’histoire aux trousses. »
Le Monde des Livres

« Un livre époustouflant, documenté, décoiffant, surprenant et si bien écrit. »
Thierry Lentz

« Guillemette de Sairigné replonge dans le parcours de cette tête brûlée, grand séducteur, dont le destin épique épouse les soubresauts du siècle. »
Géo Histoire

 
 

 




Zinovi Pechkoff, Juif, Russe, légionnaire, général et diplomate français, par Ada Shlaen

Le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois

Il y a quelque temps je suis allée avec une amie américaine au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Nous souhaitions visiter cette nécropole, où reposent des milliers d’émigrés russes qui avaient fui la Russie après la révolution bolchévique d’octobre 1917 et trouvé refuge en France.

A l’origine il s’agissait d’un cimetière communal, mais au fil des ans, il est devenu surtout un lieu de mémoire pour plusieurs vagues de l’émigration russe : y reposent les militaires des armées blanches, les membres des familles les plus illustres de Russie, y compris des descendants des Romanov, des hommes politiques, des artistes, des opposants au régime communiste…

La première tombe russe est apparue à cet endroit en 1927, et depuis, plus de 15000 Russes ou des Français d’origine russe y ont été inhumés.



Nous avons erré longtemps dans les allées, mon amie voulait rendre hommage à des écrivains célèbres, comme Ivan Bounine (prix Nobel de littérature de 1934) et aux dissidents de l’époque soviétique comme Andreï Amalric, Victor Nekrassov, Alexander Galitch…Parmi ces tombes qui portaient souvent des noms très connus, nous avons été intriguées par l’une, très sobre où l’on pouvait lire : Zinovi Pechkoff, 1884-1966, Légionnaire.

Pourquoi cet étonnement ? Il se trouve que le nom Pechkoff (ou Pechkov) est le vrai nom de l’écrivain Maxime Gorki. S’agissait-il d’un membre de sa famille ? Dans ce cas-là cette tombe devrait être plutôt à Moscou qu’à Sainte- Geneviève-des-Bois !

Cimetière russe de Ste Geneviève des Bois

Après cette visite, j’ai effectué quelques recherches et j’ai trouvé des renseignements sur ce personnage mystérieux. Bien vite j’ai compris que peu de gens correspondent aussi fidèlement à la définition d’un aventurier : « personne dont la vie est faite de confrontations avec des univers qu’il pénètre sans en être naturellement familier, par simple goût de l’inconnu ou avec d’autres buts, sans en redouter les risques et en restant prêt pour toute aventure se présentant ».

Frères ennemis

Zinovi Pechkov était effectivement un proche de Gorki, il était son filleul, devenu un fils adoptif. Mais sa biographie comportait tellement de faits étonnants et inattendus que j’avais du mal à croire qu’ils fussent réels. Pourtant, mes recherches confirmèrent la première impression : il s’agissait d’un destin surprenant à plus d’un titre.

Celui qui a porté la majeure partie de sa vie le nom de Zinovi Pechkoff est né le 16 octobre 1884 à Nijni-Novgorod[1] dans la ville natale de Maxime Gorki[2] qu’il a connu, encore tout jeune adolescent.

Sa propre famille était assez prospère ; son père, graveur et propriétaire d’une petite imprimerie, s’appelait Moïse Sverdlov et il était de confession juive. Le futur Zinovi était le premier né et à la naissance on lui donna les prénoms Yeshua Zalman, Zalman étant son prénom usuel. Un an plus tard la famille s’est agrandie grâce à la naissance du deuxième fils. Il aura aussi deux prénoms : Yeshua Solomon. Ces prénoms n’ont pas beaucoup servi, on utilisait une forme vaguement russifiée, Yakov. Les deux frères se ressemblaient beaucoup, mais avaient des caractères très différents. Plus tard leurs destins seront étrangement opposés. L’ainé va bourlinguer, il sera légionnaire, deviendra général, diplomate, haut fonctionnaire de la République française tandis que le cadet sera un révolutionnaire, un membre éminent du parti bolchévique qui va occuper le poste de chef d’État après la révolution d’octobre 1917. Et les deux frères deviendront des ennemis implacables.

La situation financière de la famille aurait permis de donner aux garçons une éducation correcte, mais leurs caractères, d’une part, et leurs préoccupations politiques, d’autre part, seront un frein très important et décisif. L’ainé a fréquenté pendant quelques années seulement l’école primaire et le collège, il passait beaucoup plus de temps sur les rives de la Volga, en compagnie de petits voyous de la ville. Pourtant il avait des dons certains et plus tard il parlera une dizaine de langues. Il était doué pour la musique, car il avait une belle voix et possédait « l’oreille absolue »[3]. Son frère cadet eut une scolarité un peu plus longue, car il avait étudié pendant quelques années au lycée, sans obtenir toutefois le baccalauréat.

Maxime Gorki

Parmi les clients de l’imprimerie il y avait le jeune écrivain Maxime Gorki, déjà très populaire en Russie et qui bientôt sera mondialement connu. Il venait souvent, aussi bien pour surveiller ses textes littéraires que pour la mise au point des proclamations politiques, car à cette époque il organisait souvent des réunions parmi des ouvriers de Nijni-Novgorod, essayant de les attirer vers les bolcheviques. Le jeune Zalman Sverdlov l’aidait volontiers. Mais en 1901 ils furent arrêtés tous les deux, accusés de se livrer à la propagande antigouvernementale. Le garçon encore mineur (il avait 17 ans), fut remis à la famille, tandis que Gorki se trouva exilé à Arzamas[4], avec interdiction de quitter l’endroit. La distance entre les deux villes n’est pas grande et Zalman rendait souvent visite à son ami, devenu pour lui un vrai mentor.

Maxime Gorki était alors en train d’écrire sa pièce, peut-être la plus célèbre, Les bas-fonds, destinée au Théâtre d’Art de Moscou.[5] Il souhaitait être en contact avec les metteurs en scène Constantin Stanislavski[6] et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko[7], mais la surveillance policière l’en empêchait. Alors, les deux hommes et même certains acteurs venaient le voir, et de cette manière le jeune Sverdlov, souvent présent auprès de Gorki, fit leur connaissance. À cette occasion on organisait des lectures, on pourrait parler des vraies répétitions et Zalman y participait très volontiers. On lui attribua le rôle du voleur Vaska Pepel, un personnage singulier qui essaie de quitter les bas-fonds, malheureusement sans y parvenir.

Conversion impérative !

Vladimir Nemirovitch-Dantchenko trouvait que le garçon avait un réel talent et qu’il devait tenter le concours du Conservatoire de Moscou où le baccalauréat n’était pas exigé. Mais ses origines se sont avérées rédhibitoires. Maxime Gorki lui conseilla le baptême, en s’engageant d’être son parrain. La cérémonie eut lieu en septembre 1902, Gorki tint sa promesse et Zalman Sverdlov porta dorénavant le nom de Zinovi Alexeevitch Pechkov. À l’annonce de cette conversion, le père le renia publiquement ; ce courroux paternel renforça l’attachement du garçon pour Gorki, fier de porter le nom de naissance de l’écrivain. Dans sa propre famille où six enfants grandissaient, il devait se sentir comme un étranger.

En 1902 Zinovi déménagea pour Moscou où il retrouva Gorki, autorisé à quitter Arzamas. Dans la vie de l’écrivain cette année fut très riche en événements divers : il fut élu à l’Académie Impériale des Lettres, mais le tsar Nicolas II mit son veto, sous prétexte du contrôle policier, toujours en cours. Anton Tchékhov et Vladimir Korolenko[8]en signe de protestation ont rendu leurs titres d’académiciens. Grâce à cet épisode, pour la bonne société de Moscou et de Saint Pétersbourg, Gorki est devenu un personnage à la mode, les artistes russes les plus connus lui marquaient leur solidarité. Parmi ses nombreux invités il y avait Léon Tolstoï, Anton Tchékhov, Ivan Bounine, Ilya Repine, Fiodor Chaliapine…

Zinovi venait souvent voir son parrain, il était toujours bien accueilli, avec gentillesse et cordialité. À cette occasion, il faisait connaissance avec les célébrités qui entouraient Gorki. Il suivait des cours d’art dramatique au studio du Théâtre d’Art sous la direction de Stanislavski et il avait l’air d’apprécier sa nouvelle vie. En décembre 1902 il assista au triomphe des « Bas-fonds » où on lui confia de petits rôles. Mais il montait sur scène, en surmontant un énorme trac qui le rendait malade. Peut-être qu’avec le temps il se serait habitué, mais sa vie prit un tout autre tournant.

Vers le nouveau monde

Les années 1904-1905 étaient remplies par des événements dramatiques, voire tragiques pour la Russie qui eurent une influence directe sur la vie Zinovi Pechkov.

En février 1904 débuta en Extrême-Orient la guerre entre la Russie et le Japon. Elle va durer plus d’un an et, malgré l’héroïsme des soldats russes, démontrera l’obsolescence de l’armée et l’inefficacité du commandement. De plus, ce conflit se transforma en une grave crise constitutionnelle qui aboutit à des désordres sociaux. Ensuite, durant toute l’année 1905, le pays connut une agitation révolutionnaire, c’était une répétition générale de la révolution qui vaincra 12 ans plus tard.

À l’époque Zinovi avait déjà 20 ans et il pouvait être mobilisé, or il ne souhaitait pas combattre pour la gloire de l’Empire russe. Il préféra alors quitter illégalement la Russie, et alla en Finlande (qui faisait alors partie de l’Empire russe), passa en Suède où il embarqua pour le Canada. Ensuite il traversa la frontière pour un long séjour aux États-Unis. Il subsistait difficilement en faisant toutes sortes de métiers, mais au moins il apprit l’anglais, une langue qui lui sera très utile par la suite.

De son côté Maxime Gorki accueillit très favorablement l’agitation sociale car il souhaitait la victoire de la révolution. À l’époque il s’était rapproché encore plus du parti bolchévique ; son activisme durant l’année 1905 entraîna son incarcération à la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg. Comme il était très populaire, l’opinion mondiale s’en émut et les autorités russes préférèrent le libérer en 1906. Il décida alors d’effectuer un voyage aux États-Unis dans le but de collecter des fonds pour les activistes du parti. À cette occasion il retrouva à New-York son filleul, qu’il appelait affectueusement « Zina » ou « Zinka » et si on juge par sa correspondance ; il était enchanté de l’évolution du jeune homme : « Zinka est devenu une personne intéressante. Il n’écrit pas mal du tout. Je pense qu’il parviendra même à bien écrire. L’une des choses qu’il a rédigée sera bientôt publiée à New York, et il l’enverra aussi en Russie. Il a souffert bien des désagréments aux États-Unis et il a développé une intelligence pleine de malice. À l’automne, il ira en Australie, en Guinée et dans d’autres pays de langue anglaise. » 

Lénine, Bogdanov, Gorki, Pechkoff

Zinovi secrétaire polyglotte

Pendant ce séjour commun Zinovi s’occupa de l’intendance, devint un efficace secrétaire et traducteur, ainsi il accompagna Gorki à ses rencontres avec Marc Twain et Herbert Wells. Ensuite Zinovi effectua ce voyage aux antipodes, évoqué par son parrain, tandis que Gorki ne pouvant pas revenir en Russie pour des raisons politiques, décida de s’installer en Italie. Ses moyens financiers lui permettaient une vie très aisée et il choisit comme lieu de résidence Capri où il avait loué une confortable villa. Grâce à ses droits d’auteur il vivait en grand seigneur, accueillait de nombreux invités et organisa même une école pour les cadres du parti qu’il finançait avec le chanteur Chaliapine. Vladimir Lénine vint voir Gorki à deux reprises, mais leurs relations personnelles étaient assez froides. L’écrivain lui reprochait de mal connaître la Russie, car depuis des années il séjournait à l’étranger, plongé dans ses lectures et les querelles avec ses adversaires politiques.

Même de nos jours, à Capri, le souvenir des multiples séjours de Gorki reste vivace. Il y a des plaques sur des villas où il a séjourné ; dès que vous prononcez son nom, les habitants de l’île s’animent, parlent de lui avec chaleur et admiration. Ils savent qu’il aimait beaucoup Capri et lui en sont reconnaissants. Par contre ils sont beaucoup plus réticents dès qu’on évoque le nom de Lénine, même si dans un jardin municipal, on peut voir son buste.

Quand Zinovi partit pour l’Australie il espérait gagner beaucoup d’argent, en devenant un chercheur d’or. Mais il n’a pas fait fortune et en 1907, il rejoignit Gorki en Italie où il mena une vie agréable et divertissante. Comme à New-York, Zinovi assurait le rôle de secrétaire ; il parlait alors bien l’anglais et l’italien, se débrouillait en français et en allemand. Gorki appréciait son aide, il lui faisait confiance. Comme à Moscou il apprenait beaucoup de choses auprès des invités de son beau-père ; il existe une bien curieuse photo, prise à Capri lors d’une partie d’échecs entre Lénine et son opposant Bogdanov. Derrière les joueurs, assis sur la balustrade se tient Maxime Gorki, et à ses côtés, Zinovi. En Union Soviétique cette photo était souvent reproduite, sans mais lui, car entre temps il était passé dans le camp des ennemis du pouvoir soviétique.

En 1910 Zinovi épousa Lydia Bourago, fille d’un officier cosaque, installé depuis des années en Italie et un an plus tard naissait son unique enfant, une fille. Le couple émigra aux États-Unis, mais leur séjour ne fut pas un succès et les jeunes gens préféreront revenir en Europe, d’autant plus que leur mariage battait de l’aile.

En 1913, à l’occasion du tricentenaire de la dynastie des Romanov, une amnistie pour des exilés politiques fut annoncée. Gorki décida de rentrer tandis que Zinovi préféra rester en Italie.

À l’époque il n’avait plus de relation avec sa famille. Sa mère était décédée en 1900 et son père s’était remarié. Un frère et une sœur émigrèrent aux États-Unis, mais visiblement ils n’étaient pas très proches et cette présence familiale ne l’a pas incité à rester dans le Nouveau Monde. Son frère Yakov habitait depuis longtemps dans l’Oural, à Iekaterinbourg et était un membre très actif du parti. Depuis 1910 il entretenait une correspondance suivie avec Lénine qui probablement ne savait pas que Yakov était le frère cadet de Zinovi Pechkov.

Légion étrangère en France

Ainsi lorsque la guerre éclata en août 1914 Zinovi se trouvait en Italie. Il prit alors une décision qui va changer encore une fois le cours de sa vie. À la différence de Gorki et de son entourage, il ne souhaitait pas la défaite de la monarchie tsariste. Sa fréquentation des chefs bolchéviques l’avait rendu très méfiant envers leurs objectifs politiques. L’Italie étant un pays neutre, il dut aller au consulat de France à Gènes pour s’engager. Il avait un passeport russe, donc d’un pays allié et il fut incorporé à la Légion étrangère comme Engagé Volontaire pour la Durée de la Guerre (EVDG) au 1er régiment étranger. Il n’avait pas à l’époque de liens particuliers avec la France, mais par tradition, les Russes étaient et restent francophiles.

En novembre 1914 son unité fut dirigée sur le front de Champagne où dès le début, il se fit remarquer comme un très bon soldat. Il fut nommé caporal au printemps 1915, malheureusement en mai de la même année, il fut gravement blessé près d’Arras. Son évacuation vers l’arrière fut décidée par le lieutenant Charles de Gaulle qui était aussi dans la région, et Zinovi se retrouva à l’Hôpital américain de Neuilly où il fut amputé de la main droite. La même année 1915, le légionnaire reçut la Croix de Guerre.

Maxime Gorki

Après une rééducation, le 22 juin 1916, il signa un nouvel engagement et rapidement il se retrouva détaché au Ministère des Affaires étrangères en tant qu’interprète de 3e classe ce qui correspond au grade de lieutenant. À l’époque il était toujours citoyen russe, pourtant on lui confiait des missions officielles auprès des pays neutres pour expliquer les buts de la guerre. Il est allé en Italie et ensuite aux États-Unis, pays qu’il connaissait bien. Auprès de l’ambassadeur de France, Jusserand, il devait organiser des réunions d’information afin d’expliquer aux Américains la situation sur les fronts européens. De fait il participa au lobbying qui amena le président Wilson en avril 1917 à rejoindre les alliés dans la guerre. Plus tard, il écrira : « J’ai parcouru les États-Unis, des côtes de l’Atlantique à celles du Pacifique, en faisant des conférences sur la guerre. Ma mission devait durer trois mois, mais à la demande de l’ambassadeur de France, j’y suis resté jusqu’au 1er mai 1917.» Ses qualités humaines et surtout ses compétences linguistiques, son énergie étaient très appréciées. À la fin de sa mission il fut promu capitaine.

Lorsqu’il rentra en France en mai 1917, il fut envoyé en Russie, plongée depuis février dans les soubresauts révolutionnaires. Il faut savoir que le gouvernement français avait envoyé alors plusieurs missions en Russie dans le but de maintenir la Russie dans la coalition militaire. Pechkov arriva à Petrograd plusieurs semaines après l’abdication de Nicolas II (2 mars) ; en principe le pouvoir était exercé par le gouvernement provisoire, présidé par le prince Lvov. Mais le soviet (Conseil) de Petrograd contestait le pouvoir en place. D’ailleurs le frère de Zinovi, Yakov y jouera un rôle de plus en plus important. Si ce gouvernement était prêt à continuer la guerre contre l’Empire allemand, le soviet prônait l’arrêt immédiat des hostilités.

Cette mission marquera le retour de Zinovi en Russie après une absence de plus de 10 ans. Il revit à cette occasion les membres de sa famille, rencontra Yakov qui lui servit de contact auprès des bolcheviques, mais il ne partagea pas, et de loin, ses convictions révolutionnaires. Il revit évidemment Gorki qui hésitait entre l’espoir et la crainte, car il se méfiait toujours de Lénine.

Le coup d’État, organisé par les bolchévique en octobre[9] signifia l’échec de toutes les missions françaises, mais Zinovi ne quitta pas la Russie pour autant. Le gouvernement français lui confia le poste de conseiller auprès des Armées blanches qui combattaient pendant la guerre civile sur l’immense territoire du pays. Suivant les périodes, il se trouvait en Sibérie, dans l’Oural, en Mandchourie, dans le Caucase, en Extrême-Orient auprès de l’amiral Koltchak et de l’ataman Semenov.

Pendant quelques temps il sembla que les bolcheviques étaient en train de perdre. Zinovi envoya à son frère un télégramme très concis et éloquent : Yachka, quand nous prendrons Moscou, alors nous pendrons en premier Lénine et ensuite toi, à cause de tout ce que vous avez fait à la Russie. Mais les discordes entre les généraux empêchèrent la victoire définitive des Armées blanches, et en 1920 Zinovi se retrouva en Crimée avec les troupes du général Wrangel pendant l’évacuation définitive. Sur les bateaux il fallait caser près de 150000 personnes, dont 70000 soldats. La flotte française de la Méditerranée envoya plusieurs bateaux. Ces réfugiés furent dirigés surtout vers Constantinople et ensuite ils s’éparpillèrent à travers toute l’Europe. La présence de ces apatrides devint un problème grave dans plusieurs pays, exsangues après la Grande guerre. Alors l’Office international pour les réfugiés apparut, il était dirigé par Fridtjof Nansen, le célèbre explorateur polaire, devenu à cette occasion un diplomate très actif. La plupart de ces « Russes blancs », comme d’ailleurs de nombreux Juifs, exilés à l’époque en Occident, étaient porteurs de passeports Nansen[10].

Cette mission en Russie devait être la plus dure, car au fil des mois, Zinovi devint témoin de la victoire définitive de l’Armée rouge et de l’anéantissement du pays qu’il voulait défendre.

Fridtjof Nansen

Retour en France

En 1920 Pechkov rentra en France. Il ne revint plus jamais en Russie. Avant son départ il put apprendre que son frère avait eu un poste important dans les structures du nouvel État, en devenant Président du Comité exécutif central   ce qui correspondait au poste du Chef d’État. Il devait être content de porter le nom de Gorki, car Yakov, comme Lénine et Trotski, est considéré par des historiens, comme l’un des initiateurs de la Terreur rouge. De plus, il joua un rôle important dans l’exécution de la famille impériale, intervenue dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Iekaterinbourg. Mais le pouvoir ne garantit pas la longévité et Yakov Sverdlov décéda en 1919 à l’âge de 33 ans de la grippe espagnole qui faisait alors des ravages dans toute l’Europe.

Cette guerre civile coûta à la Russie plusieurs millions de victimes. De plus, une effroyable sécheresse s’abattit sur le sud et l’est du pays en 1921. Une immense famine s’en suivit, elle fera des millions de morts aussi, surtout dans le sud du pays, la région de la basse Volga, d’où étaient originaires Maxime Gorki et Zinovi Pechkov.

L’écrivain lança alors un appel pour obtenir une aide alimentaire. Il s’adressa le 13 juillet 1921 directement à Nansen qui mit rapidement en œuvre une mission d’assistance, grâce d’ailleurs aux subsides du gouvernement américain. Cette opération fut une première et innovante action humanitaire du XXe siècle et Fridtjof Nansen reçut en 1922 le prix Nobel de la Paix. Zinovi était alors un relais très efficace entre Gorki et Nansen, à cette occasion les liens entre l’écrivain et son filleul se sont même resserrés, d’autant plus que Gorki, dégouté par les excès des bolchéviques quitta la Russie pour l’Italie à l’automne 1921.

Mais pour Zinovi la période russe de sa vie sera définitivement close. Après son retour en France, il déposa son dossier de naturalisation ce qui lui permettra d’intégrer officiellement le Ministère des Affaires Étrangères. Pendant plusieurs années il va alterner les missions diplomatiques avec les périodes de commandement au Maroc. Ses soldats le surnommaient « le manchot magnifique » et appréciaient sa vaillance. Parallèlement, les diplomates notaient sa perspicacité et sa facilité à établir les contacts nécessaires, sa capacité à gagner ses interlocuteurs aux causes qu’il défendait. Ces qualités lui permirent d’entamer une carrière diplomatique avec des missions très sérieuses, voire secrètes.

Dès qu’il pouvait, il rendait visite à Gorki, refugié à Sorrente. Mais en 1932, l’écrivain décida de rentrer en Union Soviétique. Zinovi était opposé à ce retour, prévoyant que le régime utiliserait sa notoriété pour la propagande. Effectivement Gorki deviendra un membre incontournable des hauts responsables soviétiques, mais, en même temps il était surveillé et censuré.

Son propre fils Maxime Pechkov[11] est mort dans des conditions mystérieuses à l’âge de 37 ans, Gorki s’éteindra deux ans plus tard, en 1936 dans des circonstances assez mystérieuses ; un empoisonnement fut évoqué à plusieurs reprises. Il eut droit à des funérailles nationales et devint un symbole fondateur de l’État soviétique.

En mai 1940 le chef de bataillon Zinovi Pechkov commandait une unité au Maroc où il apprit l’effondrement de l’armée française face à la Wehrmacht. Il n’avait pas l’intention de reconnaître le pouvoir des occupants nazis et refusa de continuer à servir sous leur commandement. Il fut alors arrêté et le tribunal militaire l’a condamné à être exécuté. Il parvint à s’enfuir et arriva à rejoindre Londres en 1941. Malgré son âge (57 ans) le général de Gaulle décida de l’envoyer en poste en Afrique du Sud où il devait surveiller la situation sur le terrain, où sous l’œil des Anglais, s’opposaient les partisans de Vichy et de la France Libre. En 1942 Péchkov aida à conclure l’accord entre Antony Eden (ministre des Affaires Étrangères de Churchill) et le général de Gaulle par lequel l’Angleterre reconnaissait la souveraineté de la France sur Madagascar. La même année Pechkov fut nommé général de brigade et envoyé en … Chine où le maréchal Tchang Kaï-Chek venait de rompre les relations diplomatiques avec Vichy.

Le diplomate

Zinovi représentera la France jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique qui se termina le 2 septembre 1945. À la fin de la guerre il sera nommé ambassadeur de France au Japon où il restera jusqu’à 1950.

En 1952 le Président Vincent Auriol l’éleva à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur. Il aura encore une délicate mission à accomplir, en 1964, lorsque le général de Gaulle lui demanda de se rendre à Taïwan pour expliquer au maréchal Tchang Kaï-Chek les raisons de la reconnaissance du régime de Mao Zedong par la France. Ce sera sa dernière mission de diplomate.

Il décédera à Paris le 27 novembre 1966 à l’âge de 82 ans, et sera enterré au cimetière russe, avec des honneurs militaires et en présence des plusieurs personnalités officielles.

 

Ada Shlaen*

Source : mabatim.info  
[1] Nijni Novgorod est une ville importante qui se trouve sur les rives de la Volga. Elle a été fondée au XIIIe siècle ; du temps de l’Empire russe c’était la plus grande ville marchande de Russie avec une grande foire où l’on organisait des expositions de l’industrie et du commerce. Aujourd’hui la ville compte 1,3 million d’habitants. L’écrivain Maxime Gorki y est né en 1868 ; dans la période 1932-1991 la ville portait son nom. Le dissident Andreï Sakharov était assigné à résidence à Gorki entre 1980 et 1986.
[2] Maxime Gorki est le nom de plume d’Alexeï Pechkov (1868-1936). Il est né dans une famille pauvre de Nijni-Novgorod, a connu une vie de vagabond, d’où probablement son engagement politique à côté des bolcheviks. C’était un autodidacte qui avait connu dès ses débuts en 1898 un succès qui ira en grandissant aussi bien en Russie que dans le monde.
[3] L’oreille absolue est la faculté d’identifier un son, une ou plusieurs notes, sans avoir eu besoin d’entendre au préalable une note de référence. Pour un musicien cette qualité est importante, n’est pas une nécessité absolue !
[4] Arzamas se trouve à 100 km de Nijni-Novgorod.
[5] « Théâtre d’Art de Moscou » était une compagnie de théâtre de Moscou, fondée en1898 par Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko. Auprès du théâtre il y avait un studio pour des jeunes acteurs qui suivaient des cours d’art dramatique.
[6] Constantin Stanislavski (1863-1938) comédien, metteur en scène et professeur d’art dramatique, était l’un des créateurs du Théâtre d’Art de Moscou. Son enseignement a influencé le théâtre mondial y compris les États-Unis. Le célèbre cours new-yorkais de théâtre Actors Studio de Lee Strasberg et Elia Kazan était basé sur « la méthode de Stanislavski » avec l’utilisation de la mémoire affective et du vécu des acteurs. Les plus grands acteurs américains (Marlon Brando, Dustin Hoffman, John Malkovitch, Steeve McQueen, Marilyn Monroe, Paul Newman, Meryl Streep et bien d’autres) ont suivi les cours d’Actors Studio.
[7] Vladimir Nemirovitch-Dantchenko (1858-1943) était un écrivain, metteur en scène et professeur d’art dramatique. En 1898 il était l’un des fondateurs du Théâtre d’Art de Moscou et directeur jusqu’à sa mort.
[8] Vladimir Korolenko (1853 -1921), grand écrivain russe, malheureusement méconnu en Occident, fut aussi un très bon journaliste et un défenseur infatigable des droits de l’homme. Il faut rappeler son rôle essentiel dans l’affaire Beilis, il a beaucoup fait pour la reconnaissance de son innocence.
[9] La Révolution d’Octobre eut lieu le 25 octobre, d’après le calendrier julien, utilisé alors en Russie. Cette date correspond au 7 novembre d’après le calendrier grégorien qui fut introduit en Russie tout de suite après la révolution.
[10] Les porteurs célèbres de ce passeport : Marc Chagall, Menachem Mendel Schneerson, Igor Stravinski, Vladimir Nabokov …
[11] Maxime Pechkov (1897-1934) était l’unique fils de l’écrivain, né de son premier mariage avec Ekatérina Voljina.

* Ada Shlaen est professeur agrégée de russe, et a enseigné aux lycées La Bruyère et Sainte-Geneviève de Versailles.


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Zinovi Pechkoff, un légionnaire français venu de Russie


RUSSIA BEDYOND
https://fr.rbth.com/art/histoire/2017/03/30/zinovi-pechkoff-un-legionnaire-francais-venu-de-russie_730857
HISTOIRE
30 MARS 2017
TATIANA BONDAREVA-KOUTARENKOVA
 
Fils d’un artisan de Nijni Novgorod (à 400 kilomètres à l’est de Moscou), militaire et diplomate français. Frère du révolutionnaire et homme politique Iakov Sverdlov, mais antibolchevik farouche. N’ayant étudié qu’à l’école paroissiale, il s’entretenait d’égal à égal avec les grands écrivains, les chefs militaires et les hommes politiques. Un destin étonnant aux nombreuses péripéties et aventures.
 
Fils adoptif de Maxime Gorki
 
Futur légionnaire français et ami de Charles de Gaulle, Zinovi Sverdlov est né en 1884 dans la famille d’un artisan juif à Nijni Novgorod (Volga). Originaire de la même ville, le grand écrivain  Maxime Gorki (de son vrai nom Alexeï Pechkov), connaissait la famille Sverdlov et aimait tout particulièrement Zinovi, avide de savoir et prêt à toutes les aventures.
 
Le jeune homme entre rapidement dans l’entourage de l’écrivain, où il fait connaissance avec nombre d’intellectuels protestataires et s’intéresse aux idées révolutionnaires  qui lui valent même des problèmes avec la police. Mais, selon les dires, lorsque Zinovi se convertit à la religion orthodoxe, sa famille juive le renie. Il devient ensuite le fils adoptif de Gorki qui lui donne son nom de famille.
Zinovi a un grand talent artistique, une belle voix et l’oreille absolue, au point qu’il veut entrer à la Philharmonie impériale. Mais les circonstances en décident autrement : à vingt ans, il quitte la Russie à la recherche d’aventures et d’un emploi intéressant. En outre, il souhaite échapper à l’œil un peu trop vigilant de la police.
Ami du général de Gaulle
Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande… Zinovi Pechkov travaille à l’étranger comme chargeur dans une briqueterie et comme ouvrier dans une ferme à fourrure et une imprimerie. Il se lance dans le commerce, mais fait rapidement faillite. Il trouve ensuite un emploi dans une maison d’édition russe aux États-Unis. Puis le destin le conduit en France, où il apprend la nouvelle du début de la Première Guerre mondiale.
À la différence de ses connaissances révolutionnaires en Russie, il ne souhaite pas la défaite de la monarchie tsariste et de ses alliés. Sans hésiter un instant, Zinovi se porte volontaire. Les étrangers ne pouvant pas servir dans l’armée française, le fils adoptif de Maxime Gorki se retrouve dans la Légion étrangère.
 
En 1915, il est grièvement blessé au bras lors d’une attaque aux environs d’Arras. Les infirmiers le considèrent comme condamné et veulent le laisser sur le champ de bataille. Mais l’évacuation du blessé est ordonnée par… le lieutenant Charles de Gaulle. Zinovi se retrouve à l’Hôpital américain de Paris.
Les médecins se voient obligés de l’amputer du bras, mais Zinovi fait preuve d’un grand courage et apprend à se servir d’un seul bras. La même année, sur ordre du maréchal Joseph Joffre, le légionnaire russe est récompensé de la Croix de Guerre à l’Hôtel des invalides. Quelques temps après, il deviendra l’ami de son sauveur, Charles de Gaulle, avec qui il traversera plus tard une deuxième guerre.
De l’autre côté de la barricade
Dès leur adolescence, Zinovi et son frère Iakov sont passionnés par les idées révolutionnaires. Mais ils prennent des chemins radicalement différents et chacun se retrouve de son côté de la barricade, considérant l’autre comme un ennemi idéologique. Zinovi n’accepte pas la révolution d’Octobre avec ses violences et son aspiration à confisquer pour tout redistribuer.
 
 
« C’est plutôt le romantisme de la révolution, propre à la jeunesse de cette époque. Ce n’est pas par hasard qu’après 1917 Zinovi n’est plus jamais revenu en Russie, bien que l’occasion se soit présentée. Pechkoff a depuis longtemps d’autres valeurs et idéaux. Dans la guerre civile, il se retrouve du côté des Blancs », affirme l’écrivain et journaliste Armen Gasparian, membre du Conseil central de la Société russe d’histoire militaire, auteur de nombreux livres sur l’histoire militaire.
Son frère Iakov est l’initiateur de la Terreur rouge et de la répression contre les cosaques. Il tient également un rôle dans l’exécution de la famille du tsar. Il renie son frère Zinovi, le qualifiant « d’agent de la Triple Entente ». Au début de l’année 1919, Zinovi envoie un télégramme à son frère : « Iachka (diminutif de Iakov), quand nous nous emparerons de Moscou, nous pendrons en premier Lénine, puis se sera ton tour, pour ce que vous avez fait de la Russie ! ».
 
Toutefois, « Iachka » ne tiendra pas longtemps : la même année il est victime de la pandémie de grippe espagnole. Mais ce n’est qu’une version officielle : on sait combien Lénine n’appréciait pas ses concurrents…
Agent russo-français
La perspicacité et l’astuce, une capacité à établir avec facilité les contacts nécessaires, des propos convaincants et éclatants, le talent à gagner ses interlocuteurs à sa cause : tous ces dons « trouvent preneur » en France. C’est ainsi que Zinovi Pechkoff entame une carrière diplomatique. Une carrière impétueuse : il est rapidement dépêché dans différents pays avec des missions très sérieuses, voire secrètes.
Durant la guerre civile en Russie, Zinovi fait partie de la mission diplomatique française. Il aide énergiquement les affamés en envoyant des chargements depuis Le Havre et Marseille, et en évacuant de nombreux compatriotes d’une Russie en proie à la guerre civile.
Il se charge également de missions militaires. Il part pour le Maroc où il commande une compagnie. L’écrivain André Maurois dit qu’il est l’un des chefs « qui savent relever +Les Humiliés et les Offensés+ » et que ces derniers commencent à comprendre « la grandeur de l’œuvre à laquelle ils sont associés. La Légion étrangère a hérité de la mission de la Légion romaine ». Ces hommes « servent ici la civilisation ».« Et quand le commandant Pechkoff lui-même, les yeux brillants de foi, parle de ses hommes avec cette simplicité humaine et directe que le lecteur aimera dans son livre, ses amis pensent : un apôtre », indique André Maurois.
 
Malgré la position antibolchevique de Zinovi, les structures de sécurité françaises le surveillent d’un œil vigilant. En effet, son frère est un homme politique éminent et son père adoptif et un écrivain adulé par le pouvoir soviétique. Ce qui éveille bien des soupçons. Sans raison, affirment aujourd’hui les historiens.
« Pechkoff ne travaillait pas pour le 7ème département (du renseignement extérieur) du ministère de l’Intérieur. Moscou possédait d’autres sources d’information en France. Toutefois, il est facile de comprendre les doutes de Paris. D’autant plus que la presse de l’époque publiait tous les jours des articles sur des gangsters bolcheviks dans la capitale française. Même les simples émigrés étaient suspects, sans parler de personnages comme Zinovi Pechkoff. Mais à ce que je sache, la Sûreté n’a trouvé aucun fait qui aurait prouvé ses éventuelles relations avec Moscou », souligne Armen Gasparian.
 
Fidèle à la France  jusqu’au dernier jour
En 1940, Zinovi ne reconnaît pas le pouvoir des occupants nazis et refuse de continuer à servir sous le commandement des Allemands. Il est arrêté et le tribunal militaire le condamne à être exécuté. C’est son talent de diplomate et son expérience militaire qui lui sauvent la vie : il persuade son gardien d’échanger la montre en or de Maxime Gorki contre une grenade, réussit à prendre en otage le commandant et à s’emparer d’un avion pour rejoindre Charles de Gaulle.
Son vieil ami connaît tous les talents de Zinovi et lui confie des missions très sérieuses. En Afrique du Sud, Pechkoff réussit à convaincre les autorités locales de se ranger du côté des Alliés. Il se place ensuite à la tête de la mission française en Chine puis au Japon. Il reçoit enfin le rang d’ambassadeur de France.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Zinovi reçoit de nombreuses décorations et distinctions, dont la grand-croix de la Légion d'honneur, et devient général de bridage de l’armée  française. En 1950, il prend sa retraite et vit à Paris, rue Lauriston.
Il est décédé à l’âge de 82 ans à Paris et repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Des militaires et politiques éminents sont venus lui faire leurs adieux. Selon son testament, sa tombe ne porte que l’inscription suivante : « Zinovi Pechkoff Légionnaire ».





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Commandant » Pechkoff (1884-1966)
De l'armée à la diplomatie au service des intérêts français

https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2001-2-page-243.html,#
 

« Dans toute mon existence, je n’ai entendu que deux êtres parler de la France avec le même accent : ma mère et le général de Gaulle. Ils étaient fort dissemblables, physiquement et autrement. Mais lorsque j’entendis l’appel du 18 juin, ce fut autant à la voix de la vieille dame qui vendait des chapeaux au 16 de la rue de la Grande-Pohulenka à Wilno, qu’à celle du Général que je répondis sans hésiter. »
Romain Gary, La promesse de l’aube,Paris, Gallimard, 1960, p. 102.

1      Il est des personnages historiques dont l’envergure, les idées, les actes peuvent à eux seuls modifier le cours des événements, influencer leurs contemporains, quelquefois même durablement marquer l’environnement dans lequel ils ont évolué. L’historien leur doit une part de son attention. Il peut aussi choisir de projeter ses feux sur un individu pour en faire un exemple vivant, dans toute sa complexité d’homme, un exemple type représentant d’un groupe social ou politique dont l’élu présente tout ou partie des caractéristiques, fonctions, signes culturels ou symboles identitaires. À ce titre, le « commandant » Pechkoff personnalise avec chaleur et générosité ces Russes exilés amis de la France qui, mieux que d’autres, pour ne lui être attaché ni par le sang ni par le sol mais par l’esprit, l’ont défendue avec talent. Les Russes blancs, juifs et non juifs, vrais ou faux aristocrates, intellectuels ou artistes, ont en effet joué un rôle essentiel dans le réseau international des amitiés de la France au moins dans la première moitié du siècle. Ils ont aussi servi de « passeurs culturels » entre le Vieux et le Nouveau Monde.
2      Au risque de n’être pas original, nous présenterons tour à tour l’homme, le soldat et le diplomate.
3     Prénommé Zinovi, il est né à Nijni-Novgorod le 16 octobre 1884. C’est le fils de Mikhail Israelievitch Sverdlov (graveur) et d’Élisabeth Salomonovna. Son frère cadet, Iakov Mikhailevitch, opposant au régime (il avait même été compagnon de cellule d’un certain Iossip Djougachvili), allait devenir le premier président du comité central exécutif de l’État bolchevique ainsi que le premier secrétaire général du parti, incontournable bras droit de Lénine dans les deux années qui suivent la révolution d’octobre  [2] Mais pour l’heure, c’est dans un milieu bourgeois que grandissent les deux frères dans cette grande ville chargée d’histoire et pourtant si provinciale de Nijni-Novgorod. En 1902, le jeune Zinovi, entre à l’école philharmonique de sa ville natale l’année même où son frère est arrêté pour la première fois par la police pour agitation subversive [3] Comme les portes de l’école lui seraient restées fermées en tant que juif, il reçoit à 18 ans le baptême orthodoxe [4][ De ses années d’adolescence, on sait peu de choses si ce n’est que chez les Sverdlov, on reçoit beaucoup et que l’un des familiers se nomme Alexis Maximovitch Pechkoff (1868-1936), plus connu en France sous le nom de Maxime Gorki [5] Cet écrivain réaliste vient de signer en 1902 une pièce de théâtre sur la misère des villes de l’empire, une pièce qui connaît un grand succès à travers l’Europe : Les bas fonds [6]Les liens d’affection qui lient l’écrivain engagé et l’adolescent bourgeois amènent l’un à considérer l’autre comme son filleul, son fils adoptif [7], bien qu’il n’y ait jamais eu d’adoption officielle [8] Plus tard, il l’autorisera à porter son propre nom : Pechkoff. Peut-être pour cacher son nom juif et passer plus facilement les frontières de l’empire ? Est-ce aussi pour cette raison qu’il ne fit pas d’études à l’Université [9] ?
4      À 20 ans, avide de découvrir le monde, influencé par son parrain et refusant de faire son service militaire dans l’armée du tsar, Zinovi part pour le Canada. Il quitte la Russie à la veille des événements de 1905 et en pleine période de pogroms [10]. À Toronto, il travaille dans une usine de pelleterie puis enchaîne les « petits boulots », apprenant l’anglais sur le tas. « Zina » [11] est à New York en avril 1906 pour y accueillir Gorki venu collecter des fonds pour la révolution [12]. C’est lui qui s’occupe de l’intendance, sert de traducteur pour lire les nouvelles et rédiger le courrier. À cette époque, Gorki écrit de son fils adoptif : « Zinka est devenu une personne intéressante. Il n’écrit pas mal du tout. Je pense qu’il parviendra même à bien écrire. L’une des choses qu’il a rédigée sera bientôt publiée ici [à New York], et il l’enverra aussi en Russie. Il a souffert bien des désagréments aux États-Unis et il a développé une intelligence pleine de malice. À l’automne, il ira en Australie, en Guinée et dans d’autres pays de langue anglaise. » [13]. Travaillant à droite et à gauche pour subsister, et après maintes pérégrinations qui entraînent le jeune homme à traverser les États-Unis, il s’embarque finalement pour la Nouvelle-Zélande à la recherche d’or... Un peu plus de deux ans après avoir quitté Nijni-Novgorod, il est de retour en Russie au terme d’un voyage initiatique dont il convient de noter qu’il était par ailleurs traditionnel pour la progéniture des élites de l’Europe comme pour celle des États-Unis. Mais la Russie ne le retient pas. Craint-il d’être arrêté ou conduit à la caserne ? Il repart. Gorki, de son côté, après avoir été l’un des acteurs éminents de la révolution de 1905, a quitté la Russie impériale [14]. Écrivain reconnu, il a fui la censure et, après un court séjour sur les rives de la Seine, s’est installé à Capri. C’est là qu’il y invite son filleul. Depuis le début du siècle, sa renommée est internationale. Son roman social, son style, son combat, annoncent la révolution d’octobre. En se rendant à Capri, Zinovi rejoint son maître et, échappant à une formation universitaire classique, profite des leçons de son exceptionnel précepteur et « père ». Il restera en Italie jusqu’à la veille de la Grande Guerre et y épousera en 1910 une italienne, fille d’un colonel cosaque, Lydia Bourago [15]. En plus du russe, de l’anglais et du français qu’il pratique déjà, il apprendra donc aussi l’italien.
5     Toutefois, à la différence de Gorki ou de son frère Iakov, la révolution socialiste ne l’attire pas. Son caractère le pousse à l’action certes, mais peu à la réflexion idéologique. Le combat de Iakov n’est pas le sien, les relations qu’il entretient avec sa famille semblent lâches, épisodiques. Entre 20 et 30 ans, les idées du jeune homme se sont affermies et en même temps modifiées. Son antimilitarisme de jeunesse a disparu. Son opposition au régime tsariste, nourrie par les discussions politiques familiales, à supposer qu’elle ait jamais existé, ne s’est pas enracinée. Au contraire, le jeune homme, à l’image de ceux qui sont si nombreux à répondre partout en Europe à l’appel aux armes, s’est laissé gagner par la fièvre nationaliste au grand chagrin de Gorki. Lorsque la guerre éclate à l’été 1914, Zinovi prend une initiative qui, pour une grande part, décidera de son existence. Il se présente au consulat de France à Gênes et demande à s’engager dans la Légion étrangère. Il a 29 ans. Son engagement est enregistré au bureau de recrutement de la Légion à Nice [16]. Il est immédiatement affecté, étant donné les circonstances, au second bataillon de marche du 1er Régiment étranger comme simple soldat.
6    Son engagement pour la France s’explique sans doute par plusieurs raisons. Pour les intellectuels russes du XIXe siècle, Paris représente autant la cité des arts et des lettres que Berlin celle des sciences et de la technique [17]. Gorki lui-même a d’abord choisi Paris [18]. Paris 1900, c’est non seulement la capitale de l’art nouveau, le Paris de la belle époque, mais aussi l’un des rares espaces de liberté en Europe avant 1914 et par suite le rendez-vous des artistes et écrivains de tous horizons. Enfin, il est probable que Zinovi ait appris la langue française à l’école comme il n’était pas rare dans la bourgeoisie russe avant 1900. Ajoutons que les feux de l’actualité, depuis l’accord franco-russe de 1893, ont renforcé l’intérêt réciproque des deux nations. Cette décision provoque toutefois une rupture douloureuse, même si elle n’est que temporaire, avec son parrain [19].
7    Guère plus de huit mois après s’être engagé dans l’Armée française, alors qu’il vient d’obtenir le grade de caporal, il est gravement blessé à Vimy. Après une évacuation épique du champ de bataille, la gangrène lui fait perdre son bras droit [20]. Amputé, il reçoit la médaille militaire avec palme. Il est réformé le 3 avril 1916. Mais l’homme n’est pas fait pour rester inactif. Il s’engage de nouveau trois mois plus tard. Il est envoyé en mission temporaire aux États-Unis au milieu d’août 1916 comme instructeur pour le compte du ministère français des Affaires étrangères et promu à cette occasion officier-interprète de 3e classe. Sa connaissance de l’anglais autant que son expérience au front le désignent pour sensibiliser soldats et officiers américains à la guerre des tranchées. Plus tard, il écrira : « J’ai parcouru tous les États-Unis, des côtes de l’Atlantique au Pacifique, en faisant des conférences sur la guerre. Ma mission devait durer trois mois, l’ambassadeur de France à Washington [Jean-Jules Jusserand], vu la prochaine entrée en guerre de l’Amérique, a demandé mon maintien en Amérique. J’y suis resté jusqu’au 1er mai 1917. » [21] . Sa distinction, son énergie, ses qualités humaines autant que ses compétences linguistiques et son entregent l’ont fait remarquer de l’état-major. Il est promu capitaine.
8     Aussitôt de retour, il est envoyé sur le front russe par le ministère de la Guerre auprès de la mission militaire commandée par le général Janin. La situation militaire est catastrophique. Le front russe se disloque. Pechkoff reste en Russie de mai 1917 à la fin d’octobre 1919 [22]. D’abord en mission à Petrograd, d’où il conduit le premier secrétaire de l’ambassade, Charles de Chambrun, auprès de Maxime Gorki [23] ; ensuite auprès de la mission militaire française à Kiev [24]. De là il aurait rejoint l’état-major du général Berthelot à Iassy pour aider à la réorganisation de l’armée roumaine [25]. Après la prise de pouvoir par les Bolcheviks, il dépend du ministère français de l’Intérieur, ce qui laisse à penser que ses prérogatives sont de moins en moins militaires et de plus en plus politiques. A-t-il alors travaillé pour le deuxième bureau ? En tant que frère de Sverdlov, intime de Gorki, il pouvait effectivement servir d’intermédiaire dans les relations naissantes entre le pouvoir révolutionnaire et le gouvernement français [26]. Son grade d’officier subalterne l’empêcha toutefois de jouer un rôle de premier plan. Quatre jours après Brest-Litovsk [27], Pechkoff reçoit de l’état-major « ordre de se rendre en Sibérie orientale par l’Amérique et le Japon, le ministère des Affaires étrangères me confiant une mission à Washington [28]. [...] À la fin de juillet [1918] j’ai rejoint le détachement de l’Ataman Semenoff [29] opérant en Mandchourie » [30]. Dans un premier temps, Pechkoff rejoint la mission Janin en Sibérie orientale pour réorganiser les trente mille soldats tchèques, ex-prisonniers de l’armée autrichienne, et préparer l’ouverture d’un front oriental contre les Bolcheviks. Dans un second temps, les gouvernements occidentaux ayant décidé de se faire représenter auprès des gouvernements nés sur les marches méridionale et orientale de l’empire (dans le Caucase, en Asie centrale, Crimée et Sibérie notamment), Pechkoff est l’un des officiers agents de liaison qui représentent auprès d’eux le gouvernement français [31]. Sa mission prend fin à l’hiver 1919. L’Armée rouge l’emporte.
9     Devenu capitaine à titre définitif dès son retour à Paris, il est brièvement réintégré dans son régiment d’origine, le 1er Étranger stationné en métropole. Mais la vie de garnison en temps de paix ne lui convient guère, et il obtient dès le printemps 1922 son affectation au Maroc où, quelques mois plus tôt, Abd el-Krim a pris la tête de la révolte contre l’occupant, français et espagnol [32]. Pendant trois ans, il fait la guerre à la tête de son bataillon de soixante hommes, faisant preuve d’un courage exemplaire [33]. Seule une seconde blessure grave l’oblige à se remettre temporairement à la disposition des Affaires étrangères. Après quelques années passées dans le monde de la diplomatie, n’y tenant plus, il demandera une fois de plus à retrouver la vie qui lui plaît, celle de soldat. De ses dix dernières années d’active au Levant, on ne sait presque rien sinon qu’il débarque à Beyrouth le 11 septembre 1930 pour être mis au service du haut-commissaire de la République française en Syrie et au Grand Liban. Sauf une mission au Maroc (décembre 1932 - septembre 1933), il séjournera constamment au Moyen-Orient. C’est durant ces années qu’il apprendra la mort de Gorki [34]dont les cendres sont portées en terre, lors d’une cérémonie d’obsèques grandiose par les plus hauts dignitaires du régime. Zinovi Pechkoff avait repris le chemin de Sorrente une ou deux fois au début des années 1930, pour aller voir celui pour qui il avait tant d’affection, peut-être aussi pour lui présenter Jacqueline Delaunay-Belleville qu’il a épousée en janvier 1933 [35]. Et puis, c’est à nouveau la guerre. Atteint par la limite d’âge de son grade en vertu de la loi du 1er août 1940, il est mis à la retraite après vingt-cinq années de service.
10     Depuis le début des années 1920, Pechkoff a effectué plusieurs missions pour le compte des Affaires étrangères, en particulier aux États-Unis. L’une en 1921 dans des conditions mal élucidées, l’autre plus longue de novembre 1925 à mai 1930 sur laquelle nous possédons plus de renseignements et qui fait bien apparaître les qualités et la nature de l’homme. Après avoir participé à l’organisation du congrès de l’American Legion à Paris en 1925 (un événement qui ne rassemble pas moins de 30 000 membres américains) [36], le capitaine Pechkoff est dépêché aux États-Unis avec mission d’entretenir les relations amicales dans les milieux militaires et les associations d’anciens combattants [37]. Il est officiellement chargé d’une tournée de conférences à travers tout le pays. Mais à l’automne 1926, alors que sa mission a été prolongée pour un an supplémentaire, la sortie du film Beau Geste [38], produit par la compagnie Paramount émeut les autorités françaises [39]. Celles-ci souhaitent rétablir devant l’opinion américaine une image de la Légion étrangère qui soit davantage conforme aux intérêts français [40]. Alors que le gouvernement français tente avec succès de faire modifier ou interdire le film en Europe et en Amérique latine [41], il suggère aussi à la MPAA de faire tourner un second film sur la Légion afin de corriger l’impression produite [42]. Une proposition retenue par Paramount, peu désireuse de se priver du marché français, mais qui intéresse aussi par la suite d’autres producteurs [43].
11     Pechkoff se voit alors confier successivement plusieurs missions. Il est d’abord chargé de rédiger un livre sur la Légion étrangère spécialement destiné aux lecteurs anglo-saxons. Le livre, intitulé The Bugle Sounds. Life in the Foreign Legion, relate sa propre expérience de légionnaire au Maroc de mars 1923 à juin 1925. Préfacé par André Maurois, il est publié chez Appleton Books Company simultanément à New York et Londres au printemps 1927 [44]. Le livre, à l’image de son épilogue, est un véritable plaidoyer pour l’œuvre colonisatrice de la France au Maroc. Le récit s’achève montrant Abd el-Krim, vaincu et en partance pour l’exil, jeter un regard sur des légionnaires construisant une route en direction de l’Atlas. André Maurois avait donné le la dès les premières pages en comparant la Légion étrangère à la Légion romaine [45]. Pechkoff assure ensuite la promotion de son livre par une tournée de conférences, d’émissions de radio et d’interviews [46]. Enfin, il rédige à partir de son livre, un scénario d’une soixantaine de pages qui deviendra en 1929 le film Bugle sounds. En effet, dès octobre 1927, la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) a fait savoir qu’elle était intéressée par l’idée de tourner un film basé sur l’ouvrage du commandant Pechkoff [47]. Tandis que la correspondance entre Will H. Hays et l’ambassadeur Claudel rend compte du bras de fer qui se joue entre la MPAA et le gouvernement français [48], Pechkoff annonce au Service des œuvres que l’affaire avec la MGM est conclue. En accord avec le producteur et l’ambassadeur de France, le commandant Pechkoff conseillera le réalisateur, contrôlera la mise en scène sur les lieux même du tournage et rendra compte du montage avant la présentation publique du film [49].
12     L’équipe technique de la MGM accompagnée du commandant Pechkoff et d’un autre agent des services français à Hollywood, Valentin Mandelstamm [50], est à pied d’œuvre en avril 1928 pour six semaines de tournage [51]. Pechkoff retrouve le Maroc et le désert du Sahara algérien, il retrouve aussi de solides inimitiés de la part de légionnaires d’origine russe qui lui reprochent son comportement en Russie en 1918-1919 [52]. S’est-il lui aussi indûment enrichi durant sa mission en Russie ? Lui reproche-t-on plus simplement d’être le frère de celui qui ordonna l’assassinat des Romanov [53] ? Quoi qu’il en soit, le tournage et le séjour au Maroc se déroulent normalement [54]. À son retour en Californie, Pechkoff appréhende de devoir rester à Hollywood pour superviser la fin du tournage de son film prévue en mars de l’année suivante. « Ce milieu, ces gens, tout cela n’est pas sympathique et étranger à mon caractère. Je ne suis pas heureux ici et je ne suis pas moi-même dans ce milieu et cette vie trop factice. » [55] Il passera cependant encore deux années à Hollywood comme agent de contrôle des scénarios touchant la France et son armée. Francis Scott Fitzgerald (dont le premier séjour à Hollywood date de 1927) pensait-il à lui en campant au milieu des nababs un « homme turbulent qui avait fait son service militaire dans la Légion étrangère », « éprouvait à l’égard des juifs une hostilité vague dont il essayait de se guérir » et pour qui « les hommes d’affaires en général [...] paraissaient être des gens assomants » [56] ? Enfin, au printemps 1930, le Service des œuvres lui rend, à contrecœur, sa liberté. « J’aurais bien volontiers prolongé la mission que je vous avais confiée aux États-Unis, et dont vous vous étiez acquitté à mon entière satisfaction, mais j’ai respecté votre désir de reprendre le plus tôt possible du service dans un corps de troupe de la Légion, et d’être remis à la disposition du ministère de la Guerre. » [57.
13     Après dix ans au Levant pour le compte du ministère de la Guerre, le voilà donc mis à la retraite par Vichy [58]. Mais à 55 ans, Pechkoff commence à peine sa carrière diplomatique. Pourquoi s’engage-t-il dans les Forces françaises libres ? Probablement moins parce qu’il est juif converti que parce que c’est un homme d’action. Rallié au général de Gaulle dès août 1940 [59], ce n’est pas en tant que soldat qu’il luttera pour la France libre, mais comme un agent de confiance à qui il est assigné des missions diplomatiques précises et parfois délicates. Ainsi, il accompagne René Pleven lors d’une mission à Washington à l’été 1941 au sujet du sauvetage des scientifiques français et de leur possible participation à l’effort de guerre américain [60]. Il est aussi le délégué de De Gaulle en Afrique du Sud, puis son émissaire à Madagascar où il participe au ralliement forcé de l’île. Il sert de médiateur entre de Gaulle à Londres et Giraud à Alger [61]. Promu lieutenant-colonel puis colonel, il est nommé général à titre fictif pour une mission de renseignement en Chine au printemps 1943 [62]. Trois mois plus tard, il devient le délégué du Comité français de libération nationale auprès de Tchang Kaï-Chek à Chongqing, alors siège du gouvernement nationaliste [63]. Jacques Guillermaz, l’attaché militaire qui le rencontrera sur place après guerre, le décrit ainsi : « Taille médiocre, traits réguliers, crâne rasé, vif et mobile d’allure. [...] Esprit subtil, insaisissable même, il engageait plus souvent son opinion par de soudaines remarques que par des développements argumentés, mais savait ce qu’il voulait ou plutôt ce qu’il ne voulait pas. [...] Bon chrétien, il disait lire chaque jour l’Imitation de Jésus-Christ. » [64]. C’est à l’automne 1944 que l’administration régularise sa situation. Il est définitivement rayé des cadres de l’Armée [65] pour être aussitôt élevé à la dignité d’ambassadeur de France et nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès du gouvernement nationaliste [66]. Il le restera jusqu’à la chute de ce même gouvernement cinq ans plus tard, non sans avoir accepté brièvement d’être le chef de la mission française de liaison auprès du général Mac Arthur à Tokyo (1946). La fin de 1949 sonne enfin le glas d’une retraite méritée pour Zinovi Pechkoff.
14     Pourtant, en janvier 1964, à près de quatre-vingts ans, c’est encore à lui que pensera de Gaulle lorsqu’il voulut, à titre personnel et officieux, prévenir Tchang Kaï-Chek de la décision du gouvernement français de reconnaître prochainement la Chine populaire [67]. Il fallait trouver, pour ce geste de courtoisie diplomatique envers le généralissime, un homme de confiance, un homme qui sût avec tact transmettre un message douloureux à son destinataire.
15     Cette expérience individuelle, cette vie si riche, si pleine, en quoi peut-elle intéresser l’historien des relations internationales et que nous apprend-elle sur le rôle des amis étrangers de la France ? D’abord, l’exemple de Pechkoff confirme le rôle essentiel des juifs exilés de Russie et plus largement d’Europe centrale dans les relations entre les États pendant les cinquante premières années du siècle. En même temps, il offre un exemple concret du profil exceptionnel de ces exilés polyglottes dont la culture s’enrichit à chaque étape de leur fuite vers davantage de liberté. Jusqu’en 1940, Paris est pour beaucoup une étape obligée, sinon la dernière. C’est cette piste des Russes blancs, passeurs culturels entre l’Europe et l’Amérique, qui nous a menée à Zinovi Pechkoff. La plupart des grands imprésarios new-yorkais, les professionnels de la danse aussi bien que de nombreux artistes, peintres ou musiciens, ont suivi cette voie [68]. Ils ont fui l’Europe centrale ou orientale, se sont réfugiés en France à la veille ou au lendemain de la Première Guerre mondiale, pour venir ensuite aux États-Unis. Rares sont ceux qui comme Pechkoff deviennent diplomates (c’est tout de même le cas de Romain Gary) [69], mais ils sont en revanche nombreux à avoir utilisé leurs relations sur le vieux et le nouveau continent pour jouer un rôle, parfois essentiel, de vecteur des flux culturels. Qu’ils soient ou non diplomates ne change rien au fait qu’ils ont appartenu au cercle mouvant des amis de la diplomatie française. À cet égard, Pechkoff est l’exemple parfait d’un homme qui, par goût personnel, préfère l’odeur de la poudre et du sable à l’ambiance feutrée des salons. Pourtant, le gouvernement français n’aura de cesse de lui confier des missions diplomatiques, de renseignement, de propagande, d’information ou même de négociateur (comme en Chine). Comment le Quai d’Orsay aurait-il pu ne pas utiliser les compétences d’un homme aussi polyvalent, également capable de servir de scénariste aux producteurs d’Hollywood, que de conseiller militaire au très temporaire gouvernement d’Omsk, capable de mener un bataillon au feu comme de négocier avec le chef de l’OSS à Washington ?
16     Croix de Guerre 1914-1918, titulaire de la Médaille militaire, Croix de la Libération (1945), Grand-Croix de la Légion d’honneur (12 juillet 1952) après avoir gravi un à un tous les honneurs de l’ordre [70], Zinovi Alexeiévitch Pechkoff est mort dans la patrie qu’il avait choisie, à Paris, le 27 novembre 1966. Sur sa tombe, au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, sont gravés trois mots : « Légionnaire Zinovi Pechkov », en souvenir de cet homme aux compétences et aux talents multiples, « pion » exceptionnel aux services de la diplomatie française [71].



Notes
Nous remercions le général Bach, chef du Service historique de l’armée de terre, d’avoir accédé à notre demande et déclassifié, avec quelques années d’avance à titre exceptionnel, le dossier militaire du général Pechkoff (Service historique de l’armée de terre, Vincennes, dossier no 14Yd672). La prescription réglementaire concernant les dossiers de généraux est normalement de cent vingt années à partir de la date de naissance de l’intéressé.
D’un an plus jeune que Zinovi, il mourut prématurément (de maladie) en 1919, à 34 ans. En 1924, le régime baptisera en son honneur la ville de Iékaterinbourg du nom de « Sverdlovsk », au pied des monts Oural. La ville gardera son nom jusqu’en 1990 avant de retrouver sa précédente dénomination. Archie Brown (ed.), The Soviet Union. A Biographical Dictionary, New York, Macmillan Publishing Cy, 1990, p. 379.
Henri Troyat, Gorki, Paris, Flammarion, 1986, p. 148, et Brown, op. cit., p. 379.
Sa conversion est, au moins en partie, le fruit du système coercitif établi pour séparer l’élément juif de la société russe.
En 1892, lors de l’édition de son premier ouvrage, Makar Tchoudra, il avait choisi ce nom de plume en souvenir de son père décédé lorsqu’il avait 4 ans et qui, à cause de sa langue « pointue », avait été surnommé l’ « amer » (gorki en russe).
La même année, il est élu académicien dans la section des Belles-Lettres, élection annulée par ordre du tsar.
C’est ce que dit Gorki dans Souvenirs de ma vie littéraire, Paris, 1923. Était-il, comme le suppute le New York Times après la mort de Zinovi « Pechkoff », le fils illégitime de l’écrivain ? (New York Times, 29 novembre 1966, p. 44, col. 1). Rien ne permet de l’affirmer.
Henri Troyat, op. cit., p. 148 (corroboré par le dossier militaire). Gorki, marié en 1896, avait lui-même un fils, Maxime (né en 1897), et une fille, Katioucha (née en 1901). La rencontre avec la famille Sverdlov date de 1900 environ.
Des quotas à l’entrée des universités russes étaient l’une des multiples interdictions édictées par le gouvernement pour faire des juifs des citoyens de second ordre. Trostky avait réussi à contourner l’obstacle, Zinovi Sverdlov non.
Des pogroms qui frappent Kishinev, Kiev, Yekaterinoslav, mais aussi d’autres villes secondaires de 1903 à 1906, cf. Élie Barnavi, A Historical Atlas of the Jewish People, New York, Alfred A. Knopf, 1992, p. 190-191.
Zina ou Zinka, diminutifs affectueux que son parrain utilise dans sa correspondance d’avant 1914 pour parler de Zinovi Pechkoff.
Maksim Gorky, Selected Letters, traduites (du russe en anglais) et présentées par Andrew Barratt et Barry P. Scherr, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 111-112.
Maksim Gorky, Selected Letters, op. cit., p. 117-118.
Suite à son arrestation et son emprisonnement qui ont d’ailleurs provoqué des mouvements de protestation dans le monde entier. Nina Gourfinkel, Maxine Gorki, Paris, Seuil, 1977, p. 45.
Maksim Gorky, Selected Letters, op. cit., p. 148. De ce premier mariage, il aura une fille, Élisabeth. Devenu veuf, il se remariera plus tard avec une Française dont il aura un fils, Xavier.
L’état général de ses « services et campagnes » le porte engagé volontaire pour la durée de la guerre à la date du 31 août 1914.
Cf. parmi bien d’autres exemples, la vision européenne des personnages d’Ivan Tourgueniev dans Pères et fils, publié en 1862.
Il a pourtant eu fort à faire avec les journalistes français qui n’ont pas épargné cet exilé révolutionnaire au visage taillé au couteau et à la moustache rebelle. Nina Gourfinkel, op. cit., p. 48-49.
En exergue de l’un de ses ouvrages, Gorki écrivit à l’été 1917 : « À mon fils tendrement aimé, devenu – est-ce possible ? – un Français chauvin », cité par Charles de Chambrun, op. cit., p. 221. Zinovi n’obtint toutefois sa naturalisation qu’en 1923. SHAT, dossier 14Yd672, lettre du MAE au cabinet du ministre de la Guerre, 24 mai 1927.
Grégoire Alexinsky raconte à propos de l’attitude de Gorki : « Son fils adoptif [...] fut grièvement blessé en 1915, et transporté à l’hôpital américain de Neuilly où j’allai le voir. Amputé du bras droit, le jeune caporal ne pouvait pas écrire et me demanda de prévenir Gorki. Gorki me répondit qu’il regrettait d’apprendre que son fils adoptif avait perdu un bras dans une guerre impérialiste, sans me poser aucune question sur l’état de santé du blessé. Sa lettre était si dure et sèche que je préférai ne pas la communiquer à son fils. Mais si mes souvenirs sont exacts, ce dernier reçut, de son père, une missive du même genre... », La vie amère de Maxime Gorki, Paris, Arthaud, 1950, p. 177-178.
SHAT, 14Yd672, rapport de Zinovi Pechkoff au colonel commandant le 1er Régiment étranger, 3 mars 1922. Son départ coïncide avec l’entrée en guerre des États-Unis quelques semaines plus tôt. Mission accomplie.
À la date du 4 juillet 1917, Gorki écrit : « Zinovi est parti pour le front assurer la liaison avec Kerensky », Maksim Gorky, Selected Letters, op. cit., p. 202-203. Kerenski occupe alors les fonctions de ministre de la Défense.
Au diapason de la presse russe d’extrême gauche en 1917, la Vie nouvelle, journal de Maxime Gorki, avait publié un article qui avait soulevé l’indignation de l’ambassadeur Joseph Noulens. Celui-ci avait chargé son adjoint de prier Gorki de faire cesser cette campagne de presse hostile à la France. Charles de Chambrun, op. cit., lettre du 7 août 1917, p. 214-215, et Joseph Noulens, Mon ambassade en Russie, 1917-1919, Paris, Plon, 1933, 2 vol.
Sur le rôle des officiers français de la mission, cf. Wolodymyr Kosyk, La politique de la France à l’égard de l’Ukraine mars 1917 - février 1918, Paris, Publications de la Sorbonne, 1981, p. 141-142 et 179.
Anne Hogenhuis-Seliverstoff, Les relations franco-soviétiques, 1917-1924, Paris, Publications de la Sorbonne, 1981, p. 47.
Un rôle mal éclairci et peut-être même ambigu comme le suggérera plus tard une note du deuxième bureau. « En ce qui concerne le commandant Pechkoff, dont le loyalisme envers la France ne semble pas devoir être mis en doute, il y a lieu de tenir compte qu’il a joué en 1917, lors de son affectation à la mission militaire française en Russie, un rôle assez mal défini à l’égard de ses compatriotes », AMAEN-SOFE, dossier no 92, note pour le cabinet du ministre de la Guerre, 4 avril 1928.
Traité de paix séparé du 3 mars 1918 par lequel la Russie reconnaît sa défaite et abandonne à l’Allemagne une importante partie de son territoire.
Pour régler l’intervention interalliée concertée sur tous les fronts, y compris le front oriental et servir d’agent de liaison avec l’amiral Koltchak et le général Denikine qui opèrent l’un en Crimée l’autre dans le sud de la Russie et le Caucase.
Ataman ou hetman désigne un officier de cavalerie de cosaques. Semenoff était, avec Koltchak, Denikine et Wrangel, l’un des principaux chefs des troupes blanches pendant la guerre civile en Russie de 1918 à 1919.
SHAT, 14Yd672, rapport de Zinovi Pechkoff à colonel commandant le 1er Régiment étranger, 3 mars 1922.
Selon le New York Times du 19 juin 1927, il aurait aussi vécu au siège de Sébastopol et procédé à son évacuation sous les ordres de Wrangel.
La guerre du Rif durera presque sept ans (1921-1926).
Selon son dossier militaire, il est surnommé par ses hommes le « manchot magnifique ». Il est par trois fois cité à l’ordre de l’armée.
Définitivement rentré en Russie soviétique en 1933, Gorki est devenu une personnalité choyée du régime. La mort de son fils, Max, au printemps 1934, après celle de sa fille (en 1906), l’affecte profondément. Ce décès et les voyages qu’il entreprend alors à travers la Russie pour écrire un livre sur la nouvelle société soviétique expliqueraient la mort naturelle de Gorki, rongé par la tuberculose.
Née en 1906, elle n’a pas de lien de parenté avec Robert et Sonia Delaunay (même si l’origine russe de cette dernière aurait pu le laisser penser a priori), ni avec le constructeur de voiture Robert Delaunay-Belleville. Nous remercions Philippe Lacombrade et Nicolas Trévillot pour leurs renseignements précieux sur la famille de Robert Delaunay-Belleville.
Fondée en 1919, cette organisation regroupait à l’origine les vétérans du corps expéditionnaire américain de 1917-1918 avant d’accueillir bientôt les anciens combattants de tous les conflits.
C’est lors de ce séjour que le ministère de la Guerre, à la demande du Service des œuvres, lui attribue le grade fictif de commandant afin de faciliter son introduction dans les milieux américains et ainsi remplir au mieux sa mission.
La trame (muette) du film s’articule autour des trois frères Geste qui, pour éviter d’être accusés d’avoir volé, s’engagent dans la Légion étrangère et sont la proie de supérieurs brutaux et sadiques. Le film est mis en scène par Herbert Brenon (1880-1958), réalisateur d’origine irlandaise, d’après une nouvelle d’un ancien officier britannique de la Légion étrangère, le major Percival C. Wren.
L’année précédente déjà le film de King Vidor intitulé The Big Parade, produit par lMGM et prenant pour thème la Grande Guerre, avait fait réagir le gouvernement français. Le tort du scénario aux yeux des autorités françaises était de n’envisager la guerre qu’à partir de 1917 en n’y montrant que des soldats américains dans les rôles principaux. Cf. « Comment on façonne l’opinion aux États-Unis », Journal de Rouen, 11 octobre 1926, Le Temps, 13 décembre 1926, Le Petit Parisien, 10 décembre 1926, et le Daily Mail, 5 juin 1926.
New York Herald Tribune, 12 octobre 1926 ; AMAEN-SOFE, dossier no 84, rapport du chargé d’Affaires à New York au SOFE, 28 octobre 1926, et dossier no 92, lettre de Will H. Hays, président de la MPAA au chargé d’Affaires, 26 octobre 1926 ; Ruth Vasey, The World According to Hollywood, 1918-1939, Madison, The University of Wisconsin Press, 1997, p. 57-58.
AAFW, dossier no 790, lettre du SOFE à l’ambassadeur de France aux États-Unis, 24 février 1927 dans laquelle il l’informe des conséquences de l’action diplomatique entreprise à Londres, Stockholm, Sydney et Dublin, et AMAEN-SOFE, dossier no 84, lettre type du MAE à tous les postes diplomatiques d’Amérique latine, non datée (fin avril 1927) : « Dans tous les pays où le film Beau Geste a été représenté jusqu’à présent, nos agents ont décidé d’intervenir auprès des autorités compétentes pour demander la suppression des passages de nature à porter atteinte au prestige de notre armée. Dans la plupart des cas, ils ont obtenu satisfaction. » Deux notes internes dans les archives de la MPAA (Beverly Hills, Californie, dossier Beau Geste), datées respectivement de juillet et août 1928, rapportent par ailleurs l’interdiction du film, suite à l’intervention officielle de la France, en Italie et en Roumanie.
AMAEN-SOFE, dossier no 92, lettre du ministre de la Guerre à SOFE, 30 avril 1927.
L’American Film Institute Catalog (archives de la MPAA) recense une douzaine de films hollywoodiens consacrés à la Légion étrangère réalisés entre 1931 et 1940, parmi lesquels Beau Ideal (1931), The Devil’s in Love (1933), The Legion of Missing Men et Trouble in Morocco (1937), Adventure in Sahara (1938), une reprise de Beau Geste avec Gary Cooper, dans une version parlante cette fois (1939), et Drums of the Desert (1940).
Cf. aussi l’article de Frank H. Simonds in New York Herald Tribune, 19 juin 1927.
Il existe un exemplaire de cet ouvrage à la Bibliothèque du Congrès, enregistré sous la cote : UA703. L5P4.
AMAEN-SOFE, dossier no 84, rapport de Pechkoff sur The Foreign Legion, military cloister, non daté (1927 ?), 35 p., et New York Telegram, 23 novembre 1927.
AMAE, série B-Amérique, États-Unis 1918-1929, dossier no 28, télégramme de l’ambassadeur à SOFE, 21 octobre 1927. « Le film doit être préalablement soumis à l’ambassade et au commandant Pechkoff », souligne Claudel.
AAFW, dossier no 787, lettre de Will Hays à Claudel, 16 novembre 1927 et réponse de Claudel, 2 décembre 1927 : « Si nous n’obtenons pas satisfaction, j’ai reçu officiellement avis que d’autres sanctions beaucoup plus sévères sont toutes prêtes et que l’accès du territoire français ne sera pas indéfiniment accordé à des firmes qui nous ont donné des preuves répétées de leur malveillance. » Cf. aussi Jacques Portes, De la scène à l’écran, Paris, Belin, 1997, p. 287-289, et Ulff-Moller, Jens, Hollywood’s Film Wars with France. Film-Trade Diplomacy and the Emergence of the French Film Quota Policy, Rochester, NY, University of Rochester Press, 2001, 202 p.
AMAEN-SOFE, dossier no 92, lettre de Pechkoff à Berthelot, 26 novembre 1927.
L’état-major de l’armée (deuxième bureau) fait savoir au ministère de la Guerre que la présence de Valentin Mandelstamm n’est pourtant pas souhaitable. Il aurait réalisé, associé à des hommes d’affaires américains, des bénéfices substantiels à Odessa comme fournisseur des armées de Denikine et Wrangel en 1920-1921 et « il se serait [aussi] trouvé en relations avec un centre de renseignements fonctionnant à Constantinople pour le compte des États-Unis », AMAEN-SOFE, dossier no 92, note pour le cabinet du ministre, 4 avril 1928. Sur le rôle de Mandelstamm à Hollywood, cf. Ruth Vasey, op. cit., p. 80-84.
AMAEN-SOFE, dossier no 92, lettre de V. Mandelstamm à Berthelot, 6 mai 1928.
Ibid., lettre du général Naulin à ministre de la Guerre, 26 avril 1928 et lettre du ministre de la Guerre à SOFE, 7 mai 1928.
Sur le rôle de Iakov M. Sverdlov dans l’assassinat de la famille impériale, cf. Richard Pipes, The Russian Revolution, chap. 17 : « Murder of the imperial family », New York, Knopf, 1990, p. 745-788.
AMAEN-SOFE, dossier no 92, rapport du capitaine Grivet (2e bureau) au ministère de la Guerre, 18 mai 1928.
Ibid., dossier nº84, lettre de Pechkoff à SOFE, 15 novembre 1928.
Francis Scott Fitzgerald, Le dernier nabab, Paris, Gallimard, 1976, p. 80.
SHAT, dossier 14Yd672, lettre de Chataigneau à Pechkoff, 12 mai 1930.
Il est rayé des contrôles d’officier d’active le 20 août 1940.
Même si son enregistrement administratif dans les Forces françaises libres date du 16 octobre 1941.
Il assiste à un entretien de Pleven avec William Donovan, le chef des services secrets américains à l’été 1941. Nous remercions Laurent Jeanpierre de nous avoir communiqué cette information. NARA, RG 226, entry 116 (Records of the Office of the Director, OSS), Roll 50, Frame 731-736, lettre de Pleven à Donovan, 11 août 1941.
New York Times, 29 novembre 1966, p. 44, col. 1.
SHAT, dossier 14Yd672, un ordre de mission signé de de Gaulle lui-même en date du 16 avril 1943 nomme Pechkoff chef de la mission militaire à Chongqing, adjoint au Service de renseignements d’Extrême-Orient : « Rejoindra son poste dans les plus brefs délais depuis Alger. »
SHAT, dossier 14Yd672, notice biographique, mars 1997.
Ibid.
Non sans avoir été nommé général de corps d’armée à titre honoraire.
Décret du 10 novembre 1944.
Jacques Guillermaz, Le Parti communiste chinois au pouvoir, Paris, Payot, 1979, vol. I, p. 375.376.
Les imprésarios Solomon Hurok et Nicolas Koudriavtzeff, l’éditeur Jacques Schiffrin, les réalisateurs Anatole Litvak et Léonide Moguy, l’école de danse russe (de Diaghilev à Balanchine en passant par Fokine, Massine, etc.) et les nombreux artistes, peintres (Chagall) ou musiciens (Zimbalist, Rubinstein...), tous à leur manière, ont permis le transfert des courants artistiques, des idées, des modes culturelles entre l’Europe et l’Amérique. Jean-Pierre Jeancolas rappelle aussi par ailleurs ce que le cinéma français muet doit aux Russes exilés (Quinze ans d’années 1930, Paris, Stock, 1983, p. 118-119).
De son vrai nom Romain Kacew, il est né à Vilnius en 1914 dans une ville encore partie de l’Empire russe. Il est adolescent lorsque sa mère vient s’installer à Nice. Après des études classiques, il s’engage dès 1940 dans la Résistance à Londres, puis entre au Quai d’Orsay après la guerre. En 1956, il est nommé consul à Los Angeles en même temps qu’il reçoit le prix Goncourt pour Les Racines du ciel.
La plus haute distinction de l’ordre n’était plus conférée qu’à 75 personnes en 1966, à la date du décès de Zinovi Pechkoff. Cf. le décret 62-1472 du 28 novembre 1962 sur le « Code de la Légion d’honneur et de la Médaille militaire », publié au Journal officiel du 7 décembre 1962. Cité par Michel Desrues, Légion d’honneur, ordre de la Libération, Médaille militaire, ordre national du Mérite, Guide pratique, Paris, Éd. des écrivains, 1999, p. 34-35.
En russe, le vocable pechkov signifie « pion » (dans un sens péjoratif que nous ne lui donnons pas ici).


Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/gmcc.202.0243