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Les Russes à Bizerte : de la Tunisie à la France, les étapes d’une intégration contrariée. ( Cairn.info / Hélène Menegaldo) . Suivi de : Bizerte. Le contexte: la Crimée blanche, l'évacuation et les accords avec la France …( loukine.fr)




Texte d'Hélène Menegaldo retranscrit en  souvenir de mon ami Georges LEBEDEV,  "Russe de Tunisie" devenu par mariage "Russe de Corse".
En souvenir aussi de mon père, ukrainien originaire de Kiev, devenu "migrant"  en 1921 du fait de la révolution russe.  
Il séjourna en Corse de 1928 à 1934 et termina le cours de sa vie en 1968 à Paris.

D'autres articles relatifs au émigrés Russes Blancs en Afrique du Nord peuvent être consultés dans la rubrique  intitulée "RUSSES BLANCS EN AFRIQUE DU NORD FRANCAISE"

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J.M

Les Russes à Bizerte : de la Tunisie à la France, les étapes d’une intégration contrariée
 

Résumé

Le destin de l’Escadre russe avec les 5849 personnes évacuées de Sébastopol à Constantinople puis à Bizerte en 1921 fut l’objet de tractations avec l’URSS, reconnue par la France en 1924 et invitée à rembourser les fameux « emprunts russes » en échange de l’intégration des navires au sein de la Flotte soviétique. En gage de bonne volonté, les autorités françaises désarmèrent les navires et expulsèrent les exilés installés à bord et dans le camp de Sfayat. La prochaine étape de l’exode fut la France où existait déjà une communauté fortement structurée. Malgré la reprise des relations diplomatiques et commerciales avec l’URSS, la France resta fidèle à ses engagements et permit aux émigrés russes de préserver leur identité tout en s’intégrant à la société française, en dépit de conditions d’existence souvent difficiles.

    Introduction

1
Entre décembre 1920 et février 1921, les 33 navires de l’Escadre russe de la Mer Noire mouillent dans la rade de Bizerte avec 5 849 personnes à leur bord : officiers et leurs familles, gardes-marine, cadets, matelots, membres du clergé, enseignants de l’École navale, réfugiés civils. L’église Saint-Alexandre-Nevski à Bizerte est le dernier témoin de la présence entre 1921 et 1924 des Russes dans ce port, à l’époque sous protectorat français.

2Retracer brièvement l’odyssée et le parcours ultérieur de ces premiers boat-people du 20e siècle, évacués de Sébastopol à la suite de la défaite de l’Armée blanche, permettra aussi de rappeler les hésitations de la France, prise entre le respect de la parole donnée au général Wrangel, l’épineux problème des emprunts russes que les soviets refusaient de rembourser, la gestion d’une masse importante de réfugiés, pour une bonne part militaires, le désir de s’en débarrasser pour ne pas subvenir à leurs besoins et la crainte d’indisposer la Russie soviétique après la reprise des relations diplomatiques et commerciales en 1924.

3Ce groupe, restreint comparé aux quelque 80 000 réfugiés qui cherchent asile en France entre 1920 et 1927, est en même temps exemplaire, car homogène et uni, au moins pour son noyau principal (l’École navale et les officiers de marine soudés par l’esprit de corps) autour de valeurs partagées, celles de l’ancien régime impérial : maintenir en état la flotte échouée à Bizerte dans l’espoir de reprendre le combat contre les bolcheviques, restaurer l’honneur de la marine russe, sauvegarder la culture et les traditions russes ainsi que la religion orthodoxe.

4Seront ici examinées les stratégies de survie et d’adaptation de ces déracinés placés dans un environnement peu favorable, ainsi que les moyens mis en œuvre pour préserver l’identité nationale tout en préparant la jeune génération à un avenir qui demeure, au début, incertain : revenir en Russie pour reconstruire le pays ou s’intégrer la société et la culture françaises.

1. Quitter la Crimée… mais comment ?

5La Crimée, refuge du gouvernement du général Wrangel et dernier territoire sous contrôle blanc, est une péninsule de 27000 km2, reliée au continent par l’isthme de Perekop, large de 5 à 7 km, bordé de part et d’autre de marais salés faisant obstacle au passage d’une armée. Mais une fois l’isthme forcé, ce bastion inexpugnable devient une souricière d’où l’on ne peut s’échapper qu’en bateau. Cette éventualité, anticipée par Wrangel, éclaire les conditions de l’exode et rend nécessaire un bref rappel de l’histoire de la flotte russe.

La Marine Impériale russe : une mort annoncée

6La Marine impériale, créée par Pierre le Grand, connut le désastre de la guerre de Crimée puis une destruction quasi totale à Tsushima (27 mai 1905). Modernisée au début de la première guerre mondiale, elle est mise à mal par le décret du 29 janvier 1918 instituant la création d’une « Marine rouge socialiste des ouvriers et des paysans ». Les conséquences seront identiques à celles du prikaz (décret) n° 1 sur l’armée qui provoqua la décomposition de l’armée, les massacres d’officiers et la fin du régime impérial. L’École navale de Petrograd est fermée par le nouveau pouvoir, mais rouvre à Sébastopol le 17 octobre 1919, lorsque les succès des armées blanches nourrissent l’espoir d’une chute prochaine des bolcheviques. L’École assure un haut niveau de formation des élèves et d’encadrement professoral et administratif.

7La victoire de Catherine II contre la Turquie en 1774 lui donne les rives de la Mer Noire, la Crimée est annexée en 1783, le servage est étendu à l’Ukraine. Son favori Potemkine aménage les ports de Kherson, Sébastopol, Nikolaïev et crée la flotte de la Mer Noire. La plupart des bateaux qui vont mourir à Bizerte sortaient du chantier naval de Nikolaïev.

8Après la signature de la paix séparée, l’Ukraine est sous occupation allemande. Lénine ordonne de saborder les navires de la Flotte de la Mer Noire pour qu’ils ne tombent aux mains de l’ennemi, mais de nombreux équipages refusent de s’exécuter. Les effets de la propagande révolutionnaire des marins de la Baltique dépêchés en mer Noire, sont un temps contenus grâce à l’autorité de l’amiral Koltchak auprès des marins. Au printemps 1920, la marine de guerre blanche, pratiquement hors de combat et manquant de combustible, est remise en état en quelques mois grâce à l’action énergique de l’amiral Sabline et du vice-amiral Kedrov. Elle pourra ainsi jouer un rôle essentiel dans l’évacuation.

2. L’évacuation

De Sébastopol à Constantinople, l’exode

9À l’été 1920, le général Wrangel contrôle la province de Tauride (presqu’île de Crimée et la région située au nord de celle-ci). Le 10 août, son gouvernement est reconnu par la France qui espère régler la question des emprunts russes et aussi soutenir son alliée, la Pologne, envahie par la Russie soviétique. À la signature de l’armistice entre les deux belligérants, le 12 octobre, l’armée de Wrangel perd l’essentiel de son intérêt stratégique et l’Armée rouge, dirigée par Frounzé, est libre de la combattre. En novembre , les Bolcheviques forcent les positions défensives blanches de l’isthme de Perekop , le général Wrangel décrète l’ordre de quitter le territoire :

  •  

Le 31 octobre [12 novembre, selon le calendrier grégorien qui sera adopté par le gouvernement soviétique en 1918 en remplacement du calendrier julien, toujours en usage dans l’Église orthodoxe H.M.], vers le soir, il contemplait le mouvement frénétique du port où entraient quantité de navires venus à toute vitesse de Varna, de Constantinople, de Batoum et même, par un heureux hasard, d’Arkhangel et de Vladivostok, pour secourir l’armée et la population…1

10L’évacuation de la Crimée  débute le 10 novembre  1920 . En trois jours, les 126 bateaux de tout tonnage rassemblés par le Général Wrangel embarquent troupes, familles de militaires, population civile des ports de Crimée, Sébastopol, Yalta Féodossia  (Théodosie) et Kertch . L’École navale de Sébastopol est évacuée au complet : élèves, corps enseignant, personnel administratif, plus tout son précieux matériel pédagogique et sa bibliothèque de littérature russe. La plupart des élèves, dont les gardes-marine du collège naval de Vladivostok évacués en janvier 1920, ne reverront jamais leur famille. La répression bolchevique, dirigée par Bela Kun, fera des milliers de morts. Au total, 145 693 personnes, plus les membres d’équipage, purent gagner Constantinople. Seul le destroyer Zhivoï – qui veut dire Vivant, ironie du sort ! – périt au cours d’une tempête avec 257 personnes à bord. Le soutien de la France, avec l’amiral Dumesnil, fut décisif pour assurer la sécurité de l’embarquement et de la traversée jusqu’à Constantinople. La flotte reconnaissante qui naviguait sous la Croix de Saint-André (croix bleue en forme de X sur fond blanc) hissa aussi le drapeau français.

11Les conditions de l’évacuation sont terribles, sauf pour quelques privilégiés, tous les navires réquisitionnés par le général Wrangel, des croiseurs aux sous-marins et navires de commerce, sont surchargés bien au-delà de leurs capacités, les soldats entassés sur le pont, debout, sans pouvoir bouger pendant la traversée jusqu’à Constantinople, le manque de vivres et d’eau, la crainte de heurter une mine ou d’être attaqués, l’incertitude du lendemain… Les aspirants complétaient les équipages inexpérimentés, remplaçant les matelots passés aux bolcheviques, s’activant aux machines.

Constantinople, un mirage vite dissipé

12Ironie du destin, Constantinople, objectif essentiel de l’expansion russe dès le XVIIIsiècle, est effectivement « conquise » par une armée russe, mais une armée vaincue et en haillons, qui demande l’asile à son ennemie d’hier, la Turquie, alliée des Empire centraux, elle-même vaincue :

  •  

Il [Alexandre Manstein, commandant du torpilleur Jarky] revoyait la rade de Mode [où sont regroupés les navires arrivant à Constantinople]. Quelle animation ! Une vraie ville flottante. Plus de cent trente mille personnes se trouvaient alors rassemblées là. Tous les transports et même les navires de guerre qui arrivaient les uns après les autres étaient effroyablement bondés. Certains bâtiments, comme le Vladimir, grand courrier d’Extrême-Orient, avaient une gîte terrible. Au lieu des trois mille passagers réglementaires, il en transportait douze mille. Parmi les réfugiés vivant dans la plus grande saleté et envahis de parasites, le typhus commençait ses ravages. Ce qui avait étonné le plus Manstein, c’était qu’on ait pu réquisitionner autant de bâtiments et surtout trouver en Crimée, où il manquait absolument, tout le charbon nécessaire au voyage.2

13Le mois de quarantaine imposé aux bateaux éprouve les réfugiés consignés à leur bord et provoque le décès de ceux qui étaient blessés ou particulièrement épuisés, dénutris ou malades. Constantinople est occupée par les Alliés qui redoutent la présence de militaires susceptibles de déstabiliser davantage la région : les Grecs ont lancé une offensive en Anatolie, le général Mustapha Kemal a pris la tête de la réaction nationaliste contre le régime du sultan soutenu par les Alliés qui s’apprêtaient à dépecer la Turquie.

14En dédommagement de son aide, la France confisque les marchandises, d’une valeur de 110 millions de francs, transportées par les bateaux et cherche à se débarrasser de ses hôtes encombrants en sollicitant l’aide de 13 pays, sans grand succès : 3000 militaires sont incités à s’engager dans la Légion étrangère où ils formeront le 1er régiment de cavalerie, 32 000 expédiés vers les pays balkaniques, d’autres vers le Brésil, le reste dispersés dans des camps ou sur les îles de Lemnos et de Gallipoli, mais de nombreux civils et militaires restent à Constantinople, en attente d’un problématique visa. En 1920, encore 60 000 réfugiés se trouvaient à bord des navires. Les rapatriements forcés, parfois sous la menace d’une canonnière française, ramènent 15 000 évacués à Odessa, Novorossisk ou Batoumi. Beaucoup seront fusillés.

15Le 21 novembre  1920 , Wrangel réorganise la flotte en escadre composée de quatre détachements et placée sous le commandement du vice-amiral Mikhaïl Kedrov . Début décembre, le Conseil des ministres français accepte la venue à Bizerte de l’escadre russe dont les 33 navires (y compris des sous-marins et des brise-glaces) mettent le cap sur leur nouvelle terre d’asile entre décembre  1920  et février  1921 . Au terme d’une traversée périlleuse, les bâtiments étant en mauvais état, les équipages épuisés et en nombre insuffisant, et les conditions climatiques détestables, l’escadre atteint enfin les côtes tunisiennes. Un seul navire, le vapeur Constantin, repartira plus tard en Russie soviétique.

Bizerte, un port français…

16Les navires de l’escadre sont internés dans la rade de Bizerte avec leurs équipages ainsi que 5 400 réfugiés civils, tous soumis à leur arrivée à une nouvelle et éprouvante quarantaine :

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Personne n’osait s’approcher de nous. Quelle maladie avait donc atteint l’escadre ? Variole, typhoïde, peste ? Non… nous arrivions d’un pays où régnait une épidémie terrible, la peste rouge, que la France craignait par-dessus tout  3 .

17Crainte légitime si l’on se souvient que la mutinerie des soldats du corps expéditionnaire russe, arrivés en 1916 en France au nombre de 44 000 et désireux de rejoindre la Russie après la révolution, avait entraîné une répression sanglante et l’envoi de 3000 mutins, acquis aux idées révolutionnaires, en Algérie. Les derniers déportés ne sont rapatriés en Russie soviétique qu’en 1920. Pour les Français, la distinction entre Russes pro-bolcheviques et « blancs » n’est pas toujours claire… De plus, Bizerte occupe une position stratégique dans l’axe de la Méditerranée, ce qui laisse craindre des initiatives incontrôlées. Les bâtiments ancrés dans la rade bénéficient du statut d’exterritorialité, ils sont donc un morceau de l’ancienne Russie, à la fois une menace pour la « Russie nouvelle » et une monnaie d’échange pour la France. Les Russes émigrés sous protection française ne deviendront apatrides qu’en 1924 (contrairement à ceux accueillis par d’autres pays) et seront protégés à partir de 1922 par le passeport Nansen, adopté par la France en 1924.

18Autorisés à mettre pied à terre et soumis une rude séance de désinfection, les élèves de l’École navale trouvent refuge dans le vieux fort abandonné de Djebel-Kébir, leurs maîtres dans les baraquements en bois du camp de Sfayat, les autres réfugiés sont répartis dans six camps des environs : Djebel Djelloud, près de Tunis, Nador qui avait accueilli des prisonniers Serbes en 1916, Tabarka, à 100 km de Bizerte, Aïn Draham, au sud de Tabarka (casernements militaires), Monastir, sur la côte septentrionale de la Tunisie, à 200 km de Bizerte, ce qui entraîne dispersion et difficultés de communication dans un pays inconnu et au climat difficile. Les premières impressions sont décourageantes, ces camps sont délabrés et démunis de tout.

Le dernier équipage du sous-marin Outka sous le soleil d’Afrique, Bizerte, in N. Monasterev, Dans la mer Noire (1912-1924), Payot, 1928, face à la page 224.

3. Survivre

Les réfugiés : les différentes composantes

19Officiers de marine et haut commandement, aspirants gardes-marine) et cadets, sous-mariniers, matelots, conducteurs de machines, mais aussi treize aumoniers militaires orthodoxes figurent parmi les équipages des navires. Les services liturgiques sont célébrés au début à bord du cuirassé Georges le Victorieux puis à la chapelle Saint-Paul, aménagée dans l’une des casemates du vieux fort de Djebel Kébir, desservie jusqu’en 1925. À la différence du personnel du Collège naval et des officiers dont les noms sont connus, la composition de la population civile, 626 femmes et 239 enfants, est peu documentée. Il s’agit surtout de femmes ou veuves d’officiers et marins et de leurs enfants ainsi que d’orphelins.

Le vice-amiral Kedrov, le contre-amiral Behrens, le contre-amiral Tikmenev sur le pont du sous-marin Tioulen’ à Bizerte en juillet 1921.

Assurer la survie

20L’exil à Bizerte représente un sérieux handicap en raison de l’éloignement géographique par rapport aux centres politiques et culturels de l’émigration russe, Berlin, Prague avec l’Action russe du gouvernement Masaryk, et surtout Paris où des structures d’accueil existaient depuis le 19e siècle et où la mode russe battait son plein, facilitant l’accès à l’emploi. Autres écueils : le climat et l’environnement, la dispersion des différents camps, les contacts difficiles avec la population. L’accueil des petits fonctionnaires ou employés français est au début réticent, voire hostile, la presse locale appelle la population à la vigilance :

Qui sont ces gens, nous ne le savons pas. Il y a peut-être parmi eux des éléments particulièrement dangereux, car en mesure de provoquer des conflits avec nos troupes…Nous recommandons à tous les commerçants de Bizerte d’être prudents avec les Russes – avec quelles devises vont-ils payer leurs achats ?... Il faudrait les chasser directement d’ici en Algérie. (« Les Russes de Wrangel à Bizerte », Tunisie Française, 23/12/1920).

21L’argent est effectivement un problème majeur, les roubles-papier ne valant rien, le troc permet d’abord la survie. Puis les autorités françaises fournissent des rations, une solde de 10 francs par mois pour un matelot et de 21 francs pour un officier, solde qui sera bientôt supprimée et remplacée par une incitation à retourner en Russie soviétique ou à Constantinople. La première solution est rejetée, mais un millier de réfugiés acceptent de repartir à Constantinople :

  • .

Finalement, les autorités françaises, après avoir gardé un mois les candidats au départ à bord du vapeur Constantin, les firent redescendre à terre et les installèrent sur place dans des camps de tentes4 .

22Cet épisode prouve la continuité d’une politique initiée dès Constantinople et visant à provoquer la dispersion de l’armée Blanche, mais témoigne aussi des difficultés inhérentes à la réalisation de ce projet à la logistique coûteuse et qui implique de convaincre les réticences des pays sollicités – Turquie, Brésil – et entraîne d’interminables tractations avec la Russie soviétique sur les conditions du rapatriement et les garanties de sécurité accordées aux rapatriés.

23Cependant, le contact est établi avec Paris où la communauté russe bénéficie à cette date d’une large autonomie : l’ancienne Ambassade russe et l’Office des réfugiés gèrent les questions administratives, le Zemgor et la Croix-Rouge russe prennent en charge l’aide humanitaire. Un Bureau d’aide et d’assistance est créé en Tunisie. Le vice-amiral Mikhaïl Kedrov cède le commandement au contre-amiral  Mikhaïl Behrens (1879-1943) et se rend à Paris dès 1921 pour négocier de meilleures conditions pour les évacués.

Marins de l’escadre russe de la Mer Noire à Bizerte en Tunisie, collection Alexandre Eltchaninoff, Le Bibliophile russe, avec son aimable autorisation.

L’occupation de l’espace

24Le vieux cuirassé Georges le Victorieux est une véritable ville flottante où logent les marins et officiers mariés et leurs familles et où fonctionne une école pour les enfants. Le camp de Sfayat et le fort de Djebel Kébir sont le centre névralgique de l’organisation territoriale de cette « Russie hors frontières » miniature : 320 aspirants (gardes-marines) et cadets, 60 officiers et enseignants, 40 matelots de diverses unités et une cinquantaine de membres des familles de marins forment une communauté soudée autour d’un projet commun. Les compétences techniques et scientifiques de l’encadrement permettent une amélioration des conditions de vie, en particulier de l’habitat, grâce aux installations et au matériel disponibles sur le navire-atelier Cronstadt, bâtiment sans équivalent dans la marine française. Les autres camps sont des baraquements en ruines, ouverts à tous les vents, où plusieurs dizaines de personnes logent sur des lits de planches dépourvus de literie. C’est là où la vie quotidienne est la plus pénible, car s’y trouvent surtout des femmes, seules ou avec enfants. C’est là où il y aura des dépressions, des suicides…

4. Un morceau de Russie sous les palmiers

La vie au village

25Le camp de Sfayat, une soixantaine de bicoques, devient rapidement un village doté d’une église et d’une cantine qui fournit des repas à tous les habitants ; une éolienne, la 1ère en Afrique du Nord, est créée pour fournir l’électricité. On ouvre des ateliers de couture, de menuiserie, de cordonnerie, d’abord pour subvenir aux besoins locaux en logements, vêtements etc., puis pour satisfaire des commandes de l’extérieur. Potagers et basse-cours permettent bientôt d’améliorer l’ordinaire. Une école accueille les enfants et un dispensaire soigne les blessés et les malades. La bibliothèque maintient le lien avec la culture russe.

L’École navale

26L’École navale rouvre dès février 1921. Les 320 cadets et gardes-marine (élèves des classes supérieures de l’École) vivent et étudient dans les casemates du fort, aménagées en chambres, salles de classes et laboratoires de physique et de sciences naturelles. Les cours, initialement rédigés à la main par les enseignants, sont ensuite ronéotypés. L’enseignement dispensé est de haut niveau, spécialement en mathématiques, physique et astronomie, mais l’histoire et la littérature ne sont pas oubliées, non plus que l’éducation physique. Les élèves manœuvrent leur navire-école sur le lac de Bizerte, l’accès à la mer leur étant interdit par les autorités. Sur les 394 élèves formés durant les cinq années de l’existence de l’École, 300 en sortent diplômés.

La dernière promotion des gardes-marine (1924)

27Encadrer, instruire, éduquer seront la préoccupation principale du collectif des professeurs, officiers et civils, à l’École navale comme dans les écoles pour les jeunes enfants : redonner le goût de la vie aux orphelins, traumatisés, devenus parfois de véritables sauvageons ; restaurer la discipline, sauvegarder les traditions, transmettre les valeurs, préparer leur avenir ; en faire les cadres potentiels de la Russie future. Ce qui sera une difficulté supplémentaire pour l’intégration ultérieure dans la communauté émigrée à Paris, majoritairement d’orientation libérale.

28Les fêtes russes traditionnelles – Noël, Pâques – ainsi que la fête de la Marine, les représentations théâtrales, les concerts et les bals réunissent l’ensemble de la communauté.

Début d’intégration

29Pour travailler, il faut quitter les camps, parfois très éloignés, trouver un hébergement à Tunis, un employeur, vaincre les préjugés. Les déclassés ne peuvent prétendre qu’aux « petits métiers », mal payés et pénibles, où ils sont en concurrence avec la main-d’œuvre tunisienne et ostracisés par les employeurs et commerçants juifs qui n’ont pas oublié les pogromes tsaristes. Les femmes, issues de la bourgeoisie moyenne (femmes ou veuves d’officiers ou de fonctionnaires) sont domestiques ou vendeuses, les hommes manœuvres, ouvriers agricoles, employés aux terrassements, à la construction des routes, dans les minoteries, les ateliers de mécanique, les garages, les teintureries. Ils sont cuisiniers, mécaniciens, électriciens. Certains se font marchands ambulants de petits pâtés (pirojki) ou pâtisseries russes, ouvrent de petites échoppes.

30Puis, la population et les employeurs éventuels s’étant habitués à ces nouveaux venus, on les retrouve portiers, garçons d’hôtel, maîtres d’hôtel. Les emplois se diversifient : cours de langues, de mathématiques, de piano, de chant, de danse, de dessin, secrétaires et habilleuses de théâtre pour les femmes … Beaucoup avaient été infirmières pendant la 1ère guerre mondiale, puis civile. Elles trouvent à s’employer quand les médecins russes obtiennent le droit d’exercer, ce qui ne sera pas le cas en métropole. Les Russes deviennent visibles dans le paysage, ils créent leurs propres coopératives, ouvrent un bureau de placement, organisent des réunions artistiques. Les concerts et spectacles qu’ils proposent sont vite populaires : ils animent une vie artistique assez atone.

31Quant aux marins, ils n’ont d’autre choix que les travaux les plus durs, dockers, ouvriers agricoles chez des colons, casseurs de pierre sur les routes. Ainsi, dans les coins les plus reculés de la Tunisie, chaque fois qu’on apercevra des tentes auprès d’une carrière ou d’une voie de chemin de fer en construction, on pourra se dire : ce sont des Russes !

5. Le destin ultérieur

Vers d’autres horizons

32Cependant, l’entretien de l’escadre devient difficile à assurer, faute de bras suffisants (187 hommes au lieu de 900 sur le Général-Alexeiev), l’espoir d’un changement de régime en Russie et d’un proche retour s’amenuise. La France commence à recupérer des bateaux en compensation des frais engagés ; dès 1921 le Cronstradt est intégré à la marine française sous le nom de Vulcain, privant ainsi de nombreux Russes de l’usage des ateliers et donc, de leur gagne-pain. Suivront 10 bateaux. Le brise-glace Ilia Mouromets devient le mouilleur de mines français Pollux et l’Italie  acheta deux vapeurs.

33Le découragement, la fatigue, l’absence de perspectives d’avenir en Tunisie accélèrent les départs individuels. Des envoyés de la communauté se rendent à Paris et Prague pour négocier l’accueil d’étudiants. Trois cents jeunes fréquenteront les universités tchèques, d’autres étudieront en France.

1924, une date charnière

34Lénine disparaît en janvier mais la NEP se poursuit, laissant croire à un retour des soviets au capitalisme. La France, jusque-là surtout soucieuse d’éviter la contagion bolchevique sur son sol tout en préservant l’avenir, reconnaît la Russie soviétique le 28 octobre : les priorités économiques l’emportent, les Russes deviennent apatrides. Le maintien d’une force armée anti bolchevique sur le sol français n’étant plus d’actualité, le sort de l’escadre est scellé. La France se préoccupe cependant de faciliter l’intégration des exilés russes : la même année voit le jour le Comité d’Émigration, organe qui « tient lieu de gouvernement pour tous les Russes expatriés, qui règle pour eux la question des passeports, supplée les consulats absents etc.. ».

35Au matin du 30 octobre, le préfet maritime Exelmans signifie au personnel de l’escadre l’ordre de quitter les navires et de limiter les activités de l’École navale, rebaptisée « orphelinat russe » pour ne pas froisser la partie soviétique. Le pavillon à la Croix de Saint-André est amené pour l’ultime fois. Les occupants de Sfayat et du cuirassé Georges le Victorieux sont expulsés, mais autorisés à rejoindre la France par transport gratuit. La dernière promotion de gardes-marine quittera les lieux le 25 mai 1925. Révolté par la manière expéditive de disperser la colonie russe que lui imposent les autorités, l’amiral Exelmans donne sa démission et part en retraite anticipée.

36Quant au destin des navires, il est, lui, l’objet de complexes tractations, d’autant que l’Europe redoute qu’ils n’aillent renforcer la puissance militaire de l’URSS. La commission technique soviétique mandatée en décembre  1924  à Bizerte (dont l’un des membres, l’attaché naval soviétique à Paris et à Londres est le frère de l’amiral Behrens) exige la remise en état des bâtiments que l’URSS souhaite récupérer en tant qu’héritière de la Russie, tandis que la France, avec le même argument, demande le remboursement des dettes du régime impérial (la question des emprunts russes). Moscou ayant finalement rejeté tout règlement, la France se considère libre de disposer des navires qui sont désarmés et pour la plupart vendus à la ferraille ou abandonnés dans le port de Bizerte. Leurs munitions et canons seront vendus à divers pays.

D’un camp l’autre : Marseille, ville-transit ?

37Exilés de Tunisie, les Russes font étape à Marseille où se croisent les destins de leurs nombreux compatriotes en provenance de Turquie, des Balkans ou de Tunisie. On trouve un hébergement provisoire au camp Victor Hugo ou « Camp des os » près de la gare Saint Charles, ainsi nommé car situé près d’un incinérateur de chiens. À nouveau des baraquements délabrés où 350 personnes s’entassent en 1925. Un caboteur, le Tsesarevitch Guéorgui, reste amarré plusieurs années au Vieux-Port avec une vingtaine de personnes à bord ; une petite chapelle fonctionne sur un des navires de commerce russes bloqués dans le port. Un Office des Réfugiés russes est ouvert à Marseille, mais la situation des émigrés restés là faute de moyens est catastrophique. Les hommes sont dockers ou hommes à tout faire quand ils trouvent à s’employer, les femmes sont domestiques et parfois pire.

Paris, la troisième capitale

381924 est le pic de l’arrivée des Russes avec, en plus des réfugiés de Turquie et des Balkans venant en France munis d’un contrat d’embauche pour l’industrie métallurgique ou les mines, l’exode de leurs compatriotes déjà installés en Europe et quittant l’Allemagne où la stabilisation du mark, puis la montée du nazisme et la crise économique rendent l’existence problématique. À ces flux s’ajoute celui des « Bizertiens », générant une concurrence sur le marché du travail. Néanmoins, les savoir-faire acquis pendant les « stages professionnels » en Tunisie permettent une meilleure adaptation à la vie nouvelle que l’on cherche à construire à Paris. Globalement, ces anciennes élites connaitront quand même le déclassement, surtout lorsque la crise économique frappera durement les émigrés.

39L’amiral Kedrov s’inscrit à l’École des Ponts et Chaussées qu’il termine 1er. Il travaille en tant qu’ingénieur et publie une monographie sur le béton armé, mais le lieutenant Bogdanov, enseignant à l’École navale, est chauffeur, ainsi que la plupart des aspirants et autres émigrés de la jeune génération, même ceux qui avaient terminé leurs études en France. Un diplôme français n’est pas un gage d’emploi et intégrer l’École navale de Brest implique un investissement financier trop important. L’amère déception éprouvée est compensée par une vie communautaire très active et riche sur la plan culturel.

Se regrouper, continuer le combat

40Les anciens de Bizerte organisent et animent de nombreuses associations. Le lieutenant Bogdanov rassemble ses anciens élèves au sein d’une amicale et devient président de l’Union de tous les gardes-marine et cadets de la Flotte. L’amiral Kedrov dirige la Fédération des ingénieurs russes à Paris, préside l’Union de la marine militaire et, après l’enlèvement du général Miller par des agents soviétiques, dirige un temps la ROVS (Union générale des combattants russes) qui assure des formations militaires et exfiltre vers l’URSS de jeunes idéalistes avides de se sacrifier pour la cause, parmi lesquels très certainement d’anciens élèves de Bizerte (il y a là un sujet à creuser). La plupart tombent aux mains de la Guépéou.

6. Traces et lieux de mémoire

L’église Saint Alexandre Nevski et le cimetière

41En 1925, il ne reste plus que 700 Russes à Bizerte. Les services religieux se déroulent dans un appartement de Tunis et la communauté paroissiale est placée sous la juridiction de l’Église orthodoxe russe hors frontières. Face à cette situation, l’association des orthodoxes de Bizerte se mobilise pour ériger une église-mémorial destinée à perpétuer le souvenir de l’escadre. Construite en style néo-russe selon le projet du colonel du génie N.S. Soukharjevski, elle est dédiée à Saint Alexandre Nevski et consacrée le 10 septembre 1938. À l’intérieur, une plaque de marbre énumère les noms des navires de l’escadre. Les portes royales de l’iconostase sont recouvertes du drapeau de Saint-André, emblème de la marine impériale russe, qui se trouvait à bord du Georges le Victorieux. Les ornements sacerdotaux et les icônes proviennent également de la chapelle du cuirassé – reliques pieusement conservées depuis le départ de la mère-patrie.

42Après la guerre, la communauté s’agrandit de D.P. (Displaced persons) et de Russes ayant fui l’Union soviétique, mais l’indépendance de la Tunisie en 1956 provoque le départ de la majorité des paroissiens russes. La vie paroissiale renaît à partir de la fin des années quatre-vingt, des Tunisiens ayant épousé des Russes ou Ukrainiennes ; l’église, longtemps laissée à l’abandon, est restaurée, entre autres grâce à la femme de Yasser Arafat, issue d’une riche famille chrétienne palestinienne. La paroisse se place sous la juridiction du patriarcat de Moscou en février 1992.

43La place devant l’église porte le nom d’Anastasia Chirinskaïa-Manstein, dernière paroissienne à être arrivée à Bizerte à bord du torpilleur Jarki commandé par son père et qui anima la vie de la communauté jusqu’à son décès en 2009. Elle est enterrée au cimetière russe de Bizerte où un monument a été érigé à la mémoire de tous les Russes décédés en terre tunisienne. À Tunis, les Russes reposent au Carré II du cimetière chrétien qui jouxte le cimetière juif du Borgel. L’église orthodoxe consacrée en 1956 ainsi que l’école russe adjacente ont été vandalisées et dévalisées en 2012 par des salafistes.

La mémoire retrouvée

44L’épopée longtemps oubliée de ces « Bizertiens » bénéficie de l’engouement pour l’histoire de la diaspora apparu en Russie depuis la perestroïka et qui s’est concrétisé par la publication en métropole des témoignages et souvenirs des participants de cette aventure, parus en France dans les années trente. Les souvenirs d’Anastasia Chirinskaïa-Manstein ont été recueillis et publiés, un film tourné sur sa vie. Ont vu le jour également des recueils de documents, d’articles, des ouvrages historiques, des thèses ont été soutenues. Il manque, semble-t-il, une monographie sur le devenir des anciens de Bizerte dans leurs nouveaux pays d’accueil, en particulier la France, où le désir des descendants des Russes « blancs » de reconstituer leur propre mémoire familiale rejoint l’intérêt des chercheurs pour l’étude des aspects peu connus de l’histoire de l’émigration au 20e siècle et suscite de nouvelles publications. Le Cercle de la Marine Impériale Russe (CMIR) est ouvert « aux descendants de toutes les catégories de personnels qui ont servi la Marine impériale russe dans l’honneur et en respectant ses valeurs ». Il organise diverses manifestations, dont un Salon du livre historique russe annuel et commémore en octobre de cette année le 90e anniversaire de la fin de l’escadre russe à Bizerte.

45Enfin, le « retour aux sources » de la Russie actuelle a facilité la venue en 1997 d’une délégation de l’Ordre de Saint-Constantin le Grand qui a remis en état les tombes abandonnées et entrepris de déchiffrer les noms à demi effacés sur les plaques des 39 officiers enterrés à Tunis. Le 29 avril 1999, un monument a été inauguré à la mémoire des marins de l’escadre russe. Paradoxe de l’histoire, la Russie actuelle rend hommage aux renégats d’hier, promus au rang de gardiens des valeurs culturelles et spirituelles de la « Russie éternelle ».

46Ainsi, malgré ses hésitations à choisir entre « les deux Russies », la France a respecté ses engagements à l’égard des réfugiés et a su trouver des solutions originales en permettant l’existence sur le sol national d’une communauté structurée, dotée de ses propres institutions et organisations et bénéficiant d’une large autonomie, ce qui a permis à ses représentants de s’intégrer à la société d’accueil tout en préservant leur propre identité. On peut regretter toutefois le manque de clairvoyance concernant l’intérêt pour le pays d’utiliser les compétences de personnes hautement qualifiées en facilitant l’accès au monde du travail et l’obtention de la nationalité française.

Bibliographie

Bibliographie sélective

Berg V., « Poslednie gardemariny » [Les derniers gardes-marine], in Uzniki Bizerta [Prisonniers de Bizerte], Moscou, département de l’Ordre de Saint-Constantin le Grand, 1998.

Knorring N., « Sfajat » [Sfayat], in Uzniki Bizerta [Prisonniers de Bizerte], ibid.

Varnek P.A., « Chto bylo potom, posle Byzerty » [Après Bizerte], in Uzniki Bizerta [Prisonniers de Bizerte], ibid.

Adam Rémi, Histoire des soldats russes en France 1915-1920. Les damnés de la guerre, Paris, L’harmattan, 1996.

Bagni Bruno, L’Odyssée du Rion, Bibliocratie, 2013.

Burnet Etienne, Loin des icônes. Roman des émigrés russes, Paris, Ernest Flammarion, 1923.

Graf H., La Marine russe dans la guerre et dans la révolution 1914-1918, Paris, Payot,1928.

Guichard Louis et Novik Dmitri, Sous la Croix de Saint-André, Paris, Jules Tallandier, 1929.

Jevakhoff Alexandre, Les Russes blancs, Paris, Tallandier, 2007.

Korliakov Andreï, Le grand exode russe, Paris, YMCA-Press, 2009.

Manstein-Chirinsky, Anastasia, La dernière escale. Le siècle d’une exilée russe à Bizerte, Tunis, Sud Éditions, 2000.

Mitchell Mairin, Histoire maritime de la Russie, Paris, éd.des Deux Rives, 1952.

Oudar Georges et Novik Dmitri, Les chevaliers mendiants, Paris, Plon éd., 1928.

Ross Nicolas, Aux sources de l’émigration russe blanche. Gallipoli, Lemnos, Bizerte (1920-1921), Paris, éd. des Syrtes,2011.

Saibène Marc, La Flotte des Russes blancs, Marines éditions, 2008.

Filmographie

Anastasia. Exil à Bizerte » (2008, studio ELEGUIA, 84 min, sous-titrage français).

Notes

1  G. Oudar et D. Novik, Les Chevaliers mendiants, texte publié sur le site de Mandryka, p. 4.

2  G. Oudar et D. Novik, op. cit.,, p.6.

3  V. Berg, « Poslednije Gardemariny » [« Les derniers gardes-marine »], Uzniki Bizerta [Prisonniers de Bizerte], Moscou, 1998, p. 81.

4  Nicolas Ross, Aux sources de l’émigration russe blanche, éd. des Syrtes, Paris, 2011, p. 65.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Hélène Menegaldo, « Les russes à Bizerte : de la Tunisie à la France, les étapes d’une intégration contrariée », Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain [En ligne], 13 | 2015, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 05 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/mimmoc/2077 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mimmoc.2077
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Auteur

Hélène Menegaldo

 

Professeur honoraire à l’Université de PoitiersSpécialiste de l’émigration russe. Thèse d’État sur L’univers imaginaire de Boris Poplavski, édition de ses textes en russe : les InéditsPoèmes surréalistesPoèmes inéditsŒuvres complètes en 3 vol. Moscou, 2010. A publié Les Russes à Paris 1919-1939 (Autrement, 1998 ; éd. russe, Moscou, « Kstati », 2001 et 2007), et dirigé Figures de la marge (PUR, 2002), Psyché en tous ses états, les sciences de l’esprit en Russie et Union soviétique (Slavica Occitania n° 18, Toulouse, 2004), Imaginaires de la ville, entre art et littérature (PUR, 2007) et contribué à différents ouvrages collectifs.

Articles du même auteur

Droits d’auteur


Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain – Cahiers du MIMMOC est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International.

 

 



En complément :

Un texte daté du 20/09/2009
 relatif à Nikita MANDRYKA (1940 - 2021)
Auteur des  BD "Le concombre masqué"
https://www.kalinka-machja.com/Nikita-Mandryka-de-Bizerte-a-la-B-D_a77.html


 
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LA MARINE IMPÉRIALE RUSSE - DES HOMMES, DES NAVIRES, L'HISTOIRE. (loukine.fr)
 

BIZERTE. LE CONTEXTE : LA CRIMEE BLANCHE, L’EVACUATION ET LES ACCORDS AVEC LA FRANCE, LE STATUT DES NAVIRES.

Un chapitre du “Chemin de croix des officiers de la Marine Impériale de Russie”

Le général Dénikine quitte son poste après la catastrophique évacuation de Novorossiïsk le 17 avril 1920.  Un compte rendu français des Services de renseignement de la Marine Sud [[1]] dresse un bilan désastreux : « Denikine abandonna tous ses chevaux, ses tanks, la plus grosse partie de son artillerie, ses blessés et environ 15 000 hommes, y compris une vaillante petite arrière-garde qui faisait tout ce qu’elle pouvait pour couvrir l’embarquement. Automobiles, camions, bicyclettes, mitrailleuses, munitions furent jetés par-dessus bord et environ 50 000 000 de dollars de fournitures anglaises furent détruites par le feu. »

 « Environ 30 000 soldats en tout furent transportés en Crimée tandis que 20 000 qu’on laissait derrière avaient à se débrouiller tout seuls, les uns passant chez les Rouges et le reste retraitant le long de la côte est de la Mer Noire, chaudement pressés par les Rouges. »

Non seulement le matériel lourd est laissé sur place, mais les relations entre cosaques [[2]] et l’armée régulière se détériorent, les cosaques accusant le général Koutepoff d’avoir favorisé l’évacuation de l’armée régulière au détriment des cosaques. Il est vrai que Koutepoff, ne pouvant évacuer tout le monde favorisait les troupes aptes au combat alors que les troupes cosaques du Kouban désertaient en nombre et les cosaques du Don, de l’aveu même de leur commandant le général Sidorine, n’étaient plus aptes au combat.

Le nombre de soldats qu’on laissait à l’arrière, il faut le préciser, était bien supérieur à 20 000.

La Crimée est occupée par les Blancs. L’isthme de Crimée est tenu par le fantasque général Slachtchoff qui fait preuve de ténacité, de courage et d’inventivité, avec quelques milliers d’hommes seulement.

Le général Slachtchoff (Collection privée)

Le général-lieutenant Jacob Alexandrovitch Slachtchoff était un commandant d’un courage frisant l’inconscience, brillant tacticien, il sera appelé Slachtchoff-Krymskyi [[3]]  en raison de ses exploits. L’absence de contrôle, l’impunité, les excès en tout genre, la drogue qu’il prenait  suite à ses multiples blessures, l’alcool, lui font perdre le sens des réalités et des limites de ses compétences. Après l’évacuation de Crimée, il retournera en Russie soviétique en 1921, prêchera le retour et arrivera à convaincre hommes du rang et officiers. Il enseignera la tactique aux officiers supérieurs de l’Armée rouge. Il sera assassiné en 1929 par Lazare Kolenberg qui avait un mobile [[4]] mais sera jugé irresponsable. Il faut préciser que les répressions Staliniennes prennent de la vitesse dès 1927 et que les « rapatriés » Blancs sont une des cibles. Condamné à mort par les Blancs pour son retour et sa trahison, il sera exécuté par les Rouges.

 

Tract [5] destiné à l’Armée rouge :

 

A L’ARMÉE ROUGE

  1. Vous avez reçu l’ordre de mener l’offensive le 7 mai.
  2. JE NE VOUS LE RECOMMANDE PAS.

SLACHTCHOFF

Avant de quitter définitivement son poste, le Général Dénikine donne l’ordre d’organiser une réunion du Conseil de guerre à Sébastopol sous la présidence du général Dragomiroff, à partir du 3 avril 1920,  pour l’élection du commandant en chef des Forces Armées de sud de la Russie (par la suite FASR). Participent à ce conseil les généraux Wrangel, Bogaevsky, Oulagaï, Schilling, Pokrovski, Borovski, Efimoff, Youzevitch, Toporkoff, le commandant du Corps des Volontaires Koutepoff, le commandant du Corps de Crimée, Slachtchoff, pour les cosaques du Don, Sidorine et Keltchevsky,  les commandants des forteresses et d’autres officiers. Le Général Wrangel est élu commandant en chef des FASR. Les relations entre le général Wrangel et Dénikine ne sont pas des meilleures et le Général Dénikine quittera la Crimée. Son chef d’état-major, le général Romanovsky sera tenu pour responsable [[6]]  de la catastrophe de Novorossiisk et sera assassiné à Constantinople un peu après, par un officier de l’Armée blanche.

Le général Wrangel forme un gouvernement : [....]

Gouvernement Wrangel

 

La Crimée, une forteresse imprenable ?

La Crimée (Extrait de l’Atlas universel de géographie) [[8]]

La Crimée est une forteresse naturelle formidable utilisée par le passé en cette qualité depuis des siècles par les Tatares de Crimée. L’isthme de Crimée est traversé par des grands lacs d’eau saumâtre reliés à la mer, et la bande de terre qui relie la presqu’île au continent a une largeur d’environ une dizaine de kilomètres. La ville qui en commande un des accès se nomme Perekope ce qui signifie le fossé et il y a bien un fossé de rempart sur toute la largeur de la bande de terre qui relie la presqu’île au continent à proximité de la ville. Ce fossé est réellement impressionnant, il a une quarantaine de mètres de largeur pour une profondeur de 8 à 10 m. Du côté de la Crimée il y a également un remblai d’une largeur de 12 à 15 m et d’une hauteur de 8 à 10 m.

Il existe deux autres accès à la presqu’île : le pont de Tchongar, pouvant être défendu avec peu de troupes et la flèche d’Arabat à l’est à laquelle on accède par le pont de Guenitchesk, tout aussi facile à défendre.

Cette forteresse semble imprenable dans la mesure où l’on tient la mer. La marine toutefois ne peut intervenir avec son artillerie que sur une petite partie de l’isthme, le pont de Guenitchesk et la flèche d’Arabat en raison de la faible profondeur de la mer qui ne permet pas au navire de s’approcher des rivages.

Le général Slachtcheff écrira dans ses mémoires :

 « La flotte ne pouvait aider dans les batailles de Crimée. La profondeur de la mer au large des côtes ne permettait pas d’approcher l’isthme de Perekop. Les obus n’atteignaient que la côte, et il n’y a qu’à Génichesk que les navires commerciaux armés et les canonnières pouvaient tirer, mais seulement sur la flèche d’Arabat alors que la côte de Crimée ne pouvait être atteinte. En outre, lorsque la mer était prise par les glaces, les navires étaient condamnés à l’inaction au large des côtes. Toutefois le contrôle de la mer a rendu impossible le débarquement des Rouges en Crimée sur l’arrière. »

Dans la réalité la canonnière Teretz « tiendra » le pont de Guenitchesk, un des accès à la Crimée, avec 200 à 300 tirailleurs pendant une centaine de jours et sera prise dans les glaces début 1920,  l’équipage n’étant pas ravitaillé en charbon, en eau et obus. Le Teretz sera l’acteur d’un duel, rarement observé dans l’histoire, celui d’un train blindé et d’une canonnière. La plupart des officiers de ce navire seront promus par Wrangel et l’équipage, décoré de la croix de Saint-Georges.

Canonnière Teretz (Collection privée)

La Crimée, comme toute forteresse inexpugnable, présente des faiblesses, non seulement les étendues d’eau saumâtre qui séparent la Crimée du continent peuvent geler, mais en cas de siège, elle ne peut tenir très longtemps faute d’approvisionnement. En plus des militaires et de la population évacuée de Novorossiisk, il faut compter ceux d’Odessa ce qui augmente significativement le nombre de bouches à nourrir. Wrangel est à la tête d’environ 37 000 combattants et il y a également de nombreux réfugiés. Il faut nourrir la population et l’armée et les FASR doivent donc étendre leur zone d’influence afin de trouver de la nourriture et financer l’armement.  La réponse à cet impératif est là, à portée de main, de l’autre côté de l’isthme, occupé par les Rouges. Il s’agit des céréales de la province de Tauride, de ce grenier à blé et orge, le grand fleuve Dniepr, permettant la défense du flanc ouest. Les « opérations blés ou céréales » auront donc une grande importance dans la suite des événements.

Une cause perdue ou un nouvel espoir ?

Les services de renseignement français dressent le tableau contrasté suivant [[9]]  : « La situation à cette époque était telle qu’elle aurait désemparé n’importe quel homme ordinaire, les troupes du Sud de la Russie n’étaient qu’une poignée contre les centaines de mille des forces soviétiques. Le moral des troupes était bas, leur situation sanitaire était mauvaise car le typhus ravageait leurs rangs et la question de leur approvisionnement en vivres et en munitions était apparemment sans issue. Le peuple était mécontent à cause du manque de nourriture et l’opinion publique était frappée de panique. De tous les côtés, le désordre, et la confusion, le manque de сonfiance et le manque de direction étaient évidents. Il y en avait beaucoup qui, avaient toutes les raisons du monde de craindre la mort si les bolchéviques étaient vainqueurs, étaient si éreintés par des mois et des années de souffrance qu’ils considéraient avec indifférence à peu près n’importe quelle solution pour en finir une bonne fois. »

« Cependant, certains éléments de force étaient apparents. La Crimée était une forteresse naturelle et pouvait, par une sage administration, être rendu capable de se suffire à elle-même. Les forces navales, bien que leur moral fût bas, étaient encore pleines de loyalisme et étaient maitresses de la Mer Noire, en ce qui concernait leur ennemi. Il y avait certaines parties des troupes comme les Régiments d’Officiers et la vaillante petite force du général Slachtchoff qui avaient tenu les isthmes de Crimée tout l’hiver, sur lesquelles on pouvait compter. Le gouvernement des Soviets commit l’erreur d’estimer que les Forces du Sud de la Russie étaient éliminées. De plus, les Forces du Sud de la Russie avaient dans le nouveau commandant en Chef un jeune homme d’une personnalité extraordinaire, d’une volonté indomptable, d’une énergie farouche, qui était de plus un brillant soldat. »…

Tract des FASR

« Il est caractéristique de l’énergie de Wrangel, que même dans de pareilles circonstances sa résolution de continuer le combat n’ait pas été ébranlée et le 10 avril, il commençait sa première offensive contre les rouges. Ce qu’il a accompli pendant les deux mois qui suivirent, en dépit d’obstacles presque surhumains est réellement merveilleux ».

Il s’agit de l’avis d’un militaire, en réalité le général Wrangel avait bien plus de qualités que cela.

Le Comte Martel, ex-Haut-commissaire auprès du gouvernement Koltchak, déclare dans une interview pour un article paru le 2 novembre 1920 de Rousskaya gazeta, Belgrade, du 2 novembre [[10]]  :

« Etant représentant du gouvernement français près de l’amiral Koltchak, j’ai eu l’occasion de voir que la principale cause de la catastrophe où il a été entrainé consistait dans sa négligence à organiser les ouvriers. L’amiral Koltchak se laissa entraîner par ses succès militaires et pensa seulement à avancer et à élargir les cercles de ses conquêtes. Il ne songeait pas à préserver ses arrières où s’organisait la propagande bolchéviste.

Voilà sa faute capitale et il aurait évité la catastrophe finale s’il avait tenu compte autant de ses arrières que de son front.

Telle est d’ailleurs la politique de votre gouvernement actuel qui a déjà donné de brillants résultats. »….

Il s’agit cette fois de l’avis d’un diplomate concernant le gouvernement et le général Wrangel.

Le général Wrangel avait une vision politique que n’avait ni Koltchak, ni d’ailleurs Dénikine. Bien que généralement « catalogué » de droite, il mènera une politique de gauche et s’attachera à la répartition des terres ainsi qu’à la semaine de 40 heures et à la protection sociale des ouvriers.

La France, l’alliée du gouvernement Wrangel : 

Le gouvernement Wrangel a été reconnu par la France en tant que « gouvernement de fait et local » et non pas en qualité de gouvernement russe. La France, toutefois, entrevoit la possibilité que le gouvernement du général Wrangel devienne le noyau autour duquel se formera le pouvoir qui assumera la tâche de préparer la libre consultation du peuple russe, d’où sortira la restauration d’un État russe régulier.[[11]]

La France a une préoccupation forte, il s’agit des dettes du gouvernement antérieur, les fameux emprunts russes.

La France attend du général Wrangel qu’il ramène l’ordre et la prospérité plutôt que des succès militaires brillants et incertains. L’assistance consentie a surtout un caractère défensif et elle est destinée essentiellement à permettre de résister aux agressions soviétiques.

Le France livre des armes à l’Armée de Wrangel. Les besoins tels que transmis à Struvé le 27 septembre 1920 pour en négocier l’acquisition sont : vingt pièces d’artillerie de calibre 76,2 avec 150 à 200 mille obus. Deux mille mitrailleuses du modèle 1907, avec cartouches. 50 000 fusils Lebel, avec 50 millions de cartouches correspondantes. Quelques milliers de fusils russes qui se trouvent à Mayence. 7 mortiers de modèle anglais, avec munitions. Des aéroplanes : 50 Sopwith, 25 Salmson, 50 monoplaces Spad [[12]] . En échange, « le gouvernement du sud de la Russie devra s’engager à vendre en France, au prix en cours sur le marché mondial au moment de la vente, la moitié de la quantité totale de céréales exportables, de charbon, de laine, de tabac, de cuirs et de tourteaux [[13]]. »

La France délègue, le 28 août 1920, un haut-commissaire en la personne de Mr. Martel assisté du général Brousseau. Tous deux ont une grande expérience de la Russie

Dans l’interview [[14]] du Comte Martel pour l’article de Rousskaya gazeta, Belgrade, du 2 novembre ce dernier fait les déclarations suivantes quant aux rapports existants entre la France et les bolchéviques :

….« La France n’a jamais eu de rapport avec les bolchevistes, parce qu’elle est convaincue qu’un gouvernement qui n’accomplit pas ses devoirs ne doit pas être admis dans le cercle des pays civilisés. La nation française se rend bien compte que le pouvoir soviétique, qui représente la tyrannie d’une minorité, ne doit pas être confondu avec le peuple russe et n’a pas le droit de parler en son nom. »….

Toutefois, les relations entre la mission Française et le général Wrangel et son état-major ne sont pas des meilleures en raison de la présence, dans la délégation Française, d’un officier français d’origine russe, nommé Z. A. Pechkov, [[15]frère ainé de Yakov Mikhailovitch Sverdlov [[16]]  et supecté d’être révolutionnaire. 

Contexte français.

Il m’a semblé utile de rappeler quelques facteurs du contexte français du lendemain de la première guerre mondiale qui conditionneront les décisions et attitudes de la France.

La France sort d’une guerre particulièrement sanglante et les problèmes, de ce fait, sont nombreux et complexes. L’armée Française, constituée de militaires de métier et d’appelés, manque d’hommes, et des appelés d’avant-guerre ne sont pas tous libérés en 1919 ce qui donne lieu à de nombreuses mutineries dans la flotte de La Méditerranée.

La France veut se désengager de la Turquie et prévoyait de fermer sa base navale de Constantinople en 1919 mais la base reste en fonctionnement du fait de la situation en Crimée. La situation diplomatique avec la Turquie est extrêmement complexe et la France et le Royaume Uni ne peuvent accepter la présence de forces armées tierces à Constantinople.

La France a été frappée par l’épidémie de la grippe espagnole qui a provoqué plusieurs centaines de milliers de morts et l’on est particulièrement sensible aux risques d’épidémie.

Le bolchevisme est considéré comme une doctrine dangereuse et n’inquiète pas moins les autorités françaises que les épidémies.

Position de la Grande-Bretagne

La perfide Albion lâche les Blancs dès avril 1920 [[17]] . En juin 2020, on constate un brusque revirement des Anglais en faveur d’un accord avec les bolchéviques [[18]]  et il ne faut pas compter sur l’aide des anglais en cas d’évacuation ultérieure de la Crimée, pas même en ce qui concerne les réfugiés. [[19]]

En juillet 1920, Struvé écrivit : « Le Gouvernement britannique a proposé aux Soviets de conclure immédiatement un armistice avec la Pologne et de convoquer à Londres une conférence chargée d’établir les relations en temps de paix et de régler les affaires russes. Le Gouvernement britannique propose en même temps aux Soviets de conclure un armistice avec nous, en posant comme condition que notre Armée se replie sur la Crimée et que durant le temps de l’armistice l’isthme de Pérékope soit reconnu comme zone neutre. Nous, on se propose de nous inviter à la conférence non pas à titre de participants à droits égaux, mais simplement pour discuter du sort de notre Armée et des réfugiés. »[[20]]

L’armistice entre la Russie soviétique et la Pologne sera décisive pour la suite des événements, des troupes aguerries pourront être affectées aux combats avec les Blancs et la supériorité militaire soviétique après l’armistice deviendra écrasante.

Ceci était prévisible et d’ailleurs prévu. Le capitaine de vaisseau Vandier, chef de l’état-major de L’Escadre de la Méditerranée orientale, en conclusion d’un rapport des SR, écrira [[21]]  : « La paix polonaise va permettre aux Soviets de concentrer toutes leurs forces contre Wrangel, l’opportunité d’écraser définitivement les communistes dans un moment de désorganisation profonde, par une action concertée est à nouveau perdue. »


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[[1]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref3  SR Marine Sud (SHD de Toulon 19 S  3)

[[2]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref4  Les troupes cosaques étaient considérées en qualité de troupes irrégulières.

[[3]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref5  De Crimée.

[[4]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref6  Son frère avait été tué sur ordre de Slachtchoff.

[[5]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref7  BDIC F delta res. 881.

[[6]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref8  Il s’agit de l’historiographie traditionnelle. Il existe une autre version dans laquelle le général Romanovsky aurait été tenu pour responsable de la mort du général Drozdоvsky, une des figures du mouvement blanc, vénérées par les militaires de sa division et il pourrait s’agir d’une vengeance.

[[7]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref9  Le chef.

[[8]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref10  Nouvelle édition conforme aux traités de Paix et conventions de 1919-1922 Librairie Hachette.

[[9]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref11  SR de la marine Russie Sud (SHD de Toulon 19 S 3).

[[10]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref12  SHD Marine de Vincennes 1BB7.

[[11]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref13  Instructions du Ministre des affaires étrangères M. Leygue du 29 septembre 1920 au Haut-Commissaire français Martell auprès du gouvernement Wrangel.

[[12]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref14  Lettre de Basili à Struvé du 27 septembre 1920. Pipes Richard. Les relations diplomatiques du gouvernement Wrangel en Crimée, 1920. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 4, n°4, Octobre-décembre 1963. pp. 401-435.

[[13]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref15  Lettre de Struvé à Krivochéine du 15 octobre 1920. Ibid.

[[14]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref16  SHD Marine de Vincennes 1 BB 7.

[[15]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref17  Né de Mikhail Izraélovich Sverdlov et de son épouse Elizaveta Solomonovna, juif, il se convertit à l’orthodoxie et son parrain sera Maxime Gorki de son vrai nom Alexandre Pechhkoff dont il prend le nom. 

[[16]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref18  Révolutionnaire bolchevique, Président du Comité Central exécutif de Russie après l’attentat contre Lénine

[[17]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref19  D’après Richard Pipes : « L’Angleterre, en particulier, assumait à l’égard de Wrangel une attitude d’hostilité non compromettante, dont le ton fut donné par une note sèche du 2 avril, dans laquelle elle annonçait qu’elle ne soutiendrait plus les forces armées antibolcheviques et demandait une trêve immédiate avec la Russie Soviétique ». Les relations diplomatiques du gouvernement Wrangel en Crimée, 1920. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 4, n°4, Octobre-décembre 1963. pp. 401-435.

[[18]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref20  Lettre de Struve à Maklakov du 8 juin 1920, ibid.

[[19]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref21  Lettre de Neratov à Troubetskoi, direction des relations internationales, du 8 juin 1920. Ibid.

[[20]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref22  Lettre de Struve à Troubetskoi du 17 juillet 1920, Pipes Richard. Les relations diplomatiques du gouvernement Wrangel en Crimée, 1920. Ibid.

[[21]]url:https://loukine.fr/escadre-russe-bizerte-marine-imperiale-russe/#_ftnref23  Note état-major, Vandier, Toulon 04 57 C8.

 
 
 

BIZERTE. LA COLONIE RUSSE. CHRONIQUE 1921.

 
 8 Novembre 2020    Paul Loukine   
 
Un chapitre du “Chemin de croix des officiers de la Marine Impériale de Russie”
Nos remerciements à I. KUTTLEIN, petite fille du colonel en l’amirauté A. A. POZNIAK, pour la correction des textes.

 

1-er SEMESTRE.

L’AIDE AUX REFUGIES.

 
L’ex-attaché naval Dmitrieff et l’amiral Kedroff apportèrent une aide précieuse. Ils faisaient expédier des objets de toutes sortes pour les femmes et les enfants. Il s’agissait de dons effectués par le Comité de bienfaisance des Dames de Paris, par la Croix-Rouge américaine, et la Croix-Rouge russe de Paris.
Mi-février 72 000 F furent envoyés par Dmitrieff et des sommes modiques distribuées à tout le personnel, aux femmes et aux enfants. Le personnel de l’escadre reçevait 18 F, les femmes et les enfants de plus de 16 ans, 10 F et les enfants de moins de 5 ans,  5 F.
En mars l’amiral Kedroff et le capitaine de vaisseau Dmitrieff transférèrent à nouveau de l’argent qui fut vite dépensé pour les premières urgences et pour améliorer l’ordinaire des camps et de l’escadre notamment pour Pâques qui est une fête particulièrement importante pour les Russes.
 

L’ETAT-MAJOR S’IMPLIQUE DANS L’ORGANISATION DE LA COLONIE RUSSE.

 

LA COMMISSION DE REPARTITION DE L’AIDE.

 
Madame Evguenia Ossipovna Potapieff,
née Goloub, 1885 – 1968 (Tunis) épouse du capitaine de vaisseau Potapieff. (Collection A. Potapieff)


Le commandant par intérim, par ordre N° 90 du 20 janvier, ordonna de créer une commission de répartition des vêtements, chaussures… Ses membres étaient Mesdames E. Potapieff, O Tikhmeneff, M. Osteletsky, le capitaine de frégate Pachkévitch, puis par la suite le capitaine de vaisseau Guildebrandt, le Président de cette commission était le contre-amiral Nikolia. L’administrateur était le lieutenant en amirauté Kirioukine.
 

LE COMITE DES DAMES

 
Le 04.04.1921 un comité des dames fut également crée pour la distribution de l’aide aux femmes et aux enfants. La présidente était Madame Guérassimoff, et les membres Mesdames Tikhomiroff, Berg, Knorring, Plechteeff.
 

LA COMMISSION DES OFFRES D’EMPLOI

 
Le contre-amiral Pavel Pavlovitch
Osteletski 1880 – 1946, Paris.
Une autre commission fut créée le 10 février, il s’agit de la Commission chargée  des offres d’emploi qui était présidée par l’Amiral Osteletski et d’un représentant du Guénéral Alexeef, du Guénéral Korniloff, du Kronchtadt et de l’Almaz sur désignation du commandant et des deux membre de la brigades des mines et torpilles et des sous- marins sur désignation des commandants des groupes de navires.
Les objectifs furent les suivants :
Etablir un contact étroit avec le Contrôle Civil Bureau russe.
Entrer en contact avec les consuls étrangers se trouvant à Bizerte.
Collecter les listes renseignées de demandeurs d’emploi.
Informer l’Escadre des offres.
Etablir des documents pour ceux qui quittaient l’Escadre.
Le travail de cette commission contribua à rétablir la confiance, à terme, au sein même « du contre-espionnage français » puisque un bureau fut mis à la disposition de la « commission Osteletski » au « Contrôle civil Bureau russe ».
Le colonel Mikhail Andreevitch Ardatoff, 1871-décedé le 1 juin 1921 du typhus à Bizerte.
Le colonel Ardatoff, commandant russe du camp d’El Euch qui avait organisé de sa propre décision un « bureau d’emploi » qui fonctionnait efficacement mais pour son camp seulement, fut rappelé à l’ordre par les Français puis par les Russes. Il laissa un journal, « De Sébastopol à Bizerte » édité dans les « Autographes de Bizerte » en 2012 en russe.
Afin d’aider les réfugiés, le 26 mai 1921, l’amiral Berens, commandant par intérim de l’Escadre russe, prit l’initiative de créer une commission nommée « La Commission aux affaires russes d’Afrique du nord ». La Croix-Rouge russe se montra également active. Des initiatives personnelles virent le jour comme La Caisse d’Assurance Maladie Russe et la Polyclinique Russe de Tunis. (Voir dans ce blog le chapitre « LA COMMISSION AUX AFFAIRES RUSSES D’AFRIQUE DU NORD, LA COOPERATIVE RUSSE DE TUNIS, LA CAISSE D’ASSURANCE MALADIE RUSSE DE TUNIS, LA CROIX ROUGE RUSSE »)
 

LA PRIORITE POUR LES REFUGIES : SE REARGENTER.

 
La plupart des réfugiés demandaient à travailler mais début mars 1921 seule une centaine de refugiés trouvèrent un emploi. Les refugiés furent encouragés avec insistance par les autorités françaises à trouver un emploi, la principale offre étant le travail dans les fermes. Les autorités françaises tentèrent de trouver des emplois correspondant à la spécialité des réfugiés quelquefois avec succès. Les familles furent autorisées à rester dans les camps et profiter des rations alors que le chef de famille travaillait. En cas de perte d’emploi, le retour au camp était possible.
Au 24 avril 1921, 390 refugiés et 320 personnes de l’escadre trouvèrent du travail.
A partir du 21 mai, les français se montrèrent encore plus pressants et des réfugiés furent obligés d’accepter le travail sous la contrainte.
Le haut-fonctionnaire Français Monchicourt dans la « Tunisie après- guerre » relatait :
«Les administrations ou particuliers prirent à leur solde en avril et en mai une bonne moitié de ces immigrants occasionnels. On leur demanda spécialement des ouvriers agricoles (2050), des techniciens (100), des mineurs (80). En outre, une centaines de femmes se casèrent comme gouvernantes ou domestiques. Ces 2825 Russes qui se contentent de salaires modérés s’acquittent de leur tâche d’une façon louable. »
 

LES EFFECTIFS

 
Au 23 avril 1921, la répartition dans les camps, l’escadre, l’école navale, l’hôpital et ceux vivant à terre et assurant eux-mêmes leur subsistance était la suivante[[1]]url:https://loukine.fr/bizerte-la-colonie-russe-chronique-1921-1-er-semestre/#_ftn1  :

D’après d’autres sources, il y aurait eu également 26 femmes et 12 enfants à l’hôpital.
 

DESTABILISATION ET RETOUR EN URSS.

 
Un télégramme fut reçu le 18 avril par le Contrôle civil. Ce télégramme daté du 12 avril adressé au Ministre résident de Tunis avait été expédié par le Haut- Commissaire de Constantinople. Ce télégramme mentionnait : « La radio bolchévique du 7 avril annonce que l’entrée en Russie est autorisée pour les soldats, les cosaques, les paysans mobilisés et les grades subalternes de l’armée Wrangel ; il peuvent revenir, ils seront pardonnés ». Veuillez transmettre ce télégramme à tous les russes de Crimée se trouvant à Tunis. Briant.
Environ 200 matelots s’inscrivirent pour un retour ( 130 d’après d’autres sources) et les listes furent transmises au Contrôle civil mais ce sujet restera sans suite.
En même temps, les journaux français et une partie des journaux russes publiaient :
« le message officiel du gouvernement français concernant son intention d’isoler le Général Wrangel de son armée, cette dernière passant à un statut de réfugiés ». Ces informations créaient un climat de nervosité et pour calmer les tensions le commandant par intérim par ordre N° 380 du 25 avril annonça :
Ces derniers temps, les rumeurs les plus diverses circulent sous forme de messages ou de dispositions du Gouvernement Français. Je vous informe que la procédure de communication officielle demeure inchangée, c’est à dire que tous les dispositions du Gouvernement français concernant l’Escadre et les Russes qui se trouvent à Tunis,  passent exclusivement  par moi-même, par l’intermédiaire de mes ordres. Toutes les autres informations et rumeurs doivent être considérées comme personnelles et n’ayant aucune incidence sur notre sort.[[1]]  »
« On ne peut ne pas remarquer que les autorités civiles  (Le contrôle Civil) en recevant de telles informations, comme par exemple le message radio bolchévique concernant l’amnistie ou en commentant les articles de la presse relatifs à l’isolation du Général Wrangel par rapport à l’armée, tentait vraisemblablement de créer la panique parmi les Russes et faire en sorte qu’il se dispersent, et ne reçoivent plus de ration de subsistance. A Gallipoli et plus particulièrement à Lemnos, c’était les autorités militaires qui s’occupaient de cela, à Bizerte les autorités militaires, bien au contraire, s’efforçaient de soutenir les autorités russes et appelaient à obéissance stricte au commandant des camps dont l’autorité fut élargie. »
L’adjoint au Gouverneur militaire, le général Sarton du Jonchay, comme cela a été précisé précédemment, calmait les Russes dans les camps, et conseillait de se soumettre à leur chef.» [[2]]  Il faut préciser que dans le même temps, le commandant par intérim de l’Escadre recevait un total soutien des autorités militaires et maritimes, par contre, certains représentants des autorités civiles, par leurs déclarations aux officiers et au matelots, sapaient l’autorité du commandement russe. Ceci a eu lieu pendant la période la plus difficile pour l’Escadre de mi-mars à début mai 1921.
Le 25 avril, une rumeur se répandit comme une trainée de poudre : les Français arrêtaient la distribution des rations au 1er mai. Une note de l’amiral Berens fut émise pour calmer les esprits.
 

VIE CULTURELLE DES REFUGIES

 
L’amiral Berens fit éditer un bulletin d’information. Malheureusement nous ne disposons pas de l’intégralité de ces documents. Le N° 10 est daté du 4 février, et il y a eu vraisemblablement une dizaine de ces bulletins édités en janvier 1921. Le 13 est du 7 février,  le 19 du 15 février et le 20 du 4 mars.
Bulletin d’information N° 10 du 4 février émis par l’état major de l’escadre.
Dès février 1921, les manifestations culturelles russes donneront une autre dimension à la ville de Bizerte. L’Escadre disposait d’un énorme potentiel culturel dont profiteront bien entendu les Russes mais aussi la population locale.
Le capitaine de frégate Guéorguiï Fridrikhovitch Hildebrandt 1882 – 1943 (Tunis)
Un concert sera organisé le 5 février au Cercle des officiers de Bizerte. Se produiront, le capitaine de frégate Guildebrandt au piano, le marin Nazarenko qui chantera, l’orchestre de balalaïkas, un chœur de 30 personnes, la dimension de la salle ne permettant pas au chœur entier de se produire.
Il était prévu de donner un concert le 6 février pour les grades subalternes français, mais nous ne savons s’il s’est produit.
Des commentaires d’une grande compétence concernant ce concert, sont mentionnés dans le bulletin d’information.
20.III.1921.L’orchestre de l’état-major de l’Escadre jouera à un dîner de gala donné par les autorités locales en l’honneur du Résident à Tunis (les Français ne disposait pas d’orchestre à Bizerte).
Orchestre « de l’état-major » défilant dans les rue de Bizerte.
27.03.1921. Au théâtre Garibaldi l’orchestre de balalaïkas du Guénéral Korniloff se produisitt lors d’un concert qui a connu un grand succès.
29.03.1921. Le junker Iouchtchenko du Guénéral Korniloff avait été invité à jouer au violon pendant la messe solennelle de Pâques catholique, dans l’église catholique locale. Après le service divin, le prêtre s’est adressé à l’audience avec un discours : « Nous avons écouté de la musique spirituelle interprétée par un musicien russe, pour laquelle nous lui apportons notre profonde gratitude ; par-là, je ne peux que souligner notre sympathie pour les Russes, nos anciens alliés ; je dirai même plus, nous croyons fermement que la Russie survivra au malheur qui lui a été envoyé par la volonté du Créateur et qu’elle en sortira aussi grande et puissante que nous l’avons connue auparavant. » 
3.04.1921. Une fête de bienfaisance fut organisée au profit des réfugiés russes. Le programme de la fête fut le suivant : des orchestres russes jouaient sur la terrasse du Cercle des officiers et sur la place de la ville, de 14h à 19h, de grands concerts, des exercices de gymnastique du club féminin, des danses russes, l’orchestre de balalaïkas et des jeux arabes.
4.IV.1921. Un chœur de chanteurs et l’orchestre de balalaïkas du contre-torpilleur Derzkiï se rendirent à Tunis pour participer à un concert organisé par les Français à des fins caritatives.

 

[1] Archives A. Plotto
[2] Vie et état d’esprit du personnel de l’Escadre au premier semestre 1921 (Rapport de l’état major de l’escadre adressé au général Wrangel)
 

 


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Via yandex.ru

http://www.sologubovskiy.ru/articles/7677/

 

La Russie et les itinéraires de Bizerte

10.02.2021
 

La Russie et les itinéraires de Bizerte
 
Le Temps, la Tunisie, le 5 février 2021
Hatem BOURIAL
 
Le centenaire de l'exode de la flotte russe depuis la Mer noire jusqu'au port de Bizerte est depuis novembre 2020 au coeur d'une grande célébration. Une page d'histoire qui représente l'un des socles de la relation tuniso-russe.
C'est en novembre 1920 que la flotte impériale russe de la Mer noire a quitté son port d'attache en Crimée pour rejoindre Constantinople, en Turquie. Il s'agissait d'un véritable exode qui concernait 126 bateaux et navires de guerre commandés. Commandée par le général Wrangel, cette flotte transportait 150.000 civils et militaires. Plus tard, une escadre de 33 navires transportant 6000 personnes traversera la Méditerranée pour aller vers Bizerte. Cette escadre comprenait plusieurs centaines d`officiers et leurs familles qui feront de Bizerte leur port d'attache et de la Tunisie leur pays d'adoption.
 
La postérité d'Anastasia Manstein-Chirinsky
 
Comme l'a écrit l'écrivain russe Ivan Chmeliov, "ils ont quitté la Russie emportant la Russie avec eux et continuent à la porter jusqu'à présent. L'exemple le plus éloquent de ces Russes arrivés en Tunisie il y a un siècle, est celui d'Anastasia Manstein-Chirinsky. Arrivée à l'âge de huit ans, celle qui deviendra l'ange-gardien de cette escadre russe, a vécu près de quatre-vingt-dix ans à Bizerte où elle repose désormais. Anastasia Manstein-Chirinsky a consigné son témoignage dans un ouvrage intitulé "La dernière escale", devenu un classique depuis sa parution il y a plus de vingt ans.
 Grâce à cette grande dame, une Fondation de conservation de l'héritage historique et culturel russe en Tunisie, a vu le jour il y a dix ans. Cette institution porte désormais le nom de Fondation Anastasia Manstein-Chirinsky en son honneur et poursuit son travail de fond pour préserver la mémoire des marins russes de Bizerte. La création de cette fondation a été soutenue par l'ambassade de Russie en Tunisie, le Centre russe de la culture et des sciences et le gouvernorat de Bizerte. La société civile tunisienne s'est également impliquée dans plusieurs projets de la Fondation Anastasia Manstein-Chirinsky.
Cette institution a contribué à la création d'un centre mémoriel nommé "Maison de l'escadre russe" et installé à Bizerte. Ce centre a initié un parcours culturel et historique pour mettre en valeur les lieux de mémoire liés à l'escadre russe. Ainsi, la zone portuaire où stationnaient les navires, le cimetière où se trouvent les sépultures des marins russes et celle de Manstein-Chirinsky, l'église Saint Alexandre Nevski font partie de ce parcours. Apportant leur soutien au projet dans sa globalité, les autorités tunisiennes ont baptisé du nom d'Anastasia Manstein-Chirinsky, la place publique qui fait face à l'église. Fondée en 1938, ce lieu de culte est l'unique église mémorielle dédiée à l'escadre russe.
 
L'un des socles symboliques des relations tuniso-russes
 
Aujourd'hui, la Fondation Manstein-Chirinsky est présidée par Elvira Gudova alors que Larissa Bogdanov est la conservatrice de la Maison de l'escadre russe. De nombreux visiteurs se rendent à Bizerte pour y découvrir les itinéraires de mémoire de la flotte impériale russe qui, depuis la Crimée et la mer noire, a abouti en Tunisie il y a un siècle. Signe qui ne trompe pas sur l'importance historique et culturelle de cette présence russe, l'archimandrite de la Laure Alexandre Nevski de la Sainte Trinité est le président du conseil d'administration de la Fondation Manstein-Chirinsky. Au-delà, cette fondation cultive un projet cher à la grande Anastasia dont la volonté posthume était la sauvegarde de la mémoire de cet événement qui s'est déroulé en 1920.
Symbole par excellence, une stèle a été érigée par l'ambassade de Russie à la mémoire des marins de l'escadre russe et de tous les compatriotes venus en Tunisie à bord de la flotte impériale. Cette stèle se trouve au cimetière chrétien de Bizerte juste aux côtés des sépultures des marins et du caveau familial de Manstein-Chirinsky. Ces itinéraires de Bizerte sont une manière de se replonger dans cette page d'histoire à laquelle l'ambassade de Russie en Tunisie vient de consacrer une brochure bilingue, parue en décembre 2020 pour commémorer le centenaire de cet exode vers la Tunisie, l'un des socles symboliques des relations tuniso-russes.
 
http://www.letemps.com.tn/article/119140/la-russie-et-les-itinéraires-de-bizerte?fbclid=IwAR2YUgBxweMkqVLXltagiSe6c7RexVc7reZa4LrBZ_L4CDYisA2Q0rVfGBA
 


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https://www.kinoglaz.fr/index.php page=fiche_film&lang=fr&num=4122
 
Viktor LISSAKOVITCH
Виктор ЛИСАКОВИЧ
Viktor LISAKOVICH
Russie, 2006, 86mn 
Couleur, documentaire
Anastasia, Exil à Bizerte
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Анастасия

 

 Anastasia

 Anastasia

Autres titres : Бизерта последняя стоянка (Biserta poslednyaya stoyanka)
 
Réalisation : Viktor LISSAKOVITCH (Виктор ЛИСАКОВИЧ)
Scénario : Nikolaï SOLOGOUBOVSKI (Николай СОЛОГУБОВСКИЙ)
D'après le livre éponyme de Anastassia Chirinskaïa (Анастасия Александровна Ширинская)
Musique : Evgueni CHIRIAEV (Евгений ШИРЯЕВ)
Production : Levon Manassian et Dolores Melk - Studio ELIGUEA
 

Prix et récompenses :
Prix spécial du Jury Festival international du film sur les droits de l'homme "Stalker", Moscou (Russie), 2008
Prix de l'amitié Festival du film russe "Vesna" à Paris, Paris (France), 2008

Synopsis
 
Ce film illustre un aspect particulier de l’histoire de la Révolution russe. Anastasia Chirinsky, née Manstein, est fille d’un officier de marine russe. Elle est née en 1912 dans le grand domaine familial de Russie où elle passe sa première enfance et pendant la Guerre civile, elle est témoin de l'évacuation de la Crimée. Son père, Alexandre Manstein, est commandant du torpilleur «Jarky» et fait partie de l'Escadre russe venue à Bizerte en 1920-1921. Ainsi, à l’âge de 7 ans, en 1920, elle débarque avec sa famille en Tunisie où elle est toujours restée depuis. A 95 ans, elle est l’une des dernières survivantes de l’émigration russe de l’époque de la révolution Ce documentaire, s’appuyant sur des documents d’époque, raconte sa vie, et à travers elle, celle de toute une génération d’émigrés russes qui pensaient ne quitter leur pays que pour une courte période et n’y sont jamais revenus.
 

Commentaires et bibliographie
 
http://www.dailymotion.com/video/xbwjez_anastasia-chirinsky-partie-1-du-fil_shortfilms