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Une folle traversée de la Russie révolutionnaire


Une folle traversée de la Russie révolutionnaire
 
 

L’humour de Nadejda Teffi dans la tourmente de la Révolution russe



•          21 JUIN 2017
•          PAR JEAN-PIERRE THIBAUDAT
•          BLOG : BALAGAN, LE BLOG DE JEAN-PIERRE THIBAUDAT



Dans « Souvenirs » enfin traduit, Nadejda Teffi raconte la folle épopée qui, de Moscou à Odessa et jusqu’à un bateau, la conduira en 1919 à un exil sans retour. Aussi noir que drôle.
Auteur de romans, de nouvelles et de chansons très populaires dans la Russie d’avant la Révolution, Nadejda Teffi (un nom de plume) fut aussi une journaliste qui signait des chroniques alertes et humoristiques dans le quotidien libéral La Parole russe(800 000 exemplaires). Alors qu’elle avait accueilli avec un certain enthousiasme la Révolution de février 17, elle fut beaucoup plus circonspecte lors de la prise du pouvoir en octobre par les bolcheviks qu’elle n’aimait guère, à commencer par Lénine. Et lorsque les bolcheviks interdirent La Parole russe, elle songea sinon à l’exil du moins à s’éloigner. La rencontre avec un « imprésario bigleux d’Odessa » nommé Gouskine scella l’affaire. Il promit de lui organiser des soirées littéraires à Kiev et à Odessa.
Une pelisse de loutre
C’est le début d’un long périple qui la conduira dans ces villes et pour finir à Novorossiirsk où elle s’embarquera sur un navire qui devait sceller un exil qu’elle crut longtemps non définitif. Dix ans après ce départ devenu sans retour, elle se décide à écrire Souvenirs, le récit de cette folle équipée durant les heures les plus folles de la Révolution russe entre l’automne 1918 et et la fin 1919.
Nullement nostalgique, pathétique ou larmoyant, c’est un récit au rythme haletant, souvent truculent, constamment humoristique comme tout ce qu’écrit Teffi, où l’horreur (dénonciations, exécutions sommaires, rumeurs affolantes) et son regard constamment caustique font bon ménage. Un témoignage chaleureux et impitoyable sur cette société russe blanche fuyant l’avancée des bolcheviks. A Paris, Teffi deviendra l’une des grandes figures de cette émigration-là.
Sur la route de Kiev, portant une pelisse de loutre qui allait se râper au fur et à mesure du voyage en compagnie d’un écrivain et d’actrices embarqués eux aussi par l’imprésario bedonnant, sa notoriété sert Teffi mais lui crée aussi des obligations. Dans un bourg perdu, « un commissaire aux affaires culturelles exige d’elle une soirée littéraire devant « le prolétariat local » avant de la laisser repartir avec ses compagnons avec de nouveaux laissez-passer, le commissaire qui leur en avait fourni au départ de Moscou ayant entretemps été exécuté par les bolcheviks.
Les pages consacrées au séjour à Odessa sont les plus délirantes, tout le monde semble s’être donné rendez-vous dans ce port de la Crimée. Teffi croise ainsi le poète Maximilien Volochine « une épaisse barbe coupée au carré, un flot de boucles en bataille surmonté d’un béret rond, un long imperméable qui flottait au vent, des pantalons courts et des guêtres. » Elle le montre déclamant ses vers dans des administrations pour faire ouvrir des portes ou faire libérer des gens emprisonnés. Teffi se moque gentiment. Quel contraste avec le portrait du même Volochine que brosse Marina Tsvetaeva dans son livre De vie à vie traduit par André Markowicz et si bien édité par les éditions Clémence Hiver. Rien d’étonnant : il n’y a pas plus opposées que Teffi et Tsvetaeva.
« Vous vous êtes déjà fait onduler ? »
La rumeur court que les troupes françaises ont quitté Odessa, que les bolcheviks sont aux portes de la ville. Chacun songe à partir. Teffi croise une connaissance qui sort de chez le coiffeur. Dialogue :
« - Une horreur ! j’ai attendu trois heures. Tous les salons sont combles... Vous vous êtes déjà fait onduler ?
- Non, répondis-je déconcertée.
- Voyons ! A quoi pensez-vous donc ? Si les bolcheviks attaquent, il va falloir s’enfuir. Qu’allez-vous donc faire ? Comment prendre la fuite sans être coiffée ! »
La scène va marquer Teffi, elle y reviendra 70 pages plus loin. Et ajoutera : « Il me semble que pendant la destruction de Pompéi quelques edelweiss arrivèrent à se faire à la hâte une pédicurie. »
Humour jamais à court de Teffi qui n’hésite pas à se moquer d’elle-même à l’occasion. Trois lignes avant la fin de ses étonnants Souvenirs, elle se laisse aller. Elle se tient sur le pont d’un navire qui voit le quai rapetisser, elle s’est jurée de ne pas se retourner, mais elle cède, elle regarde la terre russe « s’éloigner doucement, tout doucement ». Peut-être espère-t-elle encore revenir un jour. Quand elle écrit ces derniers mots, dix ans plus tard, elle sait qu’elle ne reviendra pas. Nadejda Teffi est morte à Paris en 1952 et son corps repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-bois.
Nadejda Teffi, Souvenirs, traduit du russe par Mahaut de Cordon-Prache, Editions des Syrtes.

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Nationalité : Russie 
Né(e) à : Saint-Petersbourg , le 21/05/1872
Mort(e) à : Paris , 1952
Biographie : 

Née Nadejda Alexandrovna Lokhvitskaya, épouse Buchinskaya, Nadedja Teffi étati une fille de l’aristocratie de Saint-Petersbourg. Sa mère d'origine française donna à ses enfants une éducation libérale. A neuf ans, la jeune Nadejda Alexandrovna lisait Tolstoï et tombait amoureuse de ses héros. Dans les années qui précédèrent la Révolution de 1905 (le tsar Nicolas II et la femme de Tolstoï l’adoraient) et celles qui suivirent (elle fut l’un des signatures attendues du « Nouveau Satiricon » et de la rédaction du « Russkoe slovo »), Nadejda Teffi fut adulée pour son humour. En 1910 et 1911 (elle approche alors de la quarantaine), ses premiers deux recueils de « Récits humoristiques » connaissent un succès considérable, d’autres suivront. 
Plus tard, elle devait être l’une des plumes les plus alertes de l’émigration russe (elle est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois). Vivant de sa plume, elle collabora à de nombreux journaux russes de l'émigration. 

 
 
Source : http://blogs.rue89.com/balagan/

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Tiré de : artcorusse  | juillet 28, 2017


Dix ans après son arrivée à Paris, la grande satiriste et humoriste russe Nadejda Alexandrovna Lokhvitskaïa, plus connue sous le nom de Teffi (Saint-Pétersbourg 1872, Paris 1952) relate dans cet ouvrage son extraordinaire traversée de la Russie en pleine révolution.Dans ce récit, Teffi parle peu d’elle-même, mais décrit tout ce qui l’entoure d’une plume acérée et avec une bonne dose d’humour. Sa prose toute en finesse dépeint, avec retenue, humour et délicatesse, le périple invraisemblable d’une troupe d’artistes quittant Moscou pour se produire en Ukraine, puis à Odessa, avant de fuir le pays dévasté.
Davantage qu’un reportage sur les événements tragiques d’un empire en décomposition, ce livre, qui se lit comme un roman, est une allégorie poétique de l’exil, émaillée de portraits inoubliables dont les lecteurs se souviendront avec tendresse.
Une œuvre unique, une vision féminine, intime, lucide et drôle d’une tragédie au retentissement universel.
À Novorossiisk, tandis que le bateau qui l’emmène à Constantinople s’éloigne du quai, Teffi fixe sa patrie perdue: « De mes yeux grand ouverts jusqu’à être glacés. Je regarde. Sans bouger. J’ai transgressé ma propre interdiction. Je me suis retournée. Et voilà que, comme la femme de Loth, je me suis figée. Pétrifiée jusqu’à la fin des siècles, je verrai ma terre s’éloigner doucement, tout doucement. »
Pleurer de rire, rire d’avoir trop pleuré, essuyer ses larmes d’un revers de mots et d’humour. Le remède de Nadejda à la vie, c’est l’ironie, la conscience que tout de même, tous les événements que nous traversons ont en eux autant de comique que de tragique. Si Nadejda était encore en vie, elle dirait : « Surtout, ne m’enterrez pas loin, là-bas ».
« Il y a des jours d’ivresse dans l’histoire d’un peuple. Il en a besoin pour survivre. Mais vivre précisément ces jours-là, c’est impossible. »
Teffi était l’auteur la plus lue par l’émigration russe entre 1920 à 1940. Elle est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Jean Maiboroda