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Un ouvrage sur l'implantation d'une communauté russe en Corse en 1921 : "L'odyssée du RION"


Un ouvrage sur l'implantation d'une communauté russe en Corse  en 1921  : "L'odyssée du RION"
Nous sommes particulièrement heureux d'annoncer la parution d'un ouvrage ayant pour titre " L'Odyssée du Rion", dont l'auteur est Bruno Bagni, professeur agrégé d'Histoire à Toulon. 
Cet ouvrage, qui  a fait l’objet d’une souscription organisée par Bibliocratie   (www.bibliocratie.com/) retrace  l'histoire d'un paquebot chargé de 3700 réfugiés russes "blancs" de la guerre civile, le « RION », parti de Constantinople pour le Brésil, mais qui a échoué en Corse en 1921 à la suite à d'avaries mécaniques. Cet épisode est à l'origine de l'implantation d'une  forte communauté russe sur l'île.
Les descendants des émigrés Russes et Ukrainiens qui ont fait souche en Corse, ainsi que les insulaires intéressés par cette dramatique histoire auront à cœur de se procurer " L'Odyssée du Rion" .
 

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Par ailleurs, les descendants des cosaques installés en Corse liront sans doute avec intérêt  un article signé Bruno Bagni, intitulé :


 "Lemnos, l'île aux cosaques"

En voici un résumé, tiré de : 
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=CMR_501_0187


"En novembre 1920, l’armée Wrangel, évacuée de Crimée, arrive à Constantinople. Elle compte dans ses rangs quelque 50 000 Cosaques que les autorités françaises décident d’installer sur l’île grecque de Lemnos, en attendant de leur trouver un pays d’accueil. Ces camps vont fonctionner près d’un an, jusqu’en octobre 1921.
L’auteur passe en revue les raisons qui ont poussé au choix de Lemnos et dresse un tableau du difficile quotidien des Cosaques sur cette île dénuée de ressources (problèmes de logement, nourriture et vêtements rationnés, relations tendues avec les autorités françaises ainsi qu’avec les autochtones, ...).
Cette année sera marquée par un bras de fer permanent entre des autorités françaises pressées de se débarrasser de réfugiés qui coûtent cher au budget de l’État, et un état-major russe cherchant à garder intacte son armée pour reprendre la lutte contre le pouvoir des Soviets.
Pris en tenaille entre ces deux autorités, les Cosaques sont partagés entre la nostalgie du pays perdu et la crainte d’un avenir plus qu’incertain dans des pays inconnus. Une grande partie des Cosaques va accepter de retourner en Russie soviétique, malgré l’opposition de Wrangel qui voit en ce retour une trahison. Les autres vont finir par être acceptés en Bulgarie et Yougoslavie, tout en gardant leurs formations militaires, selon les vœux de leurs officiers supérieurs".

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Une publication de l'Université de Corse fait référence à l'installation en Corse des réfugiés du "RION".
 
Cf. à ce propos :  
Histoire et mémoires des immigrations en région Corse - Synthèse du rapport final - avril 2008
Jean-Michel Géa, Didier Rey, Pierre Bertoncini, Vannina Marchini, Marco Ambroselli, Yannick Solinas
Responsable scientifique : Ph. Pesteil
Université de Corse - Pascal Paoli
 
Page 16  

Ultime conséquence du premier conflit mondial, le déclenchement de la Révolution russe et de la guerre civile (1917-22) apporta également son lot d’exilés. La débâcle des armées blanches les poussa à chercher refuge auprès des puissances alliées ; c’est ainsi que, provenant de Crimée, une partie des troupes du Général Wrangel et leurs familles – pratiquement 3700 personnes, russes, ukrainiennes et cosaques pour l’essentiel – arrivèrent à Ajaccio au mois de mai 1921 ; théoriquement en transit pour le Brésil via Toulon. Il fallut dans un premier temps, subvenir aux besoins de ces réfugiés par la création d’un comité de secours; les autorités se montrant quelque peu dépassées ; en un mois d'activité, en plus des dons en nature, le Comité recueillit près de 7000 francs en liquide ; à l’inverse, il exista des situations de rejets et de xénophobies. Les autorités préfectorales songèrent bientôt à employer ces réfugiés, en particulier dans l’agriculture, afin de pallier le manque de main d’œuvre ; à cette fin, deux bureaux de placement furent ouverts à Ajaccio. Si, au terme de nombreuses péripéties politico-administratives, la Corse ne constitua finalement, pour ces réfugiés, qu’une étape vers une immigration sur le Continent, en Europe ou en Amérique du Sud, une partie non négligeable d’entre eux – soit quelque mille cinq cents personnes environ – demeura dans un premier temps dans l’île. Néanmoins, à compter de 1922, leur nombre ne fit que décroître ; selon les estimations de Bruno Bagni, trois cents personnes finalement semblent être définitivement installés en Corse au milieu des années 1930, tant en ville (Ajaccio, Bastia et Bonifacio notamment) que dans le monde rural où ils se dispersèrent dans quelques 80 communes, connaissant une assimilation et une corsisation très rapides ; tous, sauf trois, obtinrent la citoyenneté française. Aucun, visiblement, ne perpétua la religion orthodoxe, ainsi qu’en témoignait l’absence totale d’église de ce culte en Corse. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, ils furent inquiétés quelques temps par le gouvernement de Vichy qui les considérait comme des citoyens…soviétiques ! Ils demeurèrent néanmoins dans l’île où leurs descendants sont toujours présents ; certains de ces derniers devaient notamment s’illustrer après 1945, à Ajaccio, dans le domaine sportif, en tout premier lieu la boxe (1) .
 
 Pages 26-28
 
Questions d’altérité : de l’accueil à sa perception.  (Ph. Pesteil)

Les réfugiés « russes » à Ajaccio.
Nous avons plus particulièrement étudié l’accueil des réfugiés russes et ukrainiens à Ajaccio lors de l’arrivée et de l’attente à quai du paquebot Rion en 1921. La prise en compte de la diversité des attitudes face à l’arrivée impromptue d’une masse de réfugiés démunis et longtemps en instance de départ vers le Brésil, est une illustration éclairante des réactions complexes de la société locale. Nos sources sont des témoignages rapportés par les descendants des réfugiés, la presse de l’époque rendant compte des initiatives et des débats, les travaux historiques réalisés sur cet épisode. Même si comparaison n’est pas raison et que la méthode consistant à extrapoler un exemple particulier pour faire l’analyse d’un phénomène est délicat, il demeure que des pistes interprétatives peuvent être malgré tout proposées.
Le Rion arrive d’Odessa après plusieurs escales dans les ports de Méditerranée avec 3.700 réfugiés dont des soldats de l’armée de Wrangel, des cosaques et des civils provenant de camps. L’échec en partie de l’émigration au Brésil initialement prévue en raison de la mésentente entre les gouvernements français et brésiliens, va maintenir en Corse une partie des effectifs. Ce sont 1.500 émigrants qui resteront en Corse, les autres seront réembarqués pour Constantinople. Beaucoup de réfugiés vont trouver à travailler, souvent comme ouvriers agricoles.
Malgré la mise en place de deux bureaux de placement, d’obligation de contrat de travail, du visa du commissariat et de la Préfecture, de nombreux russes seront embauchés en dehors des conditions usuelles voire sans salaire véritable. Ces abus seront dénoncés par la Presse, l’accent est mis sur le risque de voir les salaires baisser et le chômage des corses progresser. Cette question des salaires va d’ailleurs favoriser le départ des russes vers le Continent, à la recherche de situations plus favorables, ce au grand dam de ceux qui fondaient l’espoir de voir se maintenir une main d’oeuvre laborieuse et peu chère. Autre problème larvé celui du comportement des réfugiés. Malgré quelques rumeurs, il semble qu’en dehors de cas d’ivresse publique ou de mendicité les russes ont peu alimenté les faits divers. Ceux demeurés dans la caserne Livrelli, faute de vouloir ou pouvoir trouver un emploi dans le domaine agricole, vont devoir quitter leur hébergement en juin 1922 en raison de la cessation des aides du gouvernement. Si l’on regarde les effectifs on constate que les russes sont 104 au premier semestre 1922, 346 au second puis 143 au premier semestre 1924 et 146 au second de la même année.
Ces données sont à considérer à titre indicatif, car des doutes demeurent quant à leur précision. De 1920 à 1939 les naturalisations seront progressives mais les recensements successifs font de cette communauté la seconde ou la troisième derrière les italiens et les espagnols jusqu’à la Seconde guerre mondiale.
Aux vu des témoignages, des analyses et des traces encore perceptibles il convient de remarquer la rapidité avec laquelle cette communauté s’est « dissoute » dans l’ensemble insulaire. La saignée de la première guerre a favorisé les possibilités de mariage avec les jeunes filles locales les réfugiés étant très majoritairement des hommes. La religion orthodoxe ou uniate ne s’est pas transmise dans un contexte de catholicisme quasi exclusif. La dispersion des réfugiés dans de nombreux villages ou sur des exploitations isolées a également concouru à leur isolement et de ce fait à l’érosion des particularités culturelles.
Enfin, la victoire définitive des bolcheviks a dû placer les réfugiés dans un contexte psychologique peu favorable à la volonté de pérenniser leur culture à des fins de retour. Peu d’objets ont été conservés par les familles du fait de l’état de misère extrême dans lesquels les passagers du Rion ont embarqué. Ceux possédant quelques richesses ont été amené à s’en défaire, souvent à vil prix,pour accéder à de la nourriture ou autres biens de première nécessité, épisodes relayés par les descendants. La plupart des traces conservées étaient non négociables sur le moment, comme des photographies familiales.
L’examen de la presse permet de discerner certains traits qui ne sont pas sans intérêt. L’appel à la compassion, puis à la charité active seront les mots d’ordre relativement partagés au sein de la presse, malgré les fluctuations au gré des événements et les sensibilités des chroniqueurs. Le dénuement, le contexte tragique du voyage, vont susciter un appel à la solidarité qui rencontrera d’incontestables échos auprès de la population au-delà même de la ville d’Ajaccio. Il n’est pas anodin de remarquer que la référence à l’hospitalité et à la générosité vis-à-vis des démunis est autant présentée comme un devoir envers une image de marque à laquelle il convient de se montrer conforme que comme un devoir d’humanité ou de charité chrétienne. Cette prise en compte de la réputation et le devoir de s’y conformer pour ne point déroger à une attitude reconnue comme élément de l’identité collective, est une donne à ne pas négliger. Très rapidement, la possibilité de palier les manques de bras dus à l’hécatombe de la Grande guerre grâce à la force de travail les nouveaux arrivants est clairement exprimé dans la presse et parmi la population. Le fait qu’il s’agisse principalement de jeunes hommes vigoureux et donc aptes aux taches les plus difficiles est mis en exergue. L’argumentaire insiste sur le fait que cette main d’œuvre ne viendra pas concurrencer la locale puisque appelée à combler un manque dans des secteurs où les Corses font défaut à savoir essentiellement le salariat agricole. Il est à noter que les professions exercées par les Russes étaient outre la carrière militaire peu en accord avec les activités qui leur seront proposées. Cette inadéquation entre les compétences possédées et l’offre locale ne manquera pas de soulever des craintes dont la presse se fera l’écho. (La jeuneCorse ; 3.07.1921).
Parmi les arguments réservés, il y a ceux qui mettent en avant l’importance du contingent eu égard à la population de la ville ainsi que la faiblesse des moyens locaux pour subvenir aux besoins des arrivants. Les annonces répétées du départ vers le Brésil, les hésitations quant aux Russes réellement acceptés au nouveau Monde, vont participer à focaliser l’attention de la presse sur la question des effectifs. Les phénomènes de fuite de certains réfugiés pour ne pas repartir vers la Russie comme le bruit courut sur le navire, l’embauche sans contrat de travail
pour tirer les salaires vers le bas et échapper au contrôle administratif, sont autant d’éléments parmi d’autres qui viendront alimenter le flou des comptages et donner corps à la rumeur et à la crainte. En définitive, il est difficile à la lecture des articles de se faire une idée précise des sentiments réels qui animent les auteurs. On oscille entre l’appel à la bonté et à l’entraide et la crainte de voir les réfugiés demeurer en trop grand nombre. Les voir en divagation et en désœuvrement dans les rues, craindre que leur présence ne participe à la montée des prix ou à la baisse des salaires, font que l’on alterne fréquemment entre deux polarités de l’accueil.
De telles angoisses sont récurrentes. Elles suivent chaque arrivée ou présence massive ainsi que nous l’avons vu à propos des Italiens. Comment interpréter les appels des journalistes à organiser pour les réfugiés un départ au plus tôt vers des rivages plus aptes à les recevoir ?
Seul l’organe du PCA (2) , a Muvra (3) aura une attitude ouvertement hostile à laprésence du bateau et des réfugiés dans le port d’Ajaccio. Dans le cadre interprétatif de la presse autonomiste c’est une occasion de dénoncer l’attitude de l’État qui sans concertation impose à la Corse considérée comme un « dépotoir », un « encombrant, inopportun et malodorant cadeau ». Il convient de préciser que les autorités ont préféré Ajaccio à Marseille ou Toulon en raison des sympathies avérées des ouvriers des ports en question pour la Révolution russe. Les tergiversations de l’État pris dans de subtiles négociations avec le gouvernement brésilien et devant tenir compte de l’évolution de la situation internationale sont localement réinterprétées et permettent d’alimenter selon les sensibilités politiques des pistes argumentaires.Quels enseignements peut-on tirer de cette arrivée inattendue et des réactions qu’elle a suscitées :
- Le souci de préserver et de conforter une réputation d’hospitalité.
- Concevoir l’émigration comme une possibilité de palier un manque de bras, peut alimenter à la marge des attitudes d’exploitation de la détresse.
- On peut sans contradiction voire cohabiter une attitude déclarative et compassionnelle avec un pragmatisme certain visant à tenir compte des intérêts locaux qu’ils soient économiques ou politiques.
- La sensibilité à la question du nombre traduisant une crainte de « l’envahissement ».
- Au bilan, une indéniable intégration voire une dissolution très rapide des réfugiés dans la société corse.

(1) Il s'agit de Jo Tarrassenko, champion militaire (troupes d'occupation françaises en Allemagne - 1949)  et champion de CORSE en 1951.
(2)  Partitu Corsu Autonomista
(3) A Muvra, n°25, 1 juin 1921.
 

 
 
 
 

Jean Maiboroda