Dostoievski, Soljenitsine….. et le conflit russo-ukrainien. Suivi d'un résumé de l'ouvrage de MEZRI HADDAD "Du conflit de civilisation à la guerre de substitution ( par le Cercle Aristote)



Les deux articles qui suivent ont une tonalité et une vision parallèles à propos de la guerre  entreprise par la Russie en Ukraine, qu'ils analysent  à partir de constats  différents.
- Le premier, extrait du journal libanais L'ORIENT LE JOUR,  s'attache à faire apparaître les motifs historiques et 
religieux de l'invasion plutôt que ses conséquences immédiates.
- le second l'aborde sous l'angle  d'une guerre qui se jouerait à l'intérieur même de la civilisation occidentale (ce qui  nous éloigne tant soit peu de la théorie du "choc des civilisations").
La lecture du résumé de l'ouvrage de Mezri Haddad mérite d'être complétée par une interview récente de l'auteur par André BERCOFF, Sud Radio  
https://www.youtube.com/watch?v=PC5oqQwSUc0
 


J.M

 
 
https://www.lorientlejour.com/article/1296017/linvasion-de-lukraine-mais-dostoievski-et-soljenitsyne-lauraient-quelque-part-approuvee-.html

 
L’invasion de l’Ukraine… Mais Dostoïevski et Soljenitsyne l’auraient quelque part approuvée !

 
OLJ / Le point de vue de Youssef Mouawad, le 07 avril 2022

Que dit ce diable de Samuel P. Huntington sur le choc des civilisations ? Il pense réellement qu’il y a une ligne de démarcation entre les chrétientés catholique et protestante d’une part, et la chrétienté orthodoxe de l’autre. Il nous assène que « la civilisation russe est un produit de ses propres racines, en Russie de Kiev et en Moscovie, de l’influence byzantine et de la longue domination mongole. Ces influences ont formé une société et une culture qui ne ressemblent guère à celles qui se sont développées en Europe occidentale sous l’influence de forces très différentes ». Pour ce professeur de Harvard, plusieurs caractéristiques de la civilisation de l’Ouest européen, telles que la séparation de l’Église et de l’État, le pluralisme social, les institutions représentatives, l’État de droit, sont restées étrangères à l’expérience russe au sens large.
Ainsi donc, Kiev, Kharkov ou même Lvov relèveraient de la même sphère sociologique que Moscou et, par conséquent, cette dernière est en droit de ramener manu militari les brebis dévoyées dans l’enclos familial. Somme toute, les élites politiques et intellectuelles ukrainiennes se seraient égarées en aspirant au libéralisme politique, à l’alternance au pouvoir et à la transparence quant à la gestion publique.

Le substrat idéologique
 
C’est que tout un courant littéraire, depuis le XIXe siècle, a instillé dans les mentalités russes la défiance vis-à-vis de l’Ouest et de ses suppôts, et la guerre de reconquête menée par Vladimir Poutine n’est pas étrangère à la vieille querelle qui, sous les Romanov, divisa l’intelligentsia et les classes dirigeantes entre occidentalistes et slavophiles. Les premiers prônaient un développement du pays selon le modèle européen, tandis que les autres voulaient préserver l’âme de leur peuple des ravages du rationalisme des Lumières et de l’individualisme sans frein. N’ont pas échappé à cette tentation des auteurs pouvant prétendre à l’universalité, comme Nicolas Gogol, Fiodor Dostoïevski et jusqu’au dissident Alexandre Soljenitsyne et au paria Alexandre Zinoviev. Il arrivait même à Lénine d’assimiler le monde capitaliste à l’Occident.
Le panslavisme et l’ultranationalisme se sont abreuvés et nourris aux sources de la pensée slavophile qui était empreinte d’un certain messianisme religieux, Moscou ayant toujours été considérée, dans une projection impériale, comme la troisième Rome (Cf. Antoine Courban, « Les nations sacralisées des terres saintes »). Afin que cette dernière accomplît la grande mission dont elle avait la charge, l’unanimité était requise et la Pologne slave, de par son catholicisme, était perçue comme une provocation, non seulement par les Russes mais également par les Ukrainiens.
Pour ceux qui s’étaient ralliés à ces idées et les avaient intériorisées, il fallait préserver de toute atteinte la « russitude » et sa voie historiquement singulière au même titre que le sol sacré de la patrie. Depuis Pierre le Grand qui imposa ses réformes par le knout quand il le jugeait utile, il y eut un courant hostile à tout ce qui est étranger, plus précisément allemand, tsars et tsarines ayant imposé la germanisation du pays pour rattraper les retards accumulés. Et on a pu avancer que « toute la problématique slavophile était (...) fondée sur une dualité permanente qui est la mise en opposition des “Autres” en regard du “Nous”. »

C’est dans cet humus fertile qu’ont prospéré, comme nous le signale Haaretz, les thèses « eurasistes » d’Alexandre Douguine, un professeur de sociologie qui a l’oreille du Kremlin. Cet essayiste virulent n’arrête pas de remettre en cause l’universalité du modèle atlantiste et de la « modernisation exogène ». À ses yeux, « la civilisation thalassocratique, anglo-saxonne, protestante, et d’esprit capitaliste, est irréductiblement opposée à la civilisation continentale, russe-eurasienne, orthodoxe et musulmane, d’esprit socialiste ».

Or voici qu’un article du Figaro nous annonce la fin de l’ère de l’imitation du modèle occidental, c’est-à-dire « la fin d’une époque “fondée sur une dissymétrie entre, d’un côté, des sujets imitateurs (les pays de l’Europe postcommuniste) et, de l’autre, des sujets imités (les pays occidentaux) ; entre, d’un côté, des pays titulaires d’un modèle envié et, de l’autre, des pays destinés à épouser ce modèle, faute d’alternatives crédibles ». C’est à croire que la vieille querelle s’est rallumée et que Poutine entend émanciper les siens du joug du mimétisme et du soft power qui colonise insidieusement les mentalités et les cœurs de ses sujets.

Pour défendre ses intérêts sécuritaires et stratégiques, le tsar de toutes les Russies peut s’appuyer sur les thèses anhistoriques de Huntington, d’après lesquelles les « frontières orientales de la civilisation occidentale » ne sont pas censées inclure l’Ukraine. Si la Providence a désigné aux riverains du Dniepr l’aire orthodoxe-slave comme espace vital, eh bien que ceux-ci s’y maintiennent au lieu de chercher à lier leur destin à celui de l’Union européenne et de l’Otan. Et du moment que les Kiéviens se sont laissé envoûter par le mirage atlantique et ses dépravations comme la démocratie libérale et le droit à la différence, l’autocrate n’a plus qu’à intervenir pour les rappeler à l’ordre. Car c’est un manquement grave à la solidarité cyrillique que de se rêver souverains et libres des alliances à nouer !

Aussi l’invasion, qui se déroule devant nos yeux, ne serait-elle qu’une opération de police ou de maintien de l’ordre, une affaire interne entre gens du même monde. Car il faut rendre l’Ukraine à « son état originel en tant que partie intégrante du monde russe ». Ce qui expliquerait que Poutine ait pu proférer la menace de priver ce pays de son statut d’État. Pourquoi s’en étonner ? La vérité, c’est que la Russie profonde n’a jamais reconnu l’Ukraine, objet des convoitises de l’Otan, en tant qu’État bénéficiant d’une personnalité juridique indépendante !

La mitoyenneté géographique implique des obligations, généralement à la charge de la plus faible des parties prenantes. Alors, lorsqu’on se demande ce que les Libanais partagent avec les Ukrainiens, la réponse est simple : c’est la malédiction d’un grand frère qui ne leur veut que du bien.
 

 
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https://cerclearistote.fr/produit/du-conflit-de-civilisation-a-la-guerre-de-substitution-mezri-haddad/
 

Provoquer la guerre, sans la faire ! Le Ponce Pilate américain s’en lave les mains ! C’est aux provinces de l’Empire de le servir et aux soumis de lui obéir, aux dépens de leurs propres intérêts. Plutôt des intérêts vitaux de leurs peuples. Quand l’oracle de Kiev, Zelensky, parle, tout le monde se met à maudire le Satan du Kremlin. Dès que ce saltimbanque, dont on loue le nationalisme qu’on exècre chez soi, tousse, c’est tout le corps européen qui souffre… mais c’est seulement Renault qui plie bagage. Par nationalisme ukrainien et pour se passer du gaz russe, BHL propose aux Français de baisser leur chauffage d’un degré. Une écologiste qui se chauffe à la bouse de vache double la mise : deux degrés !
En temps de guerre, outre les innocents tués et les populations déplacées, la première victime c’est la vérité, et le premier bénéficiaire c’est la propagande des marchands d’armes. Comme avant lui Nasser, Mossadegh, Saddam, Bachar, Kadhafi, Poutine serait la réincarnation d’Hitler ! Et Soljenitsyne, prix Nobel de littérature et dissident historique autrefois sanctifié en Occident, est renvoyé au Goulag pour son soutien post mortem au « boucher ».
Plus grave que tout, l’ennemi n’est plus Daech et ses acolytes, mais la Russie. Le péril majeur n’est pas le totalitarisme vert, que Poutine a éradiqué en Tchétchénie avant de l’écraser en Syrie, mais le fantôme du totalitarisme rouge ressuscité par les thuriféraires des États-Unis. Thèse de Mezri Haddad : la théorie du choc des civilisations n’est pas caduque. C’est juste le point d’impact qui s’est déplacé en faisant tomber les pions du grand échiquier ! Le choc est désormais entre des démocraties en crise et des autoritarismes
ré-émergents, entre un modèle de civilisation spirituellement desséché et un modèle en plein renouveau orthodoxe et exaltation nationaliste. Une guerre qui se joue sur le même continent et à l’intérieur de la même ère civilisationnelle… pour le meilleur ou pour le pire !