Goulag, une histoire.


Goulag, une histoire - Anne Applebaum - Editeur: Grasset - Publication : 5/10/2005 -
Traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat. 716 pages.


Résumé du livre donné par le site www.evene.fr/.

Contrairement aux camps nazis, le gigantesque univers concentrationnaire propre au régime soviétique demeure largement méconnu. Les Kontslaguer apparurent en Russie dès 1918, comme instrument de répression politique et bientôt comme réservoir de main-d' oeuvre forcée pour l'industrialisation soviétique. De la Révolution à la Glasnost, 18 millions d'individus en furent les victimes ; 4, 5 millions n'en revinrent jamais. Si Soljenitsyne, avec son 'Archipel du Goulag', en a donné un inoubliable témoignage littéraire, aucun historien n'en avait encore entrepris la relation globale. Anne Applebaum, puisant dans une masse encore à peine explorée d'archives, de témoignages et interviews de survivants, nous propose ici une étude sociologique minutieuse de la vie quotidienne des millions de zeks : l'absurdité des arrestations, la cadence infernale des travaux, la terreur, les violences inouïes et la mort omniprésente, les effroyables conditions d'hygiène mais aussi les stratégies de survie, les tentatives d'évasion, l'espoir et la solidarité qui, en dépit de tout, subsistent.


Tiré du site MAISON- RUSSIE ( en lien sur notre propre site ) un commentaire édifiant (signé Nikolaï) sur l'enfer du goulag tel que le décrit Anne Applebaum.


La première histoire du système concentrationnaire soviétique, par l'historienne américaine Anne Applebaum, est traduite en français. Un livre événement.

« Ce qu'Alexandre Soljenitsyne attendait, Anne Applebaum l'a fait. » On peut difficilement mieux dire que le critique du « Wall Street Journal ». Anne Applebaum a écrit la première histoire du goulag, l'histoire des camps de concentration soviétiques : leur origine avec la révolution bolchevique, leur essor et leur apogée sous Staline, leur mutation avec ses successeurs, leur arrêt, en 1986, sur décision de Gorbatchev, petit-fils d'un paysan emprisonné. Il ne s'agit pas seulement d'une histoire événementielle, chronologique. Anne Applebaum raconte la vie quotidienne des camps régie par le « rejim », le règlement intérieur : l'arrivée, la sélection, le travail, les gardes, les femmes et les enfants, la promiscuité, la maladie, la mort, les tortures, les viols, les rixes entre politiques et droits communs. Et les stratégies de survie, comme celle de cette femme passionnée de Wagner, volontaire pour nettoyer les latrines, parce que ces corvées lui laissent le temps de composer un opéra. « Goulag. Une histoire » : ce titre laconique est celui d'un livre événement. L'auteur (quarante et un ans), historienne de formation passée par Yale, la London School of Economics, Oxford, aujourd'hui éditorialiste au « Washington Post », a reçu le prix Pulitzer pour cet ouvrage. S'il y a un seul livre à la croisée de l'histoire contemporaine et de la politique à lire, c'est celui-ci.

Le goulag, c'est l'immense réseau de camps de l'Union soviétique, des îles de la mer Blanche aux côtes de la mer Noire, du cercle Arctique aux plaines d'Asie centrale, de Mourmansk au Kazakhstan, du centre de Moscou aux faubourgs de Leningrad, réparti entre camps de travail, camps de châtiment, camps criminels et politiques, camps pour enfants, camps de transit. Goulag est un acronyme de Glavnoe Oupravlenie Laguereï, la direction générale des camps, créée en 1920 dans l'île de Solovetski, à l'extrême nord de la Russie, sur les rivages de la mer Blanche, loin de tout. Solovetski possède une belle citadelle, un monastère bâti au XVe siècle. C'est là que l'administration du premier camp soviétique prend ses quartiers. Les détenus sont alors des officiers de l'armée blanche, des aristocrates, des marins qui ont pris part à la révolte de Cronstadt et des droits communs. Au sommet d'une colline, on peut voir une église. Ses caves ont abrité les premiers cachots punitifs. A quelques milles marins de là, d'autres îles : la Grande Mouksalma, où les détenus élèvent des renards noir argenté pour leur fourrure ; Anze et ses camps spéciaux pour invalides, femmes avec enfants, moines ; Zaïatski Ostrov, le camp disciplinaire des femmes.


Multiples humiliations

L'hiver, les prisonniers sont enfermés nus, pieds et mains liés dans le dos par une même corde, dans les clochers de la cathédrale. On leur sert délibérément de la viande avariée. On leur donne des ordres absurdes : déplacer d'énormes quantités de neige d'un endroit à un autre ; sauter d'un pont dans la rivière glacée quand le garde ordonne : « Dauphin ! » L'été, on ligote les contrevenants à un poteau dans une forêt infestée par les moustiques. L'enfer quotidien des « zeks », les détenus, évolue au rythme de l'irrationalité et de l'imprévisibilité de l'administration des camps. Entre deux humiliations, on les autorise à monter des spectacles : « L'Oncle Vania » de Tchekhov, une pièce de Gogol, une autre de Gorki, ce complice du régime... « Ce n'est pas par hasard que Soljenitsyne choisit la métaphore d'un «archipel» pour décrire le système soviétique des camps », écrit Anne Applebaum, « Solovetski, le premier camp soviétique conçu et construit pour durer, se développa sur un véritable [...] archipel. » La police politique, le Guépéou (dont Aragon, grand styliste de la langue française, chanta les louanges) en assure l'administration. C'est là qu'elle met au point, en 1926, ce système de travail forcé d'une main-d'oeuvre servile, maillon important de l'économie soviétique. 18 millions d'individus en ont été victimes, plus de 4 millions n'en sont pas revenus. Les années 1937-1938, celles de la Terreur rouge, n'ont pas été les plus mortelles - c'est le début des années 1950 qui le fut. 1937 marque pourtant un tournant. Les camps soviétiques, jusqu'ici prisons gérées dans l'indifférence et où l'on mourait plutôt par accident, passent au statut de camps où des détenus au travail sont délibérément tués. Tout Soviétique risque de se retrouver au goulag : « les ennemis de l'intérieur » bien sûr, Polonais, Baltes, Tchéchènes, koulaks, vieux bolcheviks, mencheviks, trotskistes, religieux, poètes, écrivains, artistes... mais aussi ces quatre frères joueurs de football du club du Spartak auxquels Beria reproche d'avoir infligé une trop lourde perte au Dynamo de Kiev, ce paysan qui possède quatre vaches quand ses voisins n'en ont qu'une, cette jeune femme qui a volé un stylo.

La mort de Staline puis l'arrivée de Khrouchtchev - qui fait publier « Une journée d'Ivan Denissovitch », de Soljenitsyne - desserrent l'étau et de nombreux détenus sont libérés. Mais l'arrivée des néostaliniens conduits par Brejnev en 1966 les remplit à nouveau, certes dans de moindres proportions et dans des camps ripolinés en hôpitaux psychiatriques. C'est l'époque des « dissidents », enfermés pour « schizophrénie larvée ». Il faudra encore attendre vingt ans pour en finir avec le goulag.


De l'indifférence

On peut s'étonner qu'il ait fallu attendre si longtemps avant de lire la première histoire du goulag. Mais ce n'est qu'à la fin des années 1980 que les historiens russes, réunis autour de la Société du mémorial de Moscou, de l'Institut Sakharov et de la maison d'édition Vozvrachtchenie, ont pu passer au crible des milliers de documents, de monographies, dans le froid des archives de l'ex-URSS. Anne Applebaum a épluché les mémoires publiés en Russie, en Amérique, en Israël, en Europe de l'Est, et les archives de l'administration du goulag : rapport des inspecteurs, comptes financiers, correspondance des directeurs de camp, comptes rendus des tentatives d'évasion, archives militaires... En Occident, l'indifférence a longtemps prévalu. Aux heures les plus noires de la répression, les dirigeants faisaient de la « realpolitik », les victimes et les opposants au stalinisme étaient écoutés d'une oreille discrète et l'intelligentsia se complaisait dans le rôle de l'« idiot utile », tel Sartre disant à Camus : « Je trouve comme vous inadmissibles ces camps mais inadmissible tout autant l'usage que la presse bourgeoise en fait chaque jour. » Il faudra attendre la publication de « L'Archipel du Goulag », en 1973, pour recouvrer la raison. « En Allemagne, on pouvait mourir de cruauté, en Russie de désespoir, nous rappelle Anne Applebaum. A Auschwitz, dans une chambre à gaz ; dans la Kolyma, de froid dans la neige. »

Jean Maiboroda