Madame Maisonneuve-Vorobieff a eu la délicate attention de nous faire parvenir un ouvrage écrit par son père, Nicolas VOROBIEFF, ouvrage dans lequel ce dernier relate son parcours depuis sa naissance en Russie jusqu'à son installation définitive en France, en passant par les péripéties dramatiques de la révolution, de la guerre civile, et de l'exil.
Il se trouve que Nicolas VOROBIEFF, officier, a embarqué sur le navire « RION » pour le périple qui a conduit les migrants Russes blancs de Gallipoli à …. AJACCIO.
Il se trouve que Nicolas VOROBIEFF, officier, a embarqué sur le navire « RION » pour le périple qui a conduit les migrants Russes blancs de Gallipoli à …. AJACCIO.
Une cinquantaine de pages sont consacrées par Nicolas Vorobieff à son séjour en Corse, et plus particulièrement à AJACCIO
C’est dire si son témoignage revêt pour les descendants des émigrés Russes blancs de notre île un intérêt majeur.
C’est dire si son témoignage revêt pour les descendants des émigrés Russes blancs de notre île un intérêt majeur.
Mais si le récit de Nicolas Vorobieff, rédigé en un style alerte non dépourvu d’humour, permet d’imaginer les conditions dans lesquelles s’est effectuée l’installation des émigrés sur le sol corse, il permet également de connaître certains aspects de la vie quotidienne insulaire durant la période concernée, celle des années 1921-1926.
À ce titre, le témoignage de Nicolas Vorobieff n’est pas dépourvu de valeur historique.
Avec l'autorisation de madame Maisonneuve/Vorobieff, nous avons pour projet de numériser les pages des mémoires de monsieur Nicolas Vorobieff relatives à la Corse et de les reproduire sur notre site.
Nicolas Vorobieff ayant travaillé à l'hôtel Solferino d'Ajaccio ( établissement aujourd'hui disparu) nous en reproduisons ici une photographie ancienne tirée du site :
http://www.cpa-corse.com/corsica/ajaccio40.html
À ce titre, le témoignage de Nicolas Vorobieff n’est pas dépourvu de valeur historique.
Avec l'autorisation de madame Maisonneuve/Vorobieff, nous avons pour projet de numériser les pages des mémoires de monsieur Nicolas Vorobieff relatives à la Corse et de les reproduire sur notre site.
Nicolas Vorobieff ayant travaillé à l'hôtel Solferino d'Ajaccio ( établissement aujourd'hui disparu) nous en reproduisons ici une photographie ancienne tirée du site :
http://www.cpa-corse.com/corsica/ajaccio40.html
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NICOLAS WICKELSON L’OFFICIER DU TSAR DEVENU PHOTOGRAPHE AMBULANT A AJACCIO
Nicolas WICKELSON est arrivé à Ajaccio en 1927, vraisemblablement à la suite d'informations favorables sur l'accueil corse émanant de compatriotes réfugiés en France continentale.
C'est précisément son odyssée que nous vous proposons de connaître à travers le récit du périple qui l'a conduit de la lointaine ESTONIE aux rivages insulaires.
C'est précisément son odyssée que nous vous proposons de connaître à travers le récit du périple qui l'a conduit de la lointaine ESTONIE aux rivages insulaires.
Nicolas WICKELSON est né à REVAL (actuelle TALLIN, capitale de l’ESTONIE) le 23 juillet 1892.
L’ESTONIE était alors possession russe depuis 1721. Il n’est donc pas étonnant de voir la famille WICKELSON mêlée aux épisodes tragiques de la révolution de 1917.
Cette famille , composée de Pierre WICKELSON, le père, d’Alexandra CHMELEF, la mère, comprenait sept enfants, quatre garçons : PAVEL, DIMITRI, MICHEL, NICOLAS, et trois filles : OLGA, TATIANA et ELISABETH.
Le patronyme WICKELSON n’est pas précisément russe, convenons en. Nous pensons qu’à l’origine il s’orthographiait WICKELSEN ou WICKELSOHN, selon que l’on prête des racines finnoises ou germaniques au père de famille.
L’ESTONIE, en effet, vieille terre finnoise a été également longtemps occupée par des conquérants germaniques. C’est ce qui explique d’ailleurs son actuelle composition pluriethnique.
Il s’agirait donc, concernant la branche paternelle, de Baltes "russifiés", au moins culturellement et politiquement.
A l’heure où éclata la révolution russe, en 1917, la famille ne se trouvait plus en ESTONIE, mais en RUSSIE même. Elle avait quitté la vaste demeure ancestrale des environs de REVAL. Début 1916 en effet, Pierre WICKELSON avait choisi de s’installer non loin de PETROGRAD, sans doute pour assurer un avenir prometteur aux quatre fils, qui servaient déjà dans l’administration ou dans l'armée du tsar, sans doute aussi pour permettre aux jeunes filles de s’épanouir dans la bonne société de la capitale impériale tout en vaquant aux occupations ménagères et en aidant aux travaux des champs composant le domaine.
A partir des journées dites de février 1917, qui virent l’émeute triompher à PETROGRAD, la famille WICKELSON vécut un véritable cauchemar, dont le paroxysme fut atteint lorsque les bolcheviques prirent le pouvoir (journées d’octobre) et exercèrent une terreur systématisée à l’encontre des "bourgeois" et autres "ennemis de la révolution".
Depuis les injures et les actes de maltraitance pour crime d’appartenance de classe jusqu’aux lynchages dans la rue, en passant par le saccage des domiciles, et l’obligation d’accomplir des besognes dégradantes, la violence se déchaînait quotidiennement contre ceux qui étaient censés appartenir à la classe dirigeante.
La famille WICKELSON se terrait donc dans son domaine, évitant de s’attarder dans PETROGRAD, livrée à l’anarchie et à la fureur des soviets.
Nicolas, alors âgé de 25 ans, servait comme jeune officier dans une armée en pleine ébullition, une armée où les révoltes, accompagnées de meurtres d’officiers étaient monnaie courante. Il était bien placé pour juger des dérives de la révolution.
En sa qualité d'officier, précisément, il avait été affecté à l'Etat Major du 6ème régiment de réserve des cosaques du Don, à Ouroupinskaia Staritsa, territoire du Don, où il servit du 7 février 1916 au 12 janvier 1918, date de l'occupation momentanée du Don par les armées rouges. Il quitta ce territoire le 5 février 1918 et participa sans doute à la retraite de l'armée blanche du général KORNILOV vers le Kouban.
Sachant que sa famille était considérée comme "contre-révolutionnaire" du fait de sa fidélité au tsar, son principal souci était de la mettre à l’abri en lui faisant quitter la Russie.
Avec l’accord de son père, il vendit les quelques biens mobiliers et les bijoux qui devaient permettre la fuite salvatrice. Mais , dans le désordre ambiant, la famille ne put quitter à temps un domaine désormais "inspecté" régulièrement par les milices populaires, les gardes rouges, et autres zélés défenseurs du nouveau pouvoir.
Un soir de juillet 1918, peu après le massacre de la famille impériale à IEKATERINBOURG (16 juillet), le jeune NICOLAS, entrant chez lui, découvrit lui-même toute l’horreur tragique de la violence : sa famille avait été littéralement décimée : le père, la mère, le grand père, la grand mère, les trois sœurs, gisaient dans des mares de sang, tandis que la demeure avait été saccagée et pillée. Les trois frères, absents, étaient momentanément épargnés.
Nicolas se fit un devoir d’enterrer dignement ses parents, puis se décida à quitter les lieux, n’emportant avec lui qu’un seul souvenir : une photo des jours heureux, représentant l’ensemble de la famille, photo qu’il conserva toute son existence comme une pieuse relique.
Décidé à retrouver ses frères, il pensa à l’un des ses amis d’enfance et de collège, passé du côté des rouges, et qui détenait quelque pouvoir dans les instances révolutionnaires.
Il put obtenir une entrevue avec cet ami, dont il gardait le souvenir d’un garçon charmant, affable, souriant et serviable. Hélas, ce dernier avait déjà bien changé : il vit arriver, en voiture décapotable conduite par un chauffeur à casquette à visière et chemise rouge, un personnage aux traits durcis, coiffé d’un étrange bonnet à pointe et portant des lunettes de motard. Etant descendu de voiture, ce dernier reconnut tout de même son ex-ami NICOLAS et consentit à lui adresser quelques mots. Mais ce fut pour lui annoncer que ses trois frères étaient détenus à la forteresse Pierre et Paul, et lui déconseiller vivement de s’y rendre, car selon ses propres dires, on y entrait vivant mais on en ressortait mort.
Nicolas comprit que son ami YOURI V….. venait malgré tout de lui laisser la vie sauve.
Il n’eut d’autre idée, dès lors, que de combattre ce régime cruel qui lui avait ravi toute sa famille.
- Fin juillet 1918 Nicolas WICKELSON servit à bord du torpilleur "BRAVY", de l'escadre impériale d'extrême Orient, basée à VLADIVOSTOCK.
- Puis il fut transféré à bord du navire de transport OULYSSE, toujours dans la marine impériale, où il exerça du 1er février au 2 juin 1919 les fonctions d'officier premier mécanicien. Il " exécutait son travail consciencieusement et avec une grande connaissance de son métier ", dit le certificat délivré en fin de service.
- Libéré et rendu à la vie civile en Juillet 1920, il demeura vraisemblablement à VLADIVOSTOCK, où avaient débarqué depuis août 1918 des troupes américaines, japonaises, anglaises et françaises venues au secours du régime déchu.
La région de VLADIVOSTOK, précisément grâce aux troupes de la coalition des puissances anti-bolcheviques, fut la dernière à être contrôlée par le pouvoir des soviets.
C'est ce qui explique qu'une photographie nous montre Nicolas WICKELSON revêtu d'une tenue de l'armée américaine, dans laquelle il a pu s'engager quelque temps, ou dont il a revêtu l'uniforme pour l'occasion.
C’est ce qui explique surtout que dans les archives personnelles de Nicolas WICKHELSON figure une attestation de la "Régence Provinciale" certifiant que l’intéressé a exercé l’emploi d’instituteur à l’école primaire du village de DOMACHLINO, commune d’OLGA, dans la "Province maritime" du 1er août 1920 au 6 novembre 1921.
- Lorsque WLADIVOSTOCK fut elle même rendue aux rouges par les coalisés, il ne restait plus à NICOLAS qu’à fuir vers des cieux plus cléments pour lui.
La frontière chinoise n’était pas loin. Il la traversa et s’efforça de gagner le sud.
- Nous retrouvons sa trace en août 1924 grâce à un passeport établi en anglais par les autorités chinoises. Ce passeport fait état d’une autorisation de résidence à SHANGAI valable six mois pour monsieur WICKELSON, sujet ESTONIEN en provenance d’AUSTRALIE.
- En novembre 1926, un second passeport établi en anglais et en russe, fait état cette fois d’une installation à SHANGAI en provenance d’ARGENTINE via le JAPON et HONG KONG.
Nous supposons donc que NICOLAS WICKELSON a couru le monde à la recherche d’une installation matérielle sûre et d’un havre de paix après les évènements tragiques de sa jeunesse.
- Enfin, en 1927, un certificat établi par l’Office des Réfugiés Russes à MARSEILLE, atteste que Nicolas WICKELSON, muni d’un visa d’entrée en France délivré par le Consulat de France à SHANGAI, venant de cette même ville par le vapeur Général Metzinger, demeure en CORSE , à AULLENE, chez monsieur BENEDETTI Antoine.
Ainsi que nous le précisions précédemment, Nicolas WICKELSON a dû entendre parler de la Corse en termes très favorables par des compatriotes du RION, rescapés de l’armée WRANGEL, avec lesquels il était entré en contact.
C’est donc en Corse que jette l’ancre, dans un dénuement total, Nicolas WICKELSON, alors âgé de 35 ans. Il a embarqué à Marseille sur le Liamone, de la Compagnie Fraissinet. Le prix du billet "sur le pont" est alors de 31 F 25, somme qui représente pour notre fugitif une vraie fortune.
Installé en Corse, il y exerce d'abord divers "petits boulots" soit chez des particuliers soit dans des entreprises locales.
- Il travaille initialement comme jardinier à AULLENE, chez monsieur BENEDETTI (25 mars-22 juin 1927).
- Du 23 juin 1927 au 03 septembre de la même année, il travaille à la station électrique de Baracci, près de PROPRIANO, où ses connaissances en mécanique sont sans doute appréciées.
- Du 04 septembre au 20 novembre il est employé par l’entreprise FRICHE, à SARTENE, où il exerce en qualité de plombier.
- Nous le retrouvons comme ouvrier agricole chez monsieur GIUDICELLI à OLMETO (24 novembre 1927-15 mars 1928).
- Le 19 mars il est embauché par la Compagnie Méridionale, où il ne restera que trois mois.
- De juin à septembre 1928 il travaille à AJACCIO, à l’hôtel de France. Il semble avoir connu dans cet emploi des conditions de travail assez dures pour un salaire étriqué.
- L’un de ses compatriotes émigrés le fait alors venir auprès de lui à l’Hôtel Continental, où il bénéficie de la qualification "d’argentier".
Il y est relativement bien rémunéré, y est nourri et logé. Ce qui explique qu’il y reste jusqu’en 1937, soit près de dix années.
Il est vrai aussi, qu’entre temps Nicolas Wickelson s’est marié et a charge de famille. Il a connu sa future épouse le 14 juillet 1928.
Ajaccio est en fête. Il y a grand bal populaire sur la place du Diamant. C’est là qu’il rencontre celle qui devait devenir la compagne de sa vie, Sophie Catherine Adèle MUSSI.
Entre le jeune émigré russe issu de famille bourgeoise et la petite paysanne corse d’un village des environs d’Ajaccio, CALCATOGGIO, c’est le coup de foudre réciproque. En dépit des convenances de l’époque, Nicolas et Sophie louent un petit appartement au n° 42 rue Fesch à Ajaccio, appartement qu'ils occuperont toute leur existence.
En mai 1929 naît le premier enfant du couple, Didier.
En 1935 le mariage est célébré à CALACATOGGIO. En 1937 naît le second enfant, Pierre.
Cette année là (7 juillet) Nicolas quitte le Grand Hôtel Continental de son plein gré, nanti d’un certificat très élogieux établi par le directeur de l’Etablissement, monsieur ZOPPI.
Il a en effet décidé de travailler pour son propre compte comme photographe ambulant.
Comment lui est venue cette idée ?
Durant sa longue fuite, dans son périple à travers le monde, et devant la nécessité d’avoir à fournir constamment pour circuler, des photographies d’identité, il avait eu souvent recours à des photographes ambulants. Le dernier dont il avait sollicité les services était précisément un émigré russe installé à Marseille, sur la Canebière.
Celui-ci lui avait amicalement donné des explications détaillées sur le métier et sur la drôle de machine, fabriquée de ses propres mains, qui lui servait d’appareil.
De ce jour, Nicolas se dit qu’il pourrait lui aussi s’installer à son compte et faire fi des dures contingences de la condition salariale.
En 1937, à l’issue de ses bons et loyaux services à l’Hôtel Continental, il avait enfin les moyens de devenir travailleur indépendant en faisant l’acquisition d’un appareil, qu'il acheta chez Joseph CARDINALI, photographe installé cours Grandval, à AJACCIO.
Il s'agissait d'une "chambre photographique portable", dite "chambre de foire", avec ses trépieds, les objectifs, le papier et les produits pour la préparation des bains, ainsi que les divers éléments nécessaires à la réalisation des photos "en plein air".
Ultérieurement, il prit soin de l’étudier à fond …. et en fabriqua même deux "copies" agrémentées de quelques perfectionnements jugés opportun.
Nicolas obtint son inscription au registre du commerce en Août 1937.
Nicolas et Sophie son épouse choisirent comme point fixe le large trottoir bordant le cinéma Impérial (actuel Monoprix), non loin du parvis de l’Eglise Saint Roch. A partir de cette date, Nicolas et Sophie partirent travailler ensemble, chaque matin. Nicolas portait la lourde chambre, munie de son trépied. Sophie transportait des seaux contenant les bouteilles de révélateur et de fixateur, l’eau pure pour le rinçage, et bien sûr la chaise pour la pose des clients. Dans l’attente des clients, Sophie s’y reposait tandis que Nicolas faisait les cent pas ou bien s’appuyait sur l’appareil.
"Faites vous photographier par Nicolas, officier du Tsar" était son invite favorite lorsque des gens passaient sur le trottoir.
Cela fonctionnait. Et Nicolas avait une bonne clientèle. D’autant qu’il ajoutait à ce stationnement fixe des déplacements pour des mariages et des communions. Parfois on lui demandait de venir photographier des défunts sur leur lit de mort. Sophie, alors, ne l’accompagnait pas, car elle avait une certaine réticence à participer à ce genre de photographie.
En novembre 1942 les autorités d’occupation italiennes et la Préfecture de la Corse interdirent à Nicolas d’exercer sa profession de photographe ambulant sous peine d’arrestation et d’emprisonnement pour espionnage.
Durant onze mois Nicolas ne travailla donc plus sur le Cours Napoléon, mais "à domicile", avec un Exacta 4 ½ x 6, en prenant garde de n’être " repéré ", car Ajaccio était quadrillée par les soldats italiens et la ville comptait quelques délateurs mal intentionnés.
Ce n’est que le 13 septembre 1943, à la libération de la Corse, que Nicolas et Sophie purent reprendre leur activité normale de photographes ambulants.
Le travail n’allait pas manquer.
Les Américains surtout adoraient se faire photographier prenant la pose avec de belles Ajacciennes. De plus, Nicolas parlait leur langue, et ils prenaient grand plaisir à écouter ses récits d’Extrême Orient.
L'après-guerre ne changea pas les habitudes de Nicolas. Nous le retrouvons toujours "installé" près de l'église saint Roch. Il est désormais bien connu des ajacciens, et fait partie de leur univers.
Et c’est pratiquement à ce poste que la mort le surprend le 1er juin 1971. Il était âgé de 79 ans. Il était devenu pour les Ajacciens un personnage connu, aimé, apprécié tant pour ses qualités humaines que pour son professionnalisme. Et finalement, il avait passé dans sa terre d’asile la majeure partie de son existence.
Sa compagne dévouée, collaboratrice fidèle autant que discrète, celle qui l'avait accompagné durant de longues années, fut profondément attristée par la disparition de son époux.
Elle se cloîtra pratiquement chez elle jusqu'à ce jour de 1982 où elle rendit l'âme, entourée de l'affection des siens, après un court séjour à l'hôpital Eugénie, à l'âge de 86 ans.
Et c'est ainsi que disparurent du microcosme ajaccien deux figures familières de l'avant et l'après-guerre, deux photographes ambulants qui ont fixé au quotidien l'image des joies et parfois des malheurs de nos concitoyens, et dont les innombrables clichés jaunissent dans les tiroirs des familles d'Ajaccio ou des villages environnants.
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J.C. Fieschi et Jean Maiboroda. 1999 . A partir d'un texte ayant pour auteur Paul SILVANI.
L’ESTONIE était alors possession russe depuis 1721. Il n’est donc pas étonnant de voir la famille WICKELSON mêlée aux épisodes tragiques de la révolution de 1917.
Cette famille , composée de Pierre WICKELSON, le père, d’Alexandra CHMELEF, la mère, comprenait sept enfants, quatre garçons : PAVEL, DIMITRI, MICHEL, NICOLAS, et trois filles : OLGA, TATIANA et ELISABETH.
Le patronyme WICKELSON n’est pas précisément russe, convenons en. Nous pensons qu’à l’origine il s’orthographiait WICKELSEN ou WICKELSOHN, selon que l’on prête des racines finnoises ou germaniques au père de famille.
L’ESTONIE, en effet, vieille terre finnoise a été également longtemps occupée par des conquérants germaniques. C’est ce qui explique d’ailleurs son actuelle composition pluriethnique.
Il s’agirait donc, concernant la branche paternelle, de Baltes "russifiés", au moins culturellement et politiquement.
A l’heure où éclata la révolution russe, en 1917, la famille ne se trouvait plus en ESTONIE, mais en RUSSIE même. Elle avait quitté la vaste demeure ancestrale des environs de REVAL. Début 1916 en effet, Pierre WICKELSON avait choisi de s’installer non loin de PETROGRAD, sans doute pour assurer un avenir prometteur aux quatre fils, qui servaient déjà dans l’administration ou dans l'armée du tsar, sans doute aussi pour permettre aux jeunes filles de s’épanouir dans la bonne société de la capitale impériale tout en vaquant aux occupations ménagères et en aidant aux travaux des champs composant le domaine.
A partir des journées dites de février 1917, qui virent l’émeute triompher à PETROGRAD, la famille WICKELSON vécut un véritable cauchemar, dont le paroxysme fut atteint lorsque les bolcheviques prirent le pouvoir (journées d’octobre) et exercèrent une terreur systématisée à l’encontre des "bourgeois" et autres "ennemis de la révolution".
Depuis les injures et les actes de maltraitance pour crime d’appartenance de classe jusqu’aux lynchages dans la rue, en passant par le saccage des domiciles, et l’obligation d’accomplir des besognes dégradantes, la violence se déchaînait quotidiennement contre ceux qui étaient censés appartenir à la classe dirigeante.
La famille WICKELSON se terrait donc dans son domaine, évitant de s’attarder dans PETROGRAD, livrée à l’anarchie et à la fureur des soviets.
Nicolas, alors âgé de 25 ans, servait comme jeune officier dans une armée en pleine ébullition, une armée où les révoltes, accompagnées de meurtres d’officiers étaient monnaie courante. Il était bien placé pour juger des dérives de la révolution.
En sa qualité d'officier, précisément, il avait été affecté à l'Etat Major du 6ème régiment de réserve des cosaques du Don, à Ouroupinskaia Staritsa, territoire du Don, où il servit du 7 février 1916 au 12 janvier 1918, date de l'occupation momentanée du Don par les armées rouges. Il quitta ce territoire le 5 février 1918 et participa sans doute à la retraite de l'armée blanche du général KORNILOV vers le Kouban.
Sachant que sa famille était considérée comme "contre-révolutionnaire" du fait de sa fidélité au tsar, son principal souci était de la mettre à l’abri en lui faisant quitter la Russie.
Avec l’accord de son père, il vendit les quelques biens mobiliers et les bijoux qui devaient permettre la fuite salvatrice. Mais , dans le désordre ambiant, la famille ne put quitter à temps un domaine désormais "inspecté" régulièrement par les milices populaires, les gardes rouges, et autres zélés défenseurs du nouveau pouvoir.
Un soir de juillet 1918, peu après le massacre de la famille impériale à IEKATERINBOURG (16 juillet), le jeune NICOLAS, entrant chez lui, découvrit lui-même toute l’horreur tragique de la violence : sa famille avait été littéralement décimée : le père, la mère, le grand père, la grand mère, les trois sœurs, gisaient dans des mares de sang, tandis que la demeure avait été saccagée et pillée. Les trois frères, absents, étaient momentanément épargnés.
Nicolas se fit un devoir d’enterrer dignement ses parents, puis se décida à quitter les lieux, n’emportant avec lui qu’un seul souvenir : une photo des jours heureux, représentant l’ensemble de la famille, photo qu’il conserva toute son existence comme une pieuse relique.
Décidé à retrouver ses frères, il pensa à l’un des ses amis d’enfance et de collège, passé du côté des rouges, et qui détenait quelque pouvoir dans les instances révolutionnaires.
Il put obtenir une entrevue avec cet ami, dont il gardait le souvenir d’un garçon charmant, affable, souriant et serviable. Hélas, ce dernier avait déjà bien changé : il vit arriver, en voiture décapotable conduite par un chauffeur à casquette à visière et chemise rouge, un personnage aux traits durcis, coiffé d’un étrange bonnet à pointe et portant des lunettes de motard. Etant descendu de voiture, ce dernier reconnut tout de même son ex-ami NICOLAS et consentit à lui adresser quelques mots. Mais ce fut pour lui annoncer que ses trois frères étaient détenus à la forteresse Pierre et Paul, et lui déconseiller vivement de s’y rendre, car selon ses propres dires, on y entrait vivant mais on en ressortait mort.
Nicolas comprit que son ami YOURI V….. venait malgré tout de lui laisser la vie sauve.
Il n’eut d’autre idée, dès lors, que de combattre ce régime cruel qui lui avait ravi toute sa famille.
- Fin juillet 1918 Nicolas WICKELSON servit à bord du torpilleur "BRAVY", de l'escadre impériale d'extrême Orient, basée à VLADIVOSTOCK.
- Puis il fut transféré à bord du navire de transport OULYSSE, toujours dans la marine impériale, où il exerça du 1er février au 2 juin 1919 les fonctions d'officier premier mécanicien. Il " exécutait son travail consciencieusement et avec une grande connaissance de son métier ", dit le certificat délivré en fin de service.
- Libéré et rendu à la vie civile en Juillet 1920, il demeura vraisemblablement à VLADIVOSTOCK, où avaient débarqué depuis août 1918 des troupes américaines, japonaises, anglaises et françaises venues au secours du régime déchu.
La région de VLADIVOSTOK, précisément grâce aux troupes de la coalition des puissances anti-bolcheviques, fut la dernière à être contrôlée par le pouvoir des soviets.
C'est ce qui explique qu'une photographie nous montre Nicolas WICKELSON revêtu d'une tenue de l'armée américaine, dans laquelle il a pu s'engager quelque temps, ou dont il a revêtu l'uniforme pour l'occasion.
C’est ce qui explique surtout que dans les archives personnelles de Nicolas WICKHELSON figure une attestation de la "Régence Provinciale" certifiant que l’intéressé a exercé l’emploi d’instituteur à l’école primaire du village de DOMACHLINO, commune d’OLGA, dans la "Province maritime" du 1er août 1920 au 6 novembre 1921.
- Lorsque WLADIVOSTOCK fut elle même rendue aux rouges par les coalisés, il ne restait plus à NICOLAS qu’à fuir vers des cieux plus cléments pour lui.
La frontière chinoise n’était pas loin. Il la traversa et s’efforça de gagner le sud.
- Nous retrouvons sa trace en août 1924 grâce à un passeport établi en anglais par les autorités chinoises. Ce passeport fait état d’une autorisation de résidence à SHANGAI valable six mois pour monsieur WICKELSON, sujet ESTONIEN en provenance d’AUSTRALIE.
- En novembre 1926, un second passeport établi en anglais et en russe, fait état cette fois d’une installation à SHANGAI en provenance d’ARGENTINE via le JAPON et HONG KONG.
Nous supposons donc que NICOLAS WICKELSON a couru le monde à la recherche d’une installation matérielle sûre et d’un havre de paix après les évènements tragiques de sa jeunesse.
- Enfin, en 1927, un certificat établi par l’Office des Réfugiés Russes à MARSEILLE, atteste que Nicolas WICKELSON, muni d’un visa d’entrée en France délivré par le Consulat de France à SHANGAI, venant de cette même ville par le vapeur Général Metzinger, demeure en CORSE , à AULLENE, chez monsieur BENEDETTI Antoine.
Ainsi que nous le précisions précédemment, Nicolas WICKELSON a dû entendre parler de la Corse en termes très favorables par des compatriotes du RION, rescapés de l’armée WRANGEL, avec lesquels il était entré en contact.
C’est donc en Corse que jette l’ancre, dans un dénuement total, Nicolas WICKELSON, alors âgé de 35 ans. Il a embarqué à Marseille sur le Liamone, de la Compagnie Fraissinet. Le prix du billet "sur le pont" est alors de 31 F 25, somme qui représente pour notre fugitif une vraie fortune.
Installé en Corse, il y exerce d'abord divers "petits boulots" soit chez des particuliers soit dans des entreprises locales.
- Il travaille initialement comme jardinier à AULLENE, chez monsieur BENEDETTI (25 mars-22 juin 1927).
- Du 23 juin 1927 au 03 septembre de la même année, il travaille à la station électrique de Baracci, près de PROPRIANO, où ses connaissances en mécanique sont sans doute appréciées.
- Du 04 septembre au 20 novembre il est employé par l’entreprise FRICHE, à SARTENE, où il exerce en qualité de plombier.
- Nous le retrouvons comme ouvrier agricole chez monsieur GIUDICELLI à OLMETO (24 novembre 1927-15 mars 1928).
- Le 19 mars il est embauché par la Compagnie Méridionale, où il ne restera que trois mois.
- De juin à septembre 1928 il travaille à AJACCIO, à l’hôtel de France. Il semble avoir connu dans cet emploi des conditions de travail assez dures pour un salaire étriqué.
- L’un de ses compatriotes émigrés le fait alors venir auprès de lui à l’Hôtel Continental, où il bénéficie de la qualification "d’argentier".
Il y est relativement bien rémunéré, y est nourri et logé. Ce qui explique qu’il y reste jusqu’en 1937, soit près de dix années.
Il est vrai aussi, qu’entre temps Nicolas Wickelson s’est marié et a charge de famille. Il a connu sa future épouse le 14 juillet 1928.
Ajaccio est en fête. Il y a grand bal populaire sur la place du Diamant. C’est là qu’il rencontre celle qui devait devenir la compagne de sa vie, Sophie Catherine Adèle MUSSI.
Entre le jeune émigré russe issu de famille bourgeoise et la petite paysanne corse d’un village des environs d’Ajaccio, CALCATOGGIO, c’est le coup de foudre réciproque. En dépit des convenances de l’époque, Nicolas et Sophie louent un petit appartement au n° 42 rue Fesch à Ajaccio, appartement qu'ils occuperont toute leur existence.
En mai 1929 naît le premier enfant du couple, Didier.
En 1935 le mariage est célébré à CALACATOGGIO. En 1937 naît le second enfant, Pierre.
Cette année là (7 juillet) Nicolas quitte le Grand Hôtel Continental de son plein gré, nanti d’un certificat très élogieux établi par le directeur de l’Etablissement, monsieur ZOPPI.
Il a en effet décidé de travailler pour son propre compte comme photographe ambulant.
Comment lui est venue cette idée ?
Durant sa longue fuite, dans son périple à travers le monde, et devant la nécessité d’avoir à fournir constamment pour circuler, des photographies d’identité, il avait eu souvent recours à des photographes ambulants. Le dernier dont il avait sollicité les services était précisément un émigré russe installé à Marseille, sur la Canebière.
Celui-ci lui avait amicalement donné des explications détaillées sur le métier et sur la drôle de machine, fabriquée de ses propres mains, qui lui servait d’appareil.
De ce jour, Nicolas se dit qu’il pourrait lui aussi s’installer à son compte et faire fi des dures contingences de la condition salariale.
En 1937, à l’issue de ses bons et loyaux services à l’Hôtel Continental, il avait enfin les moyens de devenir travailleur indépendant en faisant l’acquisition d’un appareil, qu'il acheta chez Joseph CARDINALI, photographe installé cours Grandval, à AJACCIO.
Il s'agissait d'une "chambre photographique portable", dite "chambre de foire", avec ses trépieds, les objectifs, le papier et les produits pour la préparation des bains, ainsi que les divers éléments nécessaires à la réalisation des photos "en plein air".
Ultérieurement, il prit soin de l’étudier à fond …. et en fabriqua même deux "copies" agrémentées de quelques perfectionnements jugés opportun.
Nicolas obtint son inscription au registre du commerce en Août 1937.
Nicolas et Sophie son épouse choisirent comme point fixe le large trottoir bordant le cinéma Impérial (actuel Monoprix), non loin du parvis de l’Eglise Saint Roch. A partir de cette date, Nicolas et Sophie partirent travailler ensemble, chaque matin. Nicolas portait la lourde chambre, munie de son trépied. Sophie transportait des seaux contenant les bouteilles de révélateur et de fixateur, l’eau pure pour le rinçage, et bien sûr la chaise pour la pose des clients. Dans l’attente des clients, Sophie s’y reposait tandis que Nicolas faisait les cent pas ou bien s’appuyait sur l’appareil.
"Faites vous photographier par Nicolas, officier du Tsar" était son invite favorite lorsque des gens passaient sur le trottoir.
Cela fonctionnait. Et Nicolas avait une bonne clientèle. D’autant qu’il ajoutait à ce stationnement fixe des déplacements pour des mariages et des communions. Parfois on lui demandait de venir photographier des défunts sur leur lit de mort. Sophie, alors, ne l’accompagnait pas, car elle avait une certaine réticence à participer à ce genre de photographie.
En novembre 1942 les autorités d’occupation italiennes et la Préfecture de la Corse interdirent à Nicolas d’exercer sa profession de photographe ambulant sous peine d’arrestation et d’emprisonnement pour espionnage.
Durant onze mois Nicolas ne travailla donc plus sur le Cours Napoléon, mais "à domicile", avec un Exacta 4 ½ x 6, en prenant garde de n’être " repéré ", car Ajaccio était quadrillée par les soldats italiens et la ville comptait quelques délateurs mal intentionnés.
Ce n’est que le 13 septembre 1943, à la libération de la Corse, que Nicolas et Sophie purent reprendre leur activité normale de photographes ambulants.
Le travail n’allait pas manquer.
Les Américains surtout adoraient se faire photographier prenant la pose avec de belles Ajacciennes. De plus, Nicolas parlait leur langue, et ils prenaient grand plaisir à écouter ses récits d’Extrême Orient.
L'après-guerre ne changea pas les habitudes de Nicolas. Nous le retrouvons toujours "installé" près de l'église saint Roch. Il est désormais bien connu des ajacciens, et fait partie de leur univers.
Et c’est pratiquement à ce poste que la mort le surprend le 1er juin 1971. Il était âgé de 79 ans. Il était devenu pour les Ajacciens un personnage connu, aimé, apprécié tant pour ses qualités humaines que pour son professionnalisme. Et finalement, il avait passé dans sa terre d’asile la majeure partie de son existence.
Sa compagne dévouée, collaboratrice fidèle autant que discrète, celle qui l'avait accompagné durant de longues années, fut profondément attristée par la disparition de son époux.
Elle se cloîtra pratiquement chez elle jusqu'à ce jour de 1982 où elle rendit l'âme, entourée de l'affection des siens, après un court séjour à l'hôpital Eugénie, à l'âge de 86 ans.
Et c'est ainsi que disparurent du microcosme ajaccien deux figures familières de l'avant et l'après-guerre, deux photographes ambulants qui ont fixé au quotidien l'image des joies et parfois des malheurs de nos concitoyens, et dont les innombrables clichés jaunissent dans les tiroirs des familles d'Ajaccio ou des villages environnants.
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J.C. Fieschi et Jean Maiboroda. 1999 . A partir d'un texte ayant pour auteur Paul SILVANI.