LA SERBIE ET L'EUROPE. Une interview de la revue CONFLITS. Suivi de : Nikola MIRKOVIC, un auteur engagé


  Revue Conflits 
newsletter@revueconflits.com via  mlsend.com      « La Serbie veut rester un État indépendant » – Entretien avec le député Jovan Palalic     par PIERRE CAMUS
 
  De passage à Paris pour des rencontres avec différentes personnalités politiques françaises dans le but de développer les liens qui unissent la Serbie et la France, le député de la majorité Jovan Palalic nous a accordé un entretien concernant la situation actuelle en Europe.  Propos recueillis par Pierre Camus Peu avant les élections législatives de juin 2020 vous disiez pour le journal Causeur que « la foi en l’avenir de la nation était encore présente » (Causeur, 20 juin 2020), deux ans plus tard et face au récent conflit en Ukraine, cette foi est-elle toujours autant présente selon vous ?

Après deux ans, je peux dire que la situation est pratiquement la même. Nous avons un problème concernant le Kosovo, nous subissons une pression qui vient de Bruxelles et de l’Allemagne particulièrement concernant notre position sur le Kosovo. Ils veulent que nous reconnaitrions l’indépendance du Kosovo qui est pour moi un « faux État » si je peux dire. Après le début de la guerre en Ukraine, il y a eu un autre problème qui est celui de notre position vis-à-vis de la Russie. Car la Serbie veut rester un État indépendant et libre de gérer sa politique, de défendre ses intérêts et de conserver sa position de pays neutre et sa position d’équilibre entre l’Union européenne et la Russie. Le troisième problème est notre position concernant les Serbes vivant au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, ils veulent détruire cette politique de neutralité et notre souveraineté qui dépendent de notre histoire. Car le peuple serbe ne peut imaginer vivre sans un État indépendant, sans liberté et sans être maître de son destin. Notre politique est d’être membre de l’Union européenne, mais les conditions sont pour nous insupportables, le peuple serbe ne peut accepter ces conditions, de renoncer à son territoire. Parce que le Kosovo est le berceau de notre peuple. Concernant la Russie, c’est un point très compliqué, parce qu’il y a un chantage incessant de la part des pays occidentaux.

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Justement, la Serbie est officiellement candidate pour adhérer à l’UE, mais pour prendre l’exemple de la crise du Coronavirus, la majorité des aides vous sont venues de Chine et de Russie, pensez-vous toujours qu’il est bon pour votre pays d’adhérer à l’UE, d’autant plus aux vues des résultats très positifs de votre gouvernement et du délitement partiel de l’UE (Brexit, augmentation des tensions et désaccords entre les membres…) ?  
C’est une question très importante. Selon moi, après la crise sanitaire, le peuple serbe s’est posé la question de savoir qui était l’Union européenne pour lui faire peur, et a augmenté les désillusions de notre peuple concernant l’UE. Je peux voir à travers les sondages, qu’avant la crise du Coronavirus, que le peuple était majoritairement favorable à l’adhésion à l’UE. Mais après la crise sanitaire, durant laquelle nous n’avons pas eu de vaccins, le peuple a été déçu. Nous avons pu voir l’attitude de l’UE concernant la Serbie, car nous étions exclus de l’aide venant d’elle. Notre gouvernement selon moi à fait le bon choix et pris la bonne décision de s’adresser à la Russie et à la Chine, c’est-à-dire à d’autres producteurs de vaccins : il nous fallait trouver une solution. C’est une grande erreur de l’Europe, car nous pouvions sentir une arrogance envers le peuple et l’État serbes qui ne sont pas membres de l’Union. Maintenant, après la révolution démocratique en 2000, la majorité des peuples était contre l’adhésion à l’UE. Mais les désillusions de la crise sanitaire et les pressions subies depuis le début de la guerre en Ukraine ont inversé la tendance.
 
Malgré sa neutralité militaire et leurs antécédents (notamment en 1999), comment la Serbie perçoit-elle l’OTAN ? Penserait-elle y entrer comme y pensent la Finlande ou encore la Suède depuis quelques mois ?  
Pour notre peuple cette question est claire. Premièrement, nous avons été bombardés 73 jours et après, l’OTAN a pratiquement créé le faux état du Kosovo. La majorité du peuple serbe est contre cette organisation. Je vous donne les derniers sondages, plus de 83% sont contre l’adhésion à l’OTAN. La position est claire, ce n’est pas possible dans un avenir imaginaire de changer la position du peuple serbe. Notre position est très forte et très claire : nous voulons être neutres militairement. J’ai écouté beaucoup de politiciens américains qui ont provoqué l’agression, ils disent que c’était une grande erreur parce que militairement parlant, ils avaient perdu la Serbie.


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De la même manière, les pays baltes se sentent également menacés, peut-être même davantage à cause de leur proximité avec la Biélorussie, pensez-vous que ces craintes soient justifiées ?  
Je ne peux avoir de conclusion claire et précise aujourd’hui, mais peux dire que je peux comprendre et ressentir la peur. Mais parfois, ils me paraissent être simplement utiles dans les mains des États-Unis, pour créer une atmosphère hostile à la Russie. Il y a une division en Europe faite par les politiciens américains : l’Europe vieille et l’Europe nouvelle. Cette dernière a pour but de faire un corridor entre l’Europe vieille, en premier lieu l’Allemagne et la France, et la Russie. Et ces pays qui font partie du corridor sont pratiquement tous sous le contrôle des Américains, d’une manière ou d’une autre, et nous sentons que leurs paroles sont plus agressives que celles des pays de la vieille Europe. Il y a un problème avec ce clivage, alors que l’Europe devrait être unie et forte. Il serait plus facile et plus acceptable pour la Serbie d’intégrer une Europe forte, unie, que ce soit économiquement, militairement ou politiquement, mais en ce moment nous voyons une forte présence des États-Unis qui créent une atmosphère de clivage, avec pratiquement le but de diviser et d’affaiblir l’Europe.
 
Concernant les négociations avec le Kosovo, un accord de libre circulation a récemment été conclu quelques semaines après des tensions à la frontière début août, comment voyez-vous l’évolution de la question du Kosovo dans les prochaines années ? Et toujours pour lier cela à l’actualité, le conflit russo-ukrainien a-t-il changé certaines choses dans ces négociations, même si la situation n’est pas comparable ?  
Absolument ! Puisqu’il y a, depuis le début de guerre en Ukraine, une augmentation des pressions, de l’activité des puissances occidentales envers la Serbie, pour qu’elle résolve rapidement la question du Kosovo. Parce qu’avant la guerre, la Russie défendait la position de la Serbie auprès du conseil de sécurité de l’ONU. En ce moment elle est en dehors de la politique européenne. Et maintenant certains, l’Allemagne en tête avec les États-Unis, pensent que le principal pilier de la Serbie n’est plus et qu’elle est seule, sans son allié le plus important. Les États-Unis – et l’Allemagne – veulent imposer leur présence dans toute la région des Balkans et expulser l’influence russe qu’il pourrait y avoir. Selon l’ONU, la question du Kosovo était le dernier conflit qui n’était pas résolu, et considère donc qu’il faut faire pression sur la Serbie pour reconnaître l’indépendance du Kosovo. Nous pouvons voir deux ou trois initiatives : la visite du chancelier allemand Scholz en juin à Belgrade, durant laquelle il a ouvertement dit que l’UE attendait de la Serbie qu’elle reconnaisse l’indépendance du Kosovo si elle voulait un jour être membre de l’Union. Deux mois après sa visite, fin août début septembre, nous avons reçu des papiers, un à-propos commun de Scholz et Macron, pratiquement un plan, en deux étapes, du chemin vers un accord final entre la Serbie et l’Union européenne. La première est que la Serbie doit accepter l’existence du Kosovo comme état indépendant, sans pour l’instant l’obligation de le reconnaître et de résoudre toutes les questions techniques qu’impliquerait un tel processus. Finalement, à la dernière étape pour adhérer à l’UE, la Serbie devra reconnaître l’indépendance du Kosovo. C’est écrit ouvertement. Derrière toutes ces initiatives européennes se trouvent les États-Unis, et leurs initiatives communes visent à faire pression, à effectuer un chantage à la Serbie. Parce que dans ce même papier rédigé par Macron et Scholz, il y a de plus la menace de sanctions économiques si la Serbie ne reconnait pas l’indépendance du Kosovo, et diplomatique avec une potentielle interdiction des visas pour les Serbes. Ce sont des menaces directes. La situation est donc pour nous très compliquée, car à cela s’ajoutent et se mêlent nos positions face aux sanctions contre la Russie qu’ils veulent faire évoluer. Nous sommes l’exemple en ce moment qu’un pays peut exister en menant sa politique seul et indépendamment des autres, ne suivant exclusivement que ses intérêts.
Pour revenir à votre question sur l’évolution de la question du Kosovo, je ne peux répondre précisément, mais je peux seulement vous dire que le peuple serbe est absolument contre la reconnaissance du Kosovo (80% du peuple), mais avec tout ce que cela implique vis-à-vis de l’Union européenne. Ce n’est pas acceptable pour nous, et je pense qu’il est impossible et surtout inacceptable qu’un gouvernement reste au pouvoir, alors qu’il va contre la volonté de son peuple. Nous demandons une certaine compréhension envers un pays qui aujourd’hui est seul, qui fut le seul à être bombardé et sous sanctions, qui aujourd’hui est le seul à être menacé de sanctions pour avoir été contre les sanctions envers la Russie, seul pays qui nous a soutenu lorsque nous-mêmes étions sous sanctions, ce n’est pas moral. Il n’y a pas de liberté.


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 Nikola MIRKOVIC, auteur engagé
 


Préambule

Le texte présenté ci-après, ainsi que les videos des entretiens avec Nikola Mirkovic sont des documents  résolument "engagés". D'autres diraient "partisans".
Nikola MIRKOVIC est catalogué comme proche de l'extrême droite.

J'en suis personnellement très éloigné. 
Toutefois,  en conformité avec ce que l'on pourrait appeler la "ligne éditoriale" de ce site, ligne éditoriale qui se veut libre, indépendante et idéologiquement non inféodée, le résumé de l'ouvrage aussi bien  que les  références des vidéos font l'objet d'une "transcription". 
Libre à chacun d'en apprécier ou d'en condamner les contenus.
Je préciserai cependant, en toute honnêteté,  que ma sympathie pour le peuple serbe et le souvenir  des bombardements intensifs de l'opération "Force Alliée" (avec la participation de la France) sur la Serbie m'ont incité à transcrire sur ce site tant le texte  que les références des vidéos. 
J.M



 

https://institut-iliade.com/lecture-lamerique-empire-de-nikola-mirkovic/
 
 
L’Amérique empire, de Nikola Mirkovic



À l’origine de L’Amérique empire, on ne trouve pas une curiosité dilettante ou subventionnée mais la richesse d’épreuves vécues et surmontées. C’est pourquoi ce livre est promis à un bel avenir.
 
Les États-Unis ont tant fait coulé d’encre, sans compter le flot de pellicules cinématographiques qui prend sa source à Hollywood ! Leur histoire riche d’un quart de millénaire constitue déjà une des grandes fulgurances de l’Histoire humaine. Comment s’y prendre pour la restituer ? Nikola Mirković a relevé le défi en prenant la puissance comme fil d’Ariane. Résultat ? L’Amérique empire, une dissection des États-Unis au prisme du destin impérial que s’est donnée Washington. À la fois une somme et une enquête passionnante – étayée de plus de 700 notes de bas de pages.

La destinée impériale américaine

Le respect de la chronologie permet de saisir l’engrenage qui entraine la première puissance du monde dans sa situation actuelle de « surextension » impériale. Depuis l’arrivée des pères pèlerins au XVIIe siècle, Nikola Mirković analyse la matrice religieuse de cette Nouvelle Jérusalem, ses ressorts et leurs conséquences jusqu’aujourd’hui. L’ensemble forme un tableau singulièrement complet.
On ne peut qu’être frappé de la précocité de la doctrine Monroe qui, dès 1823, désigne les Amériques comme la zone d’influence exclusive des États-Unis. En moins de cinquante ans, les sujets rebelles au roi d’Angleterre affirment leur prééminence sur deux continents ! Au fil du XIXe siècle, on assiste à la métamorphose de colons affranchis de la couronne britannique en exploiteurs voulant « rendre le monde sûr pour leur capitalisme ». En 1904, le président Roosevelt complète la doctrine Monroe de son « corollaire » : les États-Unis s’autorisent à « exercer un pouvoir de police international ». Un siècle avant l’affirmation de l’extraterritorialité du droit américain, le pays entend déjà disposer du monde.

La possibilité d’une île continentale

L’auteur relate l’extension yankee par l’achat, l’extorsion, le marchandage ou la conquête militaire. Achat de la Louisiane française (22,3% de la superficie actuelle des États-Unis !), extorsion des terres aux Amérindiens contre de menues compensations, achat de l’Alaska à l’empire russe, guerre ourdie contre le Mexique pour obtenir de lui la moitié de son territoire, etc. Cet appétit est soutenu par une immigration abondante et continue en provenance du Vieux continent. En plus des hommes, tous les outils de puissance mûris en Europe se déploient sans limite, selon une orientation proprement yankee.

L’empire et la nation

Nikola Mirković met en évidence l’antagonisme nation-empire qui travaille les États-Unis depuis plus de deux siècles. D’un côté, l’orientation universaliste et conquérante : « l’Amérique s’est fondée en se voulant monde nouveau pour le monde entier ». De l’autre, le pays « entend rester fidèle à sa vocation républicaine et fédérative ». Le courant isolationniste, souvent en sourdine mais jamais évincé, indique la permanence de cette dimension nationale. Ce zèle à cultiver son jardin, qui s’étend d’un océan à l’autre, offre l’assiette nécessaire aux plus grandes ambitions mondiales. Les États-Unis tirent leur force de cette capacité à concilier des tendances contradictoires. Tocqueville observait déjà dans La démocratie en Amérique l’importance d’oppositions concurrentielles à la racine du dynamisme américain. L’annexion de Hawaï, en 1894, nous fournit une illustration. Elle ne résulte pas d’une ambition de la Maison blanche réalisée par des fonctionnaires obéissants. Au contraire, des Américains décidés à étendre leurs intérêts dans le Pacifique extorquent l’annexion de l’archipel au pouvoir local puis soumettent l’acte d’annexion au président des États-Unis. Ce dernier refuse longtemps d’avaliser ce coup de force avant de céder devant le fait accompli.

Destinée manifeste d’abord !

Une singularité du destin américain résulte de l’inversion chez eux du processus impérial. L’empire apparaît généralement à l’apogée d’une structure particulière. Il n’est pas un projet d’expansion territorial mais une tentative de stabilisation par la donation d’un sens métahistorique. 700 ans après la fondation de Rome, le poète Virgile trouve les termes pour justifier a posteriori une destinée manifeste à Rome. Les États-Unis ont commencé par là. Non héritiers de Troie en Flamme mais du volcan religieux de la Réforme, les puritains s’installent aux États-Unis pour fonder la Nouvelle Jérusalem, prédestinée à éclairer le monde. Le ton est donné dès le XVIIe siècle par le gouverneur du Massachussetts, John Winthrop : « Car nous devons considérer que nous serons comme une cité sur la colline et que les yeux de tous les peuples seront tournés vers nous. » Mais historiquement, la bonne conscience religieuse a accompagné une mentalité protestante particulière associant cynisme et matérialisme, ce que résume la formule Bible and Business.

La formation d’un modèle planétaire

Avec la Guerre de Sécession (1861-1865), les États-Unis trouvent leur orientation définitive. Ce que Maurice Bardèche a décrit dans Sparte et les Sudistes. Se met alors en place, au fil des décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale, une « civilisation » proprement américaine. Celle qu’on nomme aujourd’hui « l’Occident ».
Nikola Mirković souligne la modernisation précoce de l’agriculture, et l’utilisation habile du dynamisme entrepreneurial et de la petite propriété pour servir in fine de gros ensembles capitalistes. Ainsi, le gouvernement fédéral décide de mesures d’appel séduisantes pour attirer des émigrés dans le Mid West et mettre en valeur des terres vierges. Suite à l’accroissement colossal de la production agricole, les petites fermes ne peuvent plus supporter la concurrence. Un grand nombre de paysans n’a alors d’autre choix que de vendre ses terres à plus riche que lui et d’y travailler comme employé.

Une grande crise économique ébranle les États-Unis en 1893 et 1894. Mais l’agitation populaire et la résistance syndicale ne peuvent rien contre l’élite organisée du patronat. Le système capitaliste sort renforcé et plus inégalitaire que jamais d’une « crise » qui est davantage une mue. Aux États-Unis mieux qu’ailleurs, l’oligarchie capitaliste s’arroge systématiquement les incertitudes historiques – et les great reset qu’elles permettent. La différence avec les pays européens se joue dans la plus grande désaffiliation de l’élite vis-à-vis du peuple déjà réduit au rang d’une masse de producteurs-consommateurs. Les disparités identitaires parmi la population récemment émigrée minent la capacité de coordination des travailleurs : une opposition populaire devient efficace lorsqu’elle constitue une communauté politique et s’enracine dans une cohérence identitaire.

La réinitialisation de l’Europe

Nikola Mirković rend compte des arcanes de chaque avancée du projet impérial américain. La mise en coupe réglée de l’Amérique latine, la manipulation de l’opinion publique pour l’entrée en guerre en 1917 et en 1941, et bien sûr le maintien de la tutelle impériale en Europe depuis 1945. Le Vieux continent passe en effet sous domination américaine au terme des deux conflits mondiaux (et en 1990 pour l’Europe centrale). L’économisme comme modèle post-politique, la société de consommation comme nouvelle matrice culturelle et l’immigration comme politique de peuplement passent de ce côté de l’Atlantique. Comme le décrit Nikola Mirković, la reconstruction d’après-guerre entraine la refonte et la vassalisation des sociétés européennes : « Aux Européens le confort et les réfrigérateurs, téléviseurs et sèche-cheveux… de la société de consommation, aux États-Unis le pilotage du modèle politico-économique et de l’armée. C’est le compromis que l’Europe de Bruxelles a validé avec Washington. »

Cette grande réinitialisation ne signe pas la fin du politique, mais son escamotage en Europe au profit d’une puissance impériale centrée en Amérique. Car la mutation se fait sous bonne garde et dans la crainte d’une invasion soviétique. Au début des années 1950, plus de 400 000 soldats américains occupent le Vieux continent ; encore 200 000 pour la seule Allemagne fédérale en 1990, avant que la fin de la guerre froide n’étende la présence de l’OTAN à l’Est en même temps que s’allège sensiblement le dispositif militaire américain. Aujourd’hui encore, sur les 200 000 militaires américains déployés hors de leurs frontières nationales, 85 000 sont stationnés en Europe.

Raisons de l’hégémonie et leçons historiques

Nikola Mirković relate par le menu l’affirmation d’une puissance financière et monétaire indépendante du pouvoir politique, un élément symptomatique de l’emprise oligarchique, dans laquelle l’instauration en 1913 de la Réserve Fédérale Américaine marque un basculement. La puissance impériale américaine n’est pas seulement militaire, commerciale ou culturelle. Elle réunit tous ces facteurs parmi lesquels la finance joue un rôle de catalyseur et de coordination. L’auteur cite en ce sens le professeur David Graeber (cf. Debt : the first 5,000 years) : « il y a une raison pour laquelle le magicien dispose d’une étrange capacité à créer de la monnaie à partir de rien. Derrière lui se tient un homme avec un fusil ».

L’étude de l’histoire administre de siècle en siècle les mêmes leçons. À l’heure des conflits antiques, Thucydide remarquait : « il est dans la nature de l’homme d’opprimer ceux qui cèdent et de respecter ceux qui résistent » ou encore « le fort fait ce qu’il peut faire et le faible subit ce qu’il doit subir. » L’épopée américaine n’illustre pas autre chose ; le problème, c’est que l’Europe joue le mauvais rôle.
Par son origine serbe, Nikola Mirković a éprouvé l’empire américain à travers le démantèlement de la Yougoslavie avant d’en faire son objet d’étude. C’est ce qui rend son enquête si convaincante. Le lecteur suit la pensée d’un homme qui a compris l’essentiel par impression, puis qui a raisonné son impression par l’étude rigoureuse et la probité intellectuelle. À l’origine de L’Amérique empire, on ne trouve pas une curiosité dilettante ou subventionnée mais la richesse d’épreuves vécues et surmontées. C’est pourquoi ce livre est promis à un bel avenir.

Thibaud Gibelin
Nikola Mirković, L’Amérique Empire, éditions Temporis, 336 pages, novembre 2021


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DEUX  VIDEOS/INTERVIEWS de Nikola MIRKOVIC


https://www.youtube.com/watch?v=DD533bjR-HM
Ukraine : les Etats-Unis nous entraînent dans le piège de Thucydide - Le Zoom - Nikola Mirkovic

https://www.youtube.com/watch?v=srFlXosGcdA
Les intérêts cachés de la guerre en Ukraine avec Nikola Mirkovic