LES RUSSES "BLANCS" EN TUNISIE


L'exode de Crimée (1920) qui vit les "Russes blancs" vaincus par les "Rouges", après avoir rejoint la Turquie dans des conditions dramatiques, être dispersés dans l'exil, est un épisode bien connu par nombre de leurs descendants installés en Corse.
D'autres Russes "blancs" ont à l'époque  rejoint la Tunisie, et plus précisément Bizerte, où s'était réfugiée une partie de l'escadre impériale.
L' odyssée de ces derniers nous est connue notamment grâce à l'ouvrage intitulé " La dernière escale", d'Anastasia Manstein-Chirinsky.
Nous écrivions à  propos de cette dernière, lors de son décès fin décembre 2009:
 
"C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès d'Anastassia Alexandrovna Chirinskaia-Manstein.

[....] L'ouvrage d'Anastassia Alexandrovna Chirinskaia-Manstein, intitulé "La dernière escale", reste une référence incontournable pour tous ceux qui veulent connaître les péripéties de l'exode "blanc" et les conditions de l'arrivée puis de l'installation des officiers et marins de la marine impériale russe en Tunisie.
Les visiteurs de notre site peuvent lire dans notre rubrique BIBLIOGRAPHIE "AUTOUR DE L'EMIGRATION BLANCHE" sous le titre : - ANASTASIA MANSTEIN-CHIRINSKY "LA DERNIERE ESCALE" : le siècle d'une exilée russe à Bizerte. Sud Editions. Tunis - l'article élogieux que le site tunisien www.tunisia-today.com/  avait, sous la plume de Zohra Abid, consacré à cette grande dame qu'était Anastasia Manstein CHIRINSKY.

 

Nous publions aujourd'hui un article tiré du site "Russki Most" (Cf.LIEN) qui relate également les conditions de l'installation des Russes Blancs en Tunisie.
J.M



Récits d’une vie personnelle
(EXTRAITS DU CAHIER D’IRINA KNORRING, 1906-1943)
lundi 27 août 2012
Russky Most est heureux de publier ce texte unique en son genre, récemment traduit du russe et annoté par Ivan Sergueevitch Kourdukoff* qui nous a fait l’amitié de nous l’envoyer. Arrachée à son monde et projetée dans l’exil vers Bizerte, une adolescente de quinze ans raconte dans son journal intime l’Exode de Crimée de 1920. Elle le fait en toute simplicité, sans rien cacher de ce qu’elle voit et ressent. Du fond du passé, voici la vie à bord, les drames petits et grands, les rêves brisés, les souffrances et humiliations, l’ennui, la peur, la nostalgie, les cancans et les rumeurs qui font mal, mais aussi, le courage, l’endurance, la volonté de tenir le coup malgré tout. T.S.
* Trésorier de l’Association des amis de la Cathédrale orthodoxe russe Saint-Nicolas de Nice et secrétaire du Conseil paroissial. Il se trouve également être le fils de la petite « Iroussia » (Irène Nassonoff), plusieurs fois mentionnée dans ce récit.
Introduction
Irina Nicolaevna Knorring est née le 21 avril (4 mai) 1906 dans le village d’ Elchanka dans la région de Samara, dans la maison familiale des Knorring. Les parents d’Irina étaient Marie Vladimirovna Chtchepetilnikova, fille de Conseiller d’Etat (1881-1954) et Nikolay Nikolaevitch Knorring (1880-1967), de famille noble. C’est à Kharkov, où son père était directeur de collège, que s’est passée l’enfance d’Irina, sans l’ombre d’un nuage.
C’est également là qu’elle a connu le début de la guerre civile. Irina a définitivement quitté la Russie en 1920, partant avec ses parents sur le bateau « Général Alexéev » de Sébastopol vers Bizerte (Tunisie) sous la tutelle du Corps de la Marine.
Dès l’âge de onze ans, elle tenait un journal intime qu’elle appelait « Récits d’une vie personnelle ». Il couvre la période 1917-1940 et doit être considéré comme un témoignage historique important qui donne la possibilité au lecteur de se plonger dans la vie des émigrés russes et l’atmosphère qui régnait parmi eux. Il fait découvrir leurs difficultés quotidiennes mais aussi l’immense éventail de leurs possibilités communautaires, culturelles et scientifiques.
Voici des extraits de ce cahier se rapportant à l’évacuation de la famille de Sébastopol (l’auteur n’a pas quinze ans). Les annotations « I.N. » sont celles d’Irène Nassonoff, ma mère - alors une petite fille de neuf ans, voyageant sur le même bateau.

I.S. Kourdukoff

28 octobre (nouveau style 10 novembre) 1920. Mercredi
Nous sommes évacués vers la France [1]. Les Bolcheviks ont fait sauter le front. Il est 9 heures, je viens de l’apprendre, sans doute, cette nuit nous serons en route. Quelque chose va se passer ! 
5/18 novembre 1920. Jeudi. Mer Noire. Cuirassé « Général Alexéev »
Voilà six jours que mon pied n’a pas touché la terre ferme, voilà six jours passés sur ce cuirassé, six jours longs et épuisants !
Nous avons embarqué le 30. Journée épouvantable, nuit encore pire ! Tous les quais étaient noirs de monde, des chaloupes faisaient des allers et retours dans la baie, il était pratiquement impossible de rejoindre le navire. Beaucoup de cris parvenaient de la berge, des hystéries, et vers la nuit éclata l’annonce d’un incendie. C’était les stocks de la Croix Rouge Américaine [2]. Peut être furent-ils incendiés par les bolcheviks, mais il est plus probable qu’ils furent incendiés par les forces en retraite.
Le 31 nous avons quitté le port et tard dans la nuit, nous avons pris la mer. Tout au début nous passions les nuits sur le pont, dans la tourelle. Ensuite nous nous installâmes dans le poste d’équipage pour dames du Corps de Marine. Beaucoup de mots nouveaux : pont, trappe, casemate, hublot, coquerie, pare-en-dessous, piquer l’heure etc. Je ne parle pas de l’humeur, abattue. Je suis allée à l’église, elle est très sympathique ici. L’évêque Viniamin [3] fait le voyage avec nous, il nous lit des sermons.
La nourriture est relativement mauvaise, essentiellement des conserves, il manque de l’eau douce, hier et ce jour nous n’avons pas de pain. On avance très lentement, il n’y a pas de chauffeur. Il s’avère que la plupart des matelots sont bolcheviks et ils sont restés. Nous naviguons bien, il n’y a pas de roulis, d’ailleurs faire bouger ce monstre qu’est « Alexéev » ce n’est pas facile. Le cuirassé était relativement propre, juste au moment du nettoyage du pont, ils ont fait tellement de saleté que c’était un vrai cauchemar. 
Pendant trois jours nous n’avons pas vu la terre, hier enfin elle est apparue à l’horizon. Toute la journée nous étions à l’arrêt, un remorqueur est arrivé dans la soirée pour nous rapprocher du Bosphore puis il est parti car on ne peut pas entrer dans le Bosphore la nuit. En ce moment nous sommes à l’arrêt non loin de la côte (je ne peux pas définir à quelle distance) et nous attendons. Que va-t-il se passer maintenant, impossible de le deviner. La Crimée est déjà devenue rouge, alors que toute la Russie de Wrangel se balade sur les flots. Nous ne savons même pas où nous allons – on nous dit – en Tunisie, on nous dit – sur les îles des Princes [4], mais que nous prépare le destin ? 
7/20 novembre 1920. Samedi. Constantinople
Que c’est triste d’être tout le temps debout. Aujourd’hui seulement on nous a donné de la lumière, car jusqu’à ce jour nous nous éclairions avec des lampes à pétrole. Toujours des difficultés avec l’eau, les repas sont préparés avec de l’eau de mer, par contre le pain ne manque pas. Nous avons reçu du sucre, une cuiller à soupe par tête. Ainsi nous vivons petitement, c’est triste de traîner toute la journée sur le pont et de regarder la mer. La vie sur la mer : beaucoup de bateaux russes sont à l’arrêt (sous drapeau français), partout flottent des barques et des canots. Au fond on distingue la masse de Constantinople, de belles mosquées, des minarets, des maisons hautes et étroites. Énorme ville. Aussi bien à bâbord qu’à tribord, on peut apercevoir les constructions de Tzargrad. […]
De l’autre côté on devine les îles des Princes, sur lesquelles les Turcs débarquent les chiens errants (le Coran interdit de les tuer) condamnés à une mort certaine à cause de la faim, et les réfugiés. Je n’envie pas leur sort.
Notre destin n’est pas encore connu : on nous annonce soit Toulon, soit Bizerte, soit encore Kataroo. [5] La Serbie ne me séduit pas, je préférerais l’Afrique – les oranges sont un excellent appât. Les Français vont nous nourrir et nous vêtir, et c’est tout.
Dans le poste d’équipage, c’est étroit et étouffant. Avec Maman nous dormons dans la couchette du haut ; c’est difficile d’y accéder, mais c’est encore plus difficile d’en descendre ; pour dormir c’est étroit et inconfortable. Papa-Kolia dort dans le poste d’équipage des matelots, les repas et le thé nous les prenons sur le pont. Toute la journée, je la passe dans la couchette. S’il fait chaud dans le poste d’équipage, par contre il tombe des gouttes du plafond et toute la paroi est trempée. Et de ce fait j’ai un rhume terrible et ne me sens pas bien. Les rats nous importunent. Chaque nuit, on ne sait d’où, d’en haut sortent d’énormes rats qui commencent à courir sur les étagères, sur les tubes et sur les gens. Toute cette nuit je n’ai pu fermer l’œil à cause d’eux, ça m’écœurait de les sentir sur mon visage.
Ensuite j’étais importunée par les moustiques. Il me semblait que je nageais, que les vagues s’abattaient sur moi, que je n’avais pas de force pour lutter avec elles. Epouvantable sentiment de fatigue ; l’impression que j’ai oublié comment nager. J’y mets toutes mes forces, j’avale des tasses. Je sens que je n’avance plus, je ne peux plus nager ! Tout à coup me voilà sur la terre ferme. Sauvée ! Mon cœur bat très fort, j’ai du mal à respirer. Tout à coup est venu Volodia Sigalov [6] qui me dit : « Vous avez encore déliré. Je vous conseille de rester couchée ». Mon subconscient me dit que j’ai une maladie grave que personne ne pourra jamais guérir. Je suis consciente que ma situation est sans issue, je suis en train de mourir, je deviens folle. Je me sens étouffée, une masse énorme est en train de m’écraser. Je me bats, j’y mets toutes mes forces, j’essaie de me libérer de ce carcan, mes forces me manquent. C’est terrible. Puis tout le corps ressent une étrange chaleur très agréable, et tout passe. Ce cauchemar, signe de ma faiblesse, me poursuit toujours lors d’une simple maladie banale. […] 
25 novembre/8 décembre 1920. Mercredi. Constantinople. « Constantin »
Le destin, ou plutôt Kedrov [7], nous a transférés sur le « Constantin ». Ce fut une longue histoire. Les maris sont restés sur le « Alexéev » (sauf les enseignants) ; beaucoup de larmes furent versées dans ces chaloupes sombres. Kedrov exigeait que toutes les femmes quittent les navires militaires. Mais nous séparer de nos familles à ce moment, nous paraissait terrible. De nombreuses exigences et demandes furent écrites, nombreux furent ceux qui souhaitaient quitter le corps militaire et partir en Serbie, puis enfin tout le monde a lâché. Le « Constantin » va à Bizerte, suivant le « Alexéev », et là où mouillera le « Alexéev », mouillera le « Constantin ». Nos dames avaient déjà décidé de pendre Kedrov et Machoukov [8] en même temps. Mais finalement lorsqu’elles se sont retrouvées sur le « Constantin », dans des cabines propres, sans rats, sans gouttes tombantes du plafond, avec un officier principal qui ne râle pas tout le temps, où l’on peut circuler partout, avec de l’eau à boire en abondance – elles ont commencé à le remercier et chuchoter : finalement il est superbe, ce Kedrov !
Il nous a fallu longtemps pour nous nettoyer, effacer la saleté du « Alexéev », changer de vêtements. Maintenant nous sommes comme au Paradis. En réfléchissant bien sur le « Alexéev » les femmes étaient négligées : nous nous promenions sur le pont, tout à coup l’équipage nous lançait : « Toutes les femmes sont des ânes, des bêtes à jeter par-dessus le bord bâbord ! » - chassées de partout. Tu voulais aller sur la plage arrière – impossible, partout tu risquais de tomber sur l’arrogance de l’officier en chef ; horrible terreur, qui, par moment, nous mettait hors de nous ; par moment, on faisait peur aux enfants capricieux, par la seule prononciation de son nom ; tout cela n’est plus ici, ici – c’est le règne des femmes. Nous nous sommes installées dans une cabine de seconde classe. Il y a 8 places qui sont occupées par les Nassonoff [10] – 3, nous (Maria Vladimirovna et Irina – IN) – 2, Ivanova [11] – 1, et Samoïlova [12], mais elle s’en va. Les hommes ne comptent pas, ils dorment où ils peuvent. Tous sont très sympathiques, tous sont avec les maris et c’est pour ça qu’il n’y a pas de grogne, de mécontentement. Le « Alexéev » a pris la mer hier, nous, nous partons demain.
Pour le moment je dois arrêter d’écrire, je dois donner mon crayon à Iroussia (Irène) Nassonoff, je le lui ai promis : elle aussi écrit un cahier de mémoires. Elle a 9 ans. Elle est adorable, je suis tout le temps avec elle, même que nous allons dormir ensemble dans la même couchette, en haut. 
28 novembre/11 décembre 1920. Samedi. Mer de Marmara.
J’ai très mal, mon âme a mal. C’est peut être la première fois que j’ai senti que la Russie est très loin, que je n’y retournerai pas de sitôt, même, peut être, jamais et ce qui m’attend – je ne peux même pas l’imaginer. L’armée est à Gallipoli. Mais que devient-elle maintenant ? Que va-t-il se passer maintenant ? Je me pose tout le temps cette question, sans jamais y trouver de réponse. Ma vie personnelle a de nouveau fini de m’intéresser. J’aurais bien voulu transmettre toutes mes pensées et mes sentiments à la Russie. Je l’aime, et je voudrais qu’elle ait plus de chance que moi-même. Hélas, pour penser et comprendre, je n’ai plus de forces. Il me semble que j’ai franchi quelque frontière, derrière laquelle la pensée n’a plus de valeur, il y a quelque chose que je ne puis atteindre. Qu’est-ce que c’est triste et mélancolique. J’essaie de cacher mon état d’âme, je ne parle plus, je passe de plus en plus de temps sur ma couchette en haut et j’écris. Une ou deux fois, j’ai pleuré en silence, mais dans l’ensemble, j’essaie de me montrer calme et équilibrée. Sous l’influence de cette humeur, j’ai écrit des vers en prose « sans éclaircies ». J’écris « Le vécu » - texte de tout ce que j’ai supporté lors de notre exil. Hier, j’ai écrit un conte « Les cheveux d’or » et aujourd’hui une poésie « Ne parle pas ». Mon âme est très mal, que c’est triste ! Qu’est-ce que j’aimerais me divertir, oublier tout, mais je n’en ai pas la force ! Je ne veux qu’une chose : que personne ne se rende compte de l’état de mon âme. 
1/14 décembre 1920. Mardi. Mer Egée.
Le bateau tangue, difficile d’écrire. Je ne peux être couchée que sur le dos, sinon j’ai le mal de mer. C’est pour ça que je vais m’arrêter. Le bateau passe devant les côtes de la Grèce. C’est intéressant de voir ces côtes où vécurent Thémistocle, Périclès, Socrate, où se sont déroulées les tragédies de Sophocle. […]
Lorsque nous passions les Dardanelles, j’ai eu un coup de cafard terrible. Ce n’est pas le Bosphore. Des collines nues, grises sans le moindre arbre, toutes identiques, tristes et entre elles – un petit village à moitié détruit. Maintenant je comprends pourquoi s’est développé à ce point l’exil. Je me serais sauvée la première. Quelques couleurs morbides. Pauvres, pauvres sont nos militaires, ça ne doit pas être facile pour eux à Gallipoli. Que leur apportera l’avenir ? A dire vrai, leur avenir m’inquiète plus que le mien. 
4/17 décembre 1920. Vendredi. Navarin
Ici tout me semble étranger ; il n’y a personne qui me plaise ; tout le monde ne s’occupe que de ses propres intérêts et de ce fait, ils ne sont plus intéressants. De notre cabine, je n’aime que Elisaveta Serguéevna Nassonova. Il me semble que je lis dans son âme. Me plaît aussi Vera Pavlovna Ivanova, elle est très gaie, vivante, elle sait cacher son humeur, elle blague tout le temps, fait de l’esprit. Mais elle aussi a fini par me fatiguer. En un mot, tout le monde me paraît étranger, on croirait des « Africains ». Tous s’ennuient, broient du noir et s’énervent pour rien. J’essaie de me contenir. Il me semble que je pourrais encore être longtemps ballotée sur le « Constantin », que je pourrais encore attendre, que je pourrais encore en supporter beaucoup.
[…] Il y a ici 575 femmes et 60 hommes. Quelqu’un a attrapé un typhus à rechute. Un docteur est venu, l’a examiné (et cette dame malade – I.N.) a été isolée dans une cabine à part. Le même jour est venu nous voir Solodovka avec un visage exprimant l’inquiétude, pour nous annoncer : « vous savez que sur le « Constantin » il y a une forte épidémie de typhus, il y a déjà quatre malades, le docteur dit que tout le monde va être malade et qu’une fois à Bizerte nous serons bloqués un mois en quarantaine ».
Quelqu’un a lancé la nouvelle que les bolcheviks auraient conclu l’union avec tous les Etats, plus personne ne voudra nous accueillir. On chuchote aussi que nous allons être envoyés à Malte. Circulent encore des bruits que nous quitterons Navarin les derniers. Quelqu’un a encore lancé qu’à Bizerte on nous prépare des villas individuelles ; d’autres annoncent que nous logerons sous la tente. Mais comme il est impossible de compter toutes les étoiles, il est impossible également de tout entendre et de même de tout écrire. Toutes ces rumeurs, ces inquiétudes, ces chuchotements ne servent qu’à passer le temps et c’est ce qu’il nous faut.
En mer, c’est du grand mauvais temps, dans la baie c’est une lame de fond, le vent est épouvantable et le bateau est balloté. Le vent est tellement fort qu’il est impossible de se tenir debout, les grands dragueurs de mines se couchent littéralement sur l’un ou sur l’autre bord. Le dragueur de mines « Bespokoynii » (« l’Inquiet ») a cassé ses amarres, les remorqueurs ne peuvent intervenir – ils sont empêchés par les vagues, quelqu’un a même été projeté à l’eau. Je vais essayer de sortir sur le pont.

9/22 décembre 1920.Mercredi. Bizerte
Hier, nous sommes entrés dans la rade. Enfin notre voyage est terminé ! Mais non ! Les Français ne nous laissent pas descendre. Le drapeau jaune est hissé, nous sommes à l’arrêt en quarantaine. De même, tous les remorqueurs qui viennent nous ravitailler, hissent également le drapeau jaune. Combien de temps allons-nous être immobilisés ainsi – on ne le sait pas. Bizerte – petite ville sympathique, il y a beaucoup de verdure. 
10/23 décembre 1920. Jeudi
Madame Danilova met tous les soirs une jaquette d’un rouge vif, une dizaine de bracelets en argent brillant, de grandes boucles d’oreilles, se fait un chignon, se couvre d’un châle foncé et sort sur la plage arrière pour lire l’avenir dans les cartes. Elle ressemble à une vraie chiromancienne ; tous les marins l’assaillent : qui lui apporte une orange, qui, un savon ; et elle accepte tous ces présents avec beaucoup de noblesse et range les cadeaux dans son châle. Celle là au moins ne sera pas perdue ! Le matin, quand la dame de service de la coquerie épluche les pommes de terre, elle est déjà là : « Ah, vous épluchez les pommes de terre. Allons, donnez en moi un peu, allez, une dizaine ! C’est pour ma fille malade (nous la connaissons, cette fille malade), elle en a vraiment envie. Allons, mais donnez ». Dès qu’elle voit quelqu’un qui lave du linge : « Donnez-moi du savon, je n’en ai pas le moindre morceau, j’ai tellement de linge, ma fille est malade ». Pendant ce temps, sa fille malade se maquille les yeux, se passe du rouge à lèvres, se poudre, retire ses bigoudis et va faire la coquette.
Voilà le problème des dames ! Sur tout ce bateau il y a tellement peu d’hommes, et puis ils sont tellement costauds. Alors elles se maquillent, se dénudent mais personne n’y prête la moindre attention. Mais il y a aussi des jeunes. Chaque soir, jusqu’à tard dans la nuit, rôdent sur le pont des paires qui flirtent. C’est dégoûtant. Dans notre situation, dans un pays étranger, jetés vers l’inconnu, sales, dévorés par des poux, et voilà – le flirt ! [...]
Sur l’« Alexéev » nous avions eu une femme enceinte, les derniers jours sa situation était épouvantable. Le commandant du « Alexéev » lui a donné l’autorisation de rester à bord à la seule condition que l’enfant naisse avant l’arrivée à Bizerte ; dans le cas contraire, il serait obligé de l’envoyer au dispensaire. Ce cas m’a émue jusqu’au fond de mon âme. Il est vrai que les gens sont devenus des animaux et sont devenus fous en même temps ! Tout est devenu pourri, tout le monde en a par-dessus la tête ! […]
Sur notre navire, des cas de fièvre typhoïde sont apparus, ce qui s’explique – avec toute cette saleté. Et si nous restons encore longtemps en quarantaine, nous risquons d’avoir la varicelle, et là, ce sera notre fin ! Mais à présent, je suis tellement fatiguée de tous ces colportages et médisances, j’ai tellement envie de retrouver la terre ferme, pouvoir me balader sur les collines, dans les plantations d’orangers. 
11/24 décembre 1920. Vendredi
Dans la chaude Afrique, près d’un lac calme. La météo est telle que tout le monde se promène en fourrures. Le vent est tel que, dans cette rade fermée, loin de la mer, les vagues sont tellement fortes, font tellement de bruit derrière le hublot, que la nuit, parfois, l’angoisse nous envahit en entendant ce rugissement. Mais où est-elle cette chaleur africaine ? Nous nous dirigeons tous vers le sud et partout nous avons le même temps, c’est horrible et tout le monde dit que c’est la première fois depuis 40 ans. Il me semble qu’il ne fera jamais chaud. A mon avis, ça gèle même sur l’équateur.
Demain, c’est Noël chez les Français. Il faudrait d’une certaine manière marquer cette journée. Bien sûr, ce n’est pas notre Noël, mais il faut le faire par respect pour les Français : c’est tout de même le seul État qui a accepté de nous accueillir. Aucun gredin d’Anglais, de voisin roumain n’a laissé les Russes entrer sur leur territoire. Pour le moment, les Français sont admirables envers nous. Chaque jour ils nous approvisionnent de produits divers et variés, ils sont très aimables et prévenants, ils sont très aimables, c’est super ! Ils nous ont fait parvenir une grande quantité de thé, ayant décidé que les Russes aiment le thé, mais c’est adorable de leur part. Mais le fait que nous soyons bloqués en quarantaine – c’est une nécessité. Mais que c’est dur. Le bateau mouille tout près de la berge ! On distingue quelques plantes, entourées d’enclos verts de cactus, il pousse des palmiers, et lorsque nous pénétrions dans la rade, j’ai aperçu une longue allée bordée de palmiers. Ça donne l’impression qu’ils sont dans des pots. La vue de loin n’est pas du tout africaine, je dirai même que c’est comme en Russie centrale : des collines, des poutres, ???? des bosquets verts, des clairières, tout est vert, c’est le printemps. C’est tellement tentant, nous avons envie de rejoindre la terre ferme, ça fait déjà 42 jours que je n’ai mis le pied sur la terre ferme, j’ai simplement envie de sentir mon pied sur la terre, j’ai envie de marcher, marcher, marcher. La terre me manque énormément. Mais rien. 
13/26 décembre 1920. Dimanche
Aujourd’hui, j’ai perdu tout mon courage, je me suis énervée, j’ai pleuré plusieurs fois. Je cherchais la solitude. Les gens m’ennuyaient tellement. J’ai tellement envie d’être seule avec moi-même pour penser à moi. Mon âme est triste. Voilà bien longtemps que je n’ai connu le plaisir de la prière. Mais ici, au milieu de toutes ces médisances, dans cette saleté, en permanence en vue de tout le monde, je suis incapable de prier. J’ai le diable en moi. C’est un sentiment de tourment. Je ne puis rester assise sur le pont : je suis énervée par cette foule bruyante et vivante ; et toutes ces maquillées, nerveuses ou coquettes. Dans la cabine, pas facile non plus de réfléchir. Si nous restons en quarantaine encore un mois, nous finirons tous par nous battre. Oh, plus vite la terre ferme, rester seule pendant au moins une heure !
Maintenant c’est le soir. Le temps est magnifique. Nous pouvions aller sans manteau durant la journée. La mer est calme, calme. De derrière le dragueur de mines se lève une grande pleine lune. Tout est calme, c’est magnifique ! Le cuirassé « La France » nous éclaire avec son projecteur : soit en dirigeant son flux sur la côte, soit sur les navires russes qui sont arrivés. Que surveille-t-il ? Auraient-ils peur que quelqu’un se jette du navire à l’eau ? A moins qu’ils n’observent ce que font les Russes chez eux ? Et c’est une image bien triste que montre notre navire : sur le plage arrière – les romans, sur la plage avant – la saoulerie [15], dans les cabines – « l’enregistrement des exilés » [16]. 
14/27 décembre 1920. Lundi
Oui, beaucoup de choses se sont passées depuis que j’ai commencé à écrire dans ce cahier. Maintenant je suis loin, loin de l’Europe, de la Russie, du Corps de Marine ???, sous les rayons brûlants du soleil d’Afrique. Oui, bien sûr, encore sous le drapeau jaune. Beaucoup de choses ont été surmontées, beaucoup de choses ont été réfléchies. Devant – rien n’est clair. Maintenant, nous sommes loin des bolcheviks, loin de la guerre, mais l’âme reste amère, un sentiment de frustration. Nos vaisseaux entrent les uns après les autres, ils se rendent tout seuls entre les mains des Français. L’humeur est bonne et calme, mais quand irons-nous à terre ? Je suis encore vaillante, je peux encore supporter beaucoup, juste de temps en temps, un coup de cafard. Mais ça passe, j’ai appris à me dominer. Absence totale de toutes pensées et conscience. J’en ai assez, tout le monde geint autour de moi. Dans l’ensemble, les journées sont tristes et paraissent interminables. 
15/28 décembre 1920. Mardi
[…] Aujourd’hui est arrivé le « Alexéev ». L’accueil a été triomphal. Il naviguait fièrement (nous étions sûres que le « Ilya Mourometz » allait le remorquer) ; mais il a dû amasser toutes ses forces, toutes ses vapeurs, pour ne pas être ridicule devant les Français. En cours de route, il a touché un dragueur de mines français, l’abîmant un peu, et est entré dans la lagune. Maintenant, nous devons attendre Kedrov qui arrive sur le « Kornilov » [17]. Alors seulement, notre situation va s’éclaircir. 
17/30 décembre 1920. Jeudi
Nous serons débarqués
Je passerai la neuvième vague ! [18]
Bientôt sur la terre, la terre, la terre. Toutes les dames du « Constantin » changent de navire pour retrouver leurs maris, le Corps va à terre, dans les casernes. Là-bas nous attend une ration française, mais pas un Franc. La caserne, cela veut dire – une vie en communauté, de nouveau nous ne seront pas seuls. Oui, mais que faire ? Pour le moment, je suis très contente ! Avec Vera Pavlovna, nous nous sommes mises d’accord pour nous promener. Marcher, marcher, marcher. Aujourd’hui, quelque quatre généraux du « Constantin » sont partis pour la France, parmi eux Loukomsky [19]. Grâce à Dieu, je ne verrai plus sa figure souriante et satisfaite ! Cette nuit, une vieille s’est jetée par-dessus bord. C’est le commandant qui l’a sauvée. 
18/31 décembre 1920. « Constantin »
Avant de toucher la terre ferme, nous passons encore par le « Yakout » [20]. Pour nous, la caserne n’est pas encore prête. Le Corps va commencer l’installation électrique (il faut savoir qu’il a tout emporté avec lui). Bon, l’électricité – ce n’est rien, ce n’est pas pour cela que l’on nous a envoyées sur le « Yakout ». C’est encore, sans aucun doute, cette quarantaine. Et ce n’est pas tout à fait exact, car il n’y a aucune nouvelle épidémie, là, ce serait plus juste de dire que c’est une quarantaine « politique » : les Français n’ont pas peur du typhus ou de la varicelle, ils ont peur des bolcheviks.
On parle à nouveau de réduction de monde. Là je crois qu’ils exagèrent ! Déjà à Constantinople nombreux sont restés sans embarquer, ici aussi ! On nous a emmenés quelque part en Afrique, pour nous laisser tomber ! On dit aussi que le Corps ne va pas exister longtemps. Ça, je peux encore l’admettre. Aujourd’hui tout est possible. Voilà dans quelle situation inconnue nous nous trouvons – personne ne le sait.
Les Français ont partagé les Russes en quatre catégories :
1)
Qui veut vivre avec ses propres moyens dans les villes d’Europe, qui a de l’argent et un passeport.
2)
Ceux qui veulent vivre avec leurs moyens propres à Bizerte.
3)
Ceux qui ne peuvent pas vivre avec leurs propres moyens.
4)
Ceux qui souhaitent retourner chez les soviets.
Moi je suis sûre que la quatrième catégorie sera la plus nombreuse. Nous tous, finalement, retournerons chez les soviets. C’est comme ça. 
19 décembre/1er janvier 1921. Samedi
Bonne année africaine, avec un nouveau bonheur ou malheur – je ne sais plus. Que peut-on souhaiter pour cette année ? Retourner en Russie, seulement pas chez les soviets ! Nous avons fêté le nouvel an de façon originale : il n’y avait pas d’hommes, d’ailleurs ils dormaient. Nous, nous buvions du vin, enfin ce qui en restait ; de façon très originale, d’une seule tasse en trinquant contre les lits, tout le monde s’était déshabillé et s’était couché sous les couvertures. Ensuite, nous accueillions les visiteurs, les maris du « Alexéev » et les rats, on faisait beaucoup les imbéciles. Tout de même, nous avons une bonne compagnie dans la cabine. Ce qui est important, c’est que tout le monde est simple.
Quelle ironie du sort, nous avons fui le communisme, et nous-mêmes nous vivons selon les principes du communisme : tous égaux, tous sur la couchette, personne n’a d’argent, tout appartient à l’Etat, tout est commun, n’est-ce pas la commune ? Tout se passe bêtement dans ce monde.
Et chez les soviets, quelque chose ne va pas. A Moscou, il y a eu un soulèvement. Les soviets commencent à se disputer, finalement ils vont finir par se battre entre eux. Mais tout le monde est d’accord que, si un jour il y a un changement, ce ne sera pas avant le mois de mai. Tout le monde est d’accord pour attendre mai. Mai et Juin sont de très beaux mois, tous les bons événements se passent justement pendant cette période, tous les mauvais, obligatoirement en Novembre.
Je ne me rends absolument pas compte que je me trouve à l’étranger. Je ne peux même pas imaginer que je suis quelque part en Afrique, sur un navire et tout ce voyage depuis Sébastopol me paraît être un rêve. Je vois la mer, calme, beaucoup de petites lumières sur les navires, les lumières vertes des phares se reflètent en une longue ligne verte dans l’eau : on dirait comme des étoiles sur un sapin de Noël avec des cheveux d’ange brillants. J’ai du mal à croire, que je vois ça en réalité. Il me semble que c’est, soit un film, soit un rêve. La nuit est chaude-chaude, pas besoin de manteau pour la promenade sur le pont. La berge est belle sous l’éclairage du projecteur, elle est fantastique et tellement belle. Il faut bien savoir que je ne me représentais pas l’Afrique comme ça. Je ne pouvais me la représenter autrement que ce que nous voyions sur la carte. Le seul mot « Afrique » me faisait peur : il me semblait que là ne vivaient que des sauvages, des lions et des crocodiles. Je me représentais Bizerte ainsi : du sable fin, des dromadaires, des palmiers et des singes dans les palmiers. En réalité, c’est une ville européenne culturelle. L’ensemble de la nature est composé de palmiers, de cactus, je n’ai pas encore compris pour les autres plantes. Mais si l’on réfléchit bien, c’est extraordinaire d’effectuer un tel voyage sans débourser le moindre kopeck !
J’aime beaucoup comment se comporte Kedrov. Quand les Français exigèrent que toutes les familles de marins soient placées dans un camp, auquel les hommes n’auraient pas accès, il répondit à l’amiral français : « je suis célibataire, je me considère comme n’aimant pas les femmes, mais je remarque que vous portez une alliance. Alors imaginez que votre épouse soit placée dans un camp sans que vous puissiez la rencontrer, vous seriez d’accord ? » « Oh non ! » (En français dans le texte) « De la même façon, je ne suis pas d’accord ». Ainsi toutes les femmes sont revenues là où elles étaient. 
20 décembre/2 janvier 1921. Dimanche. « Le Constantin »
Ce matin, nous avons eu la visite du père Spassky [21] pour célébrer un office. Justement ce jour, nous étions de corvée de pommes de terre avec maman. Maman s’est rapidement sauvée, j’ai travaillé consciencieusement, puis me suis sauvée également, la messe était célébrée sur la plage arrière. L’humeur était bonne ; je crois que tous les présents étaient venus pour prier sincèrement à ce moment. Spassky parlait très bien et franchement. Ensuite, tout était gai, tellement bien pour l’âme. Mais mon humeur prit tout de suite une teinte sombre en apprenant que demain nous déménagions sur le « Cronstadt » [22] ! Tous ceux qui souhaitent retourner à Constantinople embarquent sur le « Constantin », et il va bientôt appareiller ; de plus, le logement à terre n’est visiblement pas encore en état, tout juste aujourd’hui nous sommes allés examiner les casernes. Bon, mais un tel déménagement pour quelques jours n’a rien de réjouissant. Encore ramasser les affaires, ranger, la panique, la bousculade, - le transfert. De plus, nous ne savons pas où nous allons être casées sur le « Cronstadt » ; on nous dit que nous serons dans un poste d’équipage, voire dans la cale, rien de réjouissant. Bref, cette nouvelle m’a complètement écœurée. Puis nous avons appris que le fils de Samoïlova est décédé. Je suis très triste pour elle. Je n’ai jamais éprouvé de vraie sympathie pour elle, plutôt le contraire ; mais quand on y pense, c’est horrible – après toutes ces souffrances, toutes ces conditions épouvantables durant lesquelles est apparue cette horrible humeur générale, - est né un fils qui est mort au bout de quelques jours.
J’ai décidé, aujourd’hui, de me consacrer à mon poème « Le vécu » mais je ne vais pas y arriver et ça m’énerve ; en même temps ça me met en colère. Oh, si seulement nous pouvions descendre sur la terre ferme, vivre à la belle étoile, mais sur terre ! 
24 décembre/6 janvier 1921. Jeudi. « Le Cronstadt »
Hier, nous avons déménagé sur le « Cronstadt ». Nous nous sommes installées dans l’atelier, parmi les machines. A notre droite, les machines sont en fonctionnement, les roues tournent, un vacarme épouvantable ; au-dessus de nous, des wagonnets en mouvement, du bruit, des sifflets comme si nous étions dans une quelconque usine. Et revoilà la dame avec son miroir. Tout est irréel. Je ne me suis jamais trouvée dans une telle situation. 
25 décembre/7 janvier 1921. Vendredi
L’année dernière, j’ai passé Noël dans un wagon, maintenant sur un navire. Mais ce jour est extraordinaire. Ce matin, j’ai pu me confesser puis j’ai communié. L’office était magnifique, solennel, l’église est très agréable ici, l’humeur est bonne et joyeuse. Hier, on a distribué aux adultes du gâteau sucré et des petits gâteaux, les enfants ont eu un pot de confiture. Aujourd’hui, on nous a servi de la soupe avec du gâteau, qui doit-on remercier pour ça ? Qui a eu l’idée – de mettre de la couleur sur notre vie le jour de cette grande fête !? En mémoire de cette belle journée, maman m’a promis de m’offrir, dès que l’occasion se présentera, une chaîne en or pour ma croix. 
26 décembre/8 janvier 1921. Samedi
Hier soir, il y avait un « sapin de Noël » pour les enfants, pas un sapin, mais un arbre quelconque avec des feuilles étroites. Il était décoré de guirlandes en papier, d’objets en carton, de jouets etc. Même qu’ils y ont installé des ampoules électriques. Le « sapin » était dressé sur le pont. Je peux dire que c’était pompeux et joli. Si seulement la verdure était un peu plus sombre, ça aurait été mieux. Les petits se sont bien amusés hier – le Père Noël nous a rendu visite, a distribué des cadeaux, des sucreries etc. Après le déjeuner, je me suis mise dans un coin et j’ai pleuré. Je me suis endormie. Je me suis réveillée et j’ai recommencé à pleurer. N.N. Alexandrov [23] est revenu, c’est lui qui visité les bâtiments, et nous a annoncé que nous serons logés dans des endroits différents. Nous serons quelque part dans une caserne sur une colline. Les Nassonoff ailleurs et ça m’attriste. Les Vorobiev ne seront pas avec nous non plus et ça me met en colère. J’aime beaucoup Lialia et il me semble que nous nous serions parfaitement entendues. Que c’est triste.
Tard le soir, je suis montée sur le pont. La nuit était calme. Tout était désert, quelques enfants jouaient encore autour du sapin. Quelques sons de valse parvenaient du « Kornilov ». La fête bruyante se calmait. Quelques cris aigus d’enfants nous parvenaient, bruit, éclatements de pétards, des éclats de rire, mais de plus en plus doucement. Les adultes s’amusaient sur un pont supérieur. Musique, danses et, certainement des flirts. Je contemplais l’eau, longtemps ; tout à coup, j’ai eu envie de plonger, de faire quelque chose d’insensé, de fou ; je ne sais pas ce qui m’a retenue ; sans doute la peur de ce noir sans fond. 
Avant d’accéder aux casernes, nous avons passé une journée entière en désinfection. Les Arabes nous lavent, quant aux hommes on leur rase tout – les cheveux et même la barbe, les femmes sont traitées avec plus d’indulgence, on leur laisse les cheveux, seulement on y passe un produit épouvantable. Quand Loukomsky est parti pour Paris, il a été aussi désinfecté. Il s’est indigné, mais les Français lui ont déclaré que pour eux il n’y avait aucun général, tous étaient égaux, sinon ils ne le laissaient pas sortir d’ici, ainsi ils lui ont retiré toute sa grandeur. Sa femme fut autorisée à se laver la tête elle-même, mais ils ont trouvé deux insectes, du coup ils ont décidé que les Russes ne savaient pas se laver et ils lui ont relavé la tête eux-mêmes. 
27 décembre/9 janvier 1921. Dimanche
La messe était dite par Spassky. Son sermon était comme toujours sur le même thème : la patience. Ensuite, il nous a donné la bénédiction avec une petite croix en bronze. Maintenant, je vais retourner à l’église. C’est le seul coin où l’on se sent bien. Et puis il y a un magnifique ténor dans la chorale, un vrai plaisir. Ils chantent merveilleusement : « Dieu, en Ton nom sauve- moi ! » - le ténor chante en solo. Simplement magnifique ! Je l’écouterais tout le temps !
L’humeur est mauvaise. Chez les autres, ça va à peu près, mais l’humeur des autres se reflète sur moi. Petite maman est malade, elle s’énerve tout le temps, papa-Kolia aussi, et que je le veuille ou non, je commence à me mettre en colère. Je me rends compte que je devrais me taire, mais je ne peux pas. Ah, si petite maman voyait tout autrement, plus simplement, tout serait plus gai. Comme Vera Pavlovna. Un peu plus de blagues, de rires ; qu’est-ce que ça serait mieux ! Mais là je suis sans forces. Ce n’est pas à moi de créer l’humeur de la famille, hélas ce n’est pas à moi ! À mon avis, être tout le temps dans cet état, lorsque l’âme souffre, le mieux est de chercher une consolation ; si on est en compagnie – alors c’est un peu plus joyeux, alors que si l’on est seule nous sommes dans un rêve, à deux c’est une discussion franche. C’est criminel de faire la tête et se plaindre en permanence, si tu as le cafard, cela ne veut pas dire que tout le monde a le cafard. Le cafard, le découragement – c’est une maladie, contaminer les autres – c’est un crime. Actuellement, il m’est impossible de me distraire : je n’ai aucune compagnie, pas d’ami non plus. La seule chose qui me reste de bien – c’est le sommeil ; mais les moments les plus succulents sont le soir et la nuit. C’est trop dur quand tout le monde autour se lamente. J’observe la vie, comme j’observerais un joli livre : tout ce que je dois supporter maintenant, il me semble que je le lis dans un livre avec beaucoup d’intérêt et d’application. Je n’existe pas dans cette vie, il n’existe qu’une quelconque héroïne dans un quelconque récit. Il est intéressant de lire dans un livre de la joie, de la tristesse, la vie n’est-elle pas intéressante, ne voulons-nous pas savoir ce qu’il y a plus loin ? Il faut tout supporter ! Je ne me défile pas. Celui qui aura supporté jusqu’à la fin sera sauvé ! 
29 décembre/11 janvier 1921. Mardi
Hier soir, on nous a présenté une pièce « Ivanov Pavel » [25]. Il y avait un orchestre, la scène a été montée sur le pont. Le public s’était installé sur 4 rangs : sur le pont, et de plus en plus haut jusqu’au poste de signalisation. Après la pièce, il y a eu un divertissement : chants, déclamations, danses, une chorale « Les anciennes gens » et « champion du monde ». Après chaque numéro, un officier sortait de derrière le rideau (réalisé avec des drapeaux de signalisation) pour nous faire un brin de causette, occuper le public et nous faire rire : il est très bien. Et voilà que j’ai une nouvelle sympathie : la première – c’est le ténor, la seconde c’est le baryton, un officier très jeune. Il chantait magnifiquement : « Le temps s’est envolé, la gloire a été vécue ». Il a été rappelé pour un bis. « Le champion du monde », c’est un chauffeur. Il traînait avec sa tête et ses dents d’énormes barres de fer, soulevait librement avec un bras de lourdes roues de wagonnets ; puis il s’est allongé, on lui a déposé sur le torse une enclume pour forger le métal avec de lourdes masses. Diable, il a tout supporté. Mais ce baryton… Sa voix ne me laisse plus en paix. Que peut-il y avoir de plus agréable que la voix ? 
3/16 janvier 1921. Dimanche
J’ai décidé de ne plus écrire de mémoires avant la terre ferme. Toutes ces rumeurs sur la mort de Lénine, sur l’occupation de l’Ukraine, sur tous nos changements, sur la guerre avec les soviets – m’inquiètent énormément. Mais je m’énerve tout le temps, je m’inquiète pour un rien, je ne peux rien entreprendre, sauf une discussion amusante. Iroussia (Irène Nassonoff – IN) me divertissait à l’instant. Vendredi, on doit aller à terre, et là bas, une fois installés, ce sera plus calme, nous n’aurons plus au-dessus de nos têtes toutes ces agitations et tout cet inconnu, et alors seulement je pourrai reprendre mon travail (l’écriture). Pour l’instant, je reste couchée dans notre « chambre » (entre les machines), les murs sont recouverts des deux côtés par des drapeaux de signalisation, le mur n’est qu’officieux avec « l’appartement » des Nikitine [26] ; du troisième côté, une machine et le bord. On ne peut accéder chez nous que par « l’appartement » des Kouftiny [27]. Ici, dans cet atelier, tous se sont construits des maisonnettes avec des drapeaux et des voiles. Nous sommes tellement serrées que, si nous nous allongeons, par terre il ne restera aucun espace de libre. Et sous le plafond, il y a des roues, des lanières, les parois sont grasses, impossible de s’y appuyer. 
4/17 janvier 1921. Lundi
Aujourd’hui, la soupe est infecte, aucune pomme de terre. Ça s’explique très simplement : hier, j’étais désignée pour éplucher les pommes de terre. Nous avons épluché de midi jusqu’au soir. Mais la pomme de terre était très petite, abîmée et très difficile à éplucher. Puis il a fait très sombre, nous ne voyions plus rien. Nous avons demandé de l’éclairage. Le temps que l’on nous l’installe, nous jetions les pommes de terre par-dessus bord. Ensuite, nous avons travaillé avec la lumière. Il restait un grand tas par terre, une espèce de mélange de petites pommes de terre et d’épluchures. La paresse nous a pris et puis le froid. Nous décidâmes que ça suffisait. Mais où mettre ce qui restait ? Alors une petite fille, fille d’un employé, qui faisait la corvée avec nous, a pris une pelle et a commencé à nettoyer. Tout ce qui restait est passé par-dessus bord. Dans ce monde, ce genre de choses arrive parfois ! 
13/26 janvier 1921. Mercredi. Fort
Le 8 (ancien style) au matin, un remorqueur français s’est approché du « Kronstadt », et nous sommes parties pour l’hôpital. Du remorqueur nous sommes montées dans une voiture, et nous avons roulé dans une allée bordée de palmiers directement vers la désinfection. Des sœurs russes nous ont emmenées dans une pièce, où on nous a fait déshabiller, puis enroulées dans des draps, on nous a mis un produit liquide sur la tête, et à tour de rôle nous sommes allées nous laver. Je marchais dans un couloir enroulée dans un drap, ici aussi circulaient des Français qui me regardaient de façon indifférente : c’est banal pour eux. Le bain était glacial, à peine entrée je suis ressortie comme piquée par un serpent. La sœur m’a encore badigeonnée avec quelque chose, et dans le même registre m’a envoyée dans une pièce voisine. De plus en cours de route, j’ai failli rentrer chez les hommes. On m’a vêtue d’un costume masculin – c’était fantastique ! Ensuite, on nous a envoyées dans une baraque. Là, chacune avait un magnifique lit, moelleux avec des draps d’un blanc de neige, des couvertures chaudes, une assiette, une cuiller et un gobelet. Nous sommes arrivées en retard pour le repas, on nous a préparé des pâtes, spécialement pour nous. Les Français avaient un comportement extraordinaire envers nous et en général, ces trois jours passés dans cet hôpital ont été pour nous des journées de bonheur. Seules ces femmes en pantalons, avec de courtes vestes et des châles blancs sur la tête nous donnaient l’impression d’être dans une maison de fous.
Les hommes n’étaient pas mal non plus : on leur a coupé les cheveux court (Papa-Kolia s’est fait couper les cheveux encore sur le « Kronstadt ») et dans ces vêtement de l’hôpital, ils étaient très drôles. À la grille de l’hôpital, il y avait des gardes, partout c’était entouré de barbelés, mais dans l’ensemble c’était très vaste. La nourriture était bonne : le matin une tasse de café, sans lait, à 12h un déjeuner composé de trois plats : 1 - un peu de soupe, 2 – de la viande ou autre chose, et 3 - des légumes, un peu de tout, mais, dans l’ensemble, c’était nutritif, et le verre de vin. A 5h le dîner, à l’identique plus du pain.
Nous avons été vaccinés contre la varicelle. Dans l’ensemble, la désinfection que nous avons subie n’était que superficielle : toute les « bestioles » sont restées vivantes et en bonne santé. Le 11, nous avons été réveillés et placés dans un train. A Bizerte, nous avons été installés dans des automobiles brinquebalantes et emmenés aux forts. Là, après une attente dans le vent, nous avons attendu la répartition des appartements, ensuite seulement on nous a laissé rejoindre nos baraques. 
18/31 janvier 1921. Lundi
Longtemps, je ne parvenais pas à reprendre mon cahier. Je devais contenir la tempête. Dans mon âme c’était un sentiment d’une énorme injustice, de la colère. Sans doute cela était injuste, mais j’étais trop en colère pour me taire. Je suis en colère contre Wrangel. Toutes ces rumeurs qui circulent, sans doute non fondées mais peut-être réelles. Sa famille est déjà à Paris. Lui est encore à Constantinople, mais il se prépare à rejoindre Paris, où tous ses proches l’attendent. Qui sont ses proches – personne ne le sait, mais y a ce Loukomsky, et cela veut déjà dire quelque chose. Il paraît que Wrangel a tellement de francs, qu’avec une vie de patachon, il pourrait tenir 25 ans. Actuellement, il mène la belle vie à Constantinople, bientôt il va festoyer dans tous les restaurants de Paris. Pourquoi alors avons-nous été évacués ? Pourquoi avons-nous été emmenés quelque part en Afrique ? Tout ça pour nous abandonner, nous laisser mourir sur une litière française ? Ah il est bien ! C’est bien pour lui la belle vie parisienne, et nous, qu’allons-nous devenir, et nos pauvres militaires ? Nous devons crever !? Il aurait sans doute mieux valu que les bolcheviks nous pendent, plutôt que de crever de faim ici. Dans trois mois, les Français vont cesser de nous nourrir ; sans aucun doute, le Corps va être disloqué, et nous serons dispersés aux quatre vents. Encore, je crois que trois mois – c’est un grand délai, de plus notre logement est loin d’être superbe. Malgré le fait que les Français se comportent très bien avec nous, que l’on veuille ou non, nous restons toujours leurs prisonniers. Nous n’avons pas de francs, les rations sont maigres, la situation du Corps est épouvantable. Une seule envie : tout planter et retourner au sanatorium, la même prison ; peut-être y a-t-il un peu plus d’amitié.
Mais ce qui m’écœurait c’était la hiérarchie au Corps, jamais je n’avais vu ça. On entendait uniquement – Capitaine du 1er rang, capitaine du 2e rang, chef de compagnie, etc. Tous en fonction de leur rang militaire ; de plus, les logements sont fonction de ce rang. Tout cela me fâche et me vexe. Depuis que papa-Kolia s’est fait appeler baron, les relations avec lui ont littéralement changé. C’est très caractéristique. Ensuite les chambres : Alexandrov s’est approprié deux belles pièces (pourquoi ?), alors que nous, il nous a logés dans un cachot. La pièce, par elle-même, n’est pas trop mal, sans plafond ni fenêtre, sauf une minuscule au dessus de la porte. Sous le toit, d’immenses fentes (deux verchoks soit près de 8cm) ; si nous fermons la porte, il fait sombre, si nous la laissons ouverte, il fait froid. C’est étroit, mais un enseignant civil peut se contenter de ces conditions. Combien de fois papa-Kolia a transmis des rapports comme quoi nous n’avions plus de chaussures, je marche avec un talon cassé dans des chaussures déchirées et Maman dans des savates géorgiennes – on n’a rien d’autre. Chaque fois, on nous répond : « c’est dans l’ordre courant ». Nous n’avons pas de linge, je ne peux pas me changer, et ces formalistes laissent moisir nos chaussures, jusqu’à ce qu’elles disparaissent complètement. Mais nous sommes déjà des immigrés depuis près de deux ans, ils pourraient faire une exception, mais non, ils ne peuvent pas comprendre. Et que se passera-t-il plus tard ? Jusqu’à quand vont-ils se moquer de nous ? Retourner en Russie – c’est tout ce qu’il nous reste à faire ! Je considère maintenant que notre évacuation était une grosse erreur. Nous pensions revenir en vainqueur mais si c’est dans des siècles, alors c’est autre chose. De toute façon, le fautif c’est Wrangel. Je croyais que ce devait être dur pour lui actuellement. Je le plaignais de toute mon âme, mais s’il s’amuse en bonne compagnie, alors qu’il a mis à mal tellement de vies, alors c’est lâche. Peut- être aussi ce sont des bruits provocateurs, mais… il n’y a pas de fumée sans feu. Si la rumeur existe, ça veut dire que ce n’est pas propre. Non, rien à faire il faut retourner en Russie, ça fait peur, mais de toute façon tôt ou tard, nous y reviendrons chez les soviets. Il est temps ! 
19 janvier/1 février 1921. Mardi
Réveil à 7h, vers 8h café, à 12h déjeuner, à 7h dîner, à 8h la prière, à 9h on se couche. Ainsi est programmée la journée des Gardes-marines de la 3e compagnie, qui vivent ici (dans le campement I.N.), et pas dans le fort. Que nous le voulions ou non, nous sommes obligés de nous soumettre à ces horaires. Nous nous levons à 7 heures. À 8h, papa-Kolia va à la coquerie chercher deux tasses de café avec du sucre. À 12h, déjeuner, soupe à base de shrapnel, ensuite de l’eau bouillante. A 7h, encore du shrapnel et du thé, à 9h, que nous le voulions ou non, nous allons nous coucher. Simplement nous avons faim. Ces soupes sont sans légumes, il n’y a même pas de pomme de terre, juste de l’orge perlée et de l’eau trouble. Le soir, le même shrapnel à base d’eau, parfois des flocons d’avoine. Pas d’autre menu. Nous nous rendons compte que nous sommes en régime militaire, nous sommes gavés avec ce shrapnel. Comment veux-tu t’occuper de quelque chose, quand dans la tête il n’y a qu’une idée : comment faire rentrer et au moins acheter chez les Arabes, des galettes ? En vérité, la situation est pitoyable. Les Cadets font du commerce avec les objets, avec les biens. Il y a du laisser-aller, ils sont devenus voleurs ; en général, il me semble qu’il n’y a plus de Russes honnêtes. Je suis en colère, je crie après tout le monde, pourquoi ? Je n’ai pas de réponse. Mon âme est en colère, elle est vide, elle n’a même plus aucune volonté. Revenir en Russie – est-ce que c’est une volonté ? Je n’ai aucune envie de faire la paix avec les bolcheviks, mais que faire d’autre ? Nous ne pourrons vivre éternellement dans ces conditions. Finalement, s’il y a un bouleversement, autant le subir là-bas, mais pas l’attendre ici en Afrique. Ainsi, je n’ai plus aucune volonté, c.à.d. j’ai très envie d’avoir des chaussures, des vêtements, de bien déjeuner, d’apprendre le français ; j’ai envie d’aller en ville ; j’ai envie qu’il fasse beau temps. Mais cette volonté, pour laquelle je serai prête à donner ma vie, je ne l’ai pas. 
20 janvier/2 février 1921. Mercredi
Oh mon Dieu ! Arrivera-t-il ce jour où nous pourrons être assis dans notre pièce sans manteaux et où la nuit nous n’aurons pas besoin de nous couvrir de fourrures, quand le vent ne va plus ouvrir notre porte et éteindre notre lampe ? Aurai-je un jour de nouvelles chaussures, des bas non troués et au moins deux rechanges de linge ? Aurons-nous enfin une fenêtre ? Aurons-nous un jour du coton ? Aurons-nous un jour des francs ? C’est dur sans eux. Toutes les nuits, Guérassimov [28] rêve de francs, moi je n’y rêve même pas. Vivrons-nous un jour normalement ? À moins que ce ne soit que des songes, comme mes pensées de Simferopol au sujet de Kharkov ? Tout ce à quoi je rêve, tout ce que je veux, ne se réalise jamais. Tout se passe à l’envers. Il vaut mieux ne rien vouloir, ne penser à rien. 
21 janvier/3 février 1921. Jeudi
Toute mon existence à Bizerte se résume à deux buts essentiels : étude de la langue et terminer les cours de la 5éme classe. Et l’un et l’autre sont très difficiles, presque impossibles.

(traduit du russe par I. S. Kourdukoff)
Notes du traducteur
[1] « Nous sommes évacués en France » - le lieu d’évacuation de la flotte de la mer Noire était inconnu aux réfugiés. 
[2] Stocks de la Croix Rouge Américaine – il s’agit des stocks de l’American Red Cross (ARC), qui assuraient une aide humanitaire à la Russie 
[3] Veniamin (Fedtchenkov) (1880-1961), évêque de Sébastopol, vicaire de l’évêché de Tauride. En 1920, il vivait une vie paroissiale au sein de l’armée des Volontaires. Il a étudié à l’Institut théologique de Paris. Prêtre au Corps des marins de Sébastopol. A créé en 1931 la paroisse des Trois-Saints-Docteurs (Patriarcat de Moscou) à Paris. 
[4] Iles des Princes – archipel composé de neuf îles dans la mer de Marmara (appartiennent à la Turquie). 
[5] Toulon, Bizerte, Katarro – villes portuaires de France (Toulon), de la Tunisie (Bizerte), et de Yougoslavie (Katarro). 
[6] Volodia Sigalov – fils des Sigalov, propriétaires de l’appartement dans lequel vivaient les Knorring à Sébastopol en 1920. 
[7] Kedrov, Mikhaïl Alexandrovitch (1878, Epifan – province de Toula – 1945, Paris), contre-amiral. Commandant de la Flotte de la mer Noire en 1920. Responsable de l’évacuation de la Flotte de la mer Noire vers Bizerte (Tunisie). A son arrivée à Bizerte, il est parti pour Paris afin de décider de l’avenir de l’Escadre russe. Président de l’Union de la Marine militaire, Vice- président de l’Union Inter-Armées Russes (UIAR). Professeur de l’Institut Technique Supérieur Russe (ITSR) de Paris, membre du Comité des Vétérans des Officiers de Marine en France. 
[8] Machoukov, Nicolay Nicolaevitch (1889-1968), vice-amiral. Il a terminé l’Ecole de la Marine et l’Académie d’Artillerie Mikhailovskaya. Membre des Forces Armées du Sud de la Russie (FASR) et de l’Armée Russe. Depuis octobre 1920, chef de l’état major de la Flotte de la mer Noire. Décoré de l’ordre de Saint Nicolas. Evacué avec la Flotte sur Bizerte (Tunisie). En 1921, il a rejoint la France, continuait à s’occuper du Corps des Cadets (faisait des achats et expédiait des manuels, des appareils et des objets pour la gymnastique). Professeur à l’ITSR. Président du Tribunal d’honneur de l’Union des Ingénieurs russes diplômés. A participé aux travaux de l’Union de la Marine militaire, a collaboré au journal « Voyennaya Bil » (Légende Militaire). Auteur de souvenirs. 
[9] Wrangel, Piotr Nicolaevitch (1878, Novo-Aleksandrovsk, Lituanie – 1928, Brussels), baron, général d’infanterie. Depuis le 22 mars 1920, il était responsable des Forces armées du Sud de la Russie (FASR). A personnellement contrôlé la construction du bâtiment principal du Corps de Marine à Sébastopol (ouvert en 1919). Emigré en 1920. A fondé en 1924 l’Union Inter-Armées Russe. 
[10] Nassonoff – La famille de Serguey Alexandrovitch Nassonoff (1887-1951, Paris), capitaine en second, ingénieur dans la marine militaire, pédagogue, publiciste, maître de chapelle. En 1920, il a été évacué avec sa famille à Bizerte (Tunisie), a travaillé comme inspecteur des classes au Corps de marine ; a été responsable de l’église Saint-Paul-le-Confesseur (église du Corps de marine) à Bizerte, chef de chœur. Est parti pour la France en 1925. A été collaborateur au journal « Possev » (Le Semis) pendant de nombreuses années. Son épouse Elisavéta Serguéevna, a été pensionnaire du monastère d’Obninsk avant la révolution ; à Bizerte, s’est occupée de l’atelier de couture du Corps de la marine, membre du Comité des Femmes, pianiste, a chanté dans la chorale mixte Sfayat (elle a même dirigé un temps cette chorale). Enfants : Cyrille (1915-1998, Paris) et Irène*(1911-1976, Paris). 
[11] Ivanova, Vera Pavlovna. En 1920 a été évacuée avec son mari à Bizerte. 
[12] Samoïlova – épouse du lieutenant Samoïlov. En 1920 a été évacuée avec son mari à Bizerte. 
[13] Navarin – ville portuaire au sud de la Grèce (côte sud-ouest du Péloponnèse). 
[14] Solodkov, Nicolay Petrovitch (1892, Saint-Pétersbourg – 1964, Zurburg, Allemagne), lieutenant en chef, pédagogue, homme de lettres, pianiste. Membre du FASR et de l’Armée Russe. Depuis 1919, percepteur du régiment des Gardes marines à Sébastopol. En 1920 a été évacué à Bizerte, a servi dans l’escadre russe. A participé à des spectacles d’amateurs en tant qu’accompagnateur. Plus tard, il vécut en Pologne, puis en Allemagne. Auteur des « Récits Marins » (Paris, 1968). Collaborateur du journal « Tchassovoy » (La sentinelle). 
[15] « Ют » (Yout) Plage arrière pour le corps des officiers, « Бак » (Bac) Plage avant, lieu de repos pour les matelots. 
[16] « Enregistrement des émigrés » - ainsi était appelé le travail de la retouche des vêtements – et l’extermination des poux. 
[17] « Kornilov » : Croiseur « Général Kornilov », commandant – capitaine du 1er rang Vladimir Alexéevitch Potaliev (1882-1961, Tunis). 
[18] « Sur cette berge radieuse/est amenée ma barque par la neuvième vague » - Tiré du roman en vers de A. S. Pouchkine « Eugène Onéguine » (paragraphe « les voyages d’Onéguine »). 
[19] Loukomsky, Alexandre Serguéevitch (1868-1939, Neuilly-sur-Seine, France), Général-lieutenant, mémoiriste. En mars 1920, il fut nommé par le Gén. Wrangel représentant du commandant-en-chef auprès du Commandement principal à Constantinople. Dans l’émigration, il a vécu en France. Auteur de souvenirs. 
[20] « Yakout » : Canonnière « Yakout », commandant – capitaine du 1er rang Mikhaïl Alexandrovitch Kititsin (surnommé « Kit », papa Kititsin ») (1885-1960). 
[21] Spasski, Guéorgui Aleksandrovitch (père Georges) (1877, prov. Grodnensk. – 1934, Paris), archiprêtre portant la mitre. A terminé le séminaire de Lituanie et l’académie théologique de Moscou. En 1903, s’est marié avec Julia Constantinovna Zenkovitch (1884 Slonim, prov. Grodensk - 1957). A officié à Vilnius, à Sébastopol. Depuis 1917 (sur invitation du contre-amiral A. V. Koltchak), est devenu le prêtre principal de la Flotte de la mer Noire. Enseignant des lois religieuses auprès du Corps de la Marine. En 1920, il est évacué vers Bizerte avec sa femme Julia Constantinovna et son fils Georges. Responsable religieux de l’Escadre russe. Recteur de l’église Saint-Paul-le-Confesseur à Bizerte. Transféré en France en 1923 à Montargis, puis à la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de Paris (a marié Irina Knorring et Youra Bek Sofiev en 1928). A donné beaucoup de conférences, a participé à la création de l’Institut théologique Saint-Serge à Paris. Après le décès de son mari, J. C. Spassky a pris la tête de la Maison russe à Sèvres, qui porte son nom. 
[22] « Cronstadt » - atelier naviguant « Cronstadt », commandant – capitaine du 1er rang Constantin Vladimirovitch Mordvinkov (1875-1948). 
[23] Alexandrov Nicolay Nicolayevitch (1886-1970, Djordanville, USA), capitaine du 1er rang, pédagogue, physicien, mathématicien. De 1919 à 1920 était inspecteur des classes du Corps de la Marine à Sébastopol. A Bizerte a travaillé comme enseignant et inspecteur des classes. Passé en France en 1922, il habita à Lyon. Depuis 1926 il vivait aux USA où il enseignait la physique. Membre de l’Union des anciens officiers de la marine russe en Amérique. Doyen du séminaire de la saint Trinité. 
[24] Spardek – Léger pont supérieur. 
[25] « Ivanov Pavel » - pièce de V. M. Dorochevitch. 
[26] Les Nikitine – famille du lieutenant en amirauté Nicolas Dmitrievitch Nikitine (1897-1946). 
[27] Les Kouftine – Alexandre Nicolaevitch Kouftine (1874- 1924, Bizerte), colonel, bibliothécaire au Corps de la Marine ; son second fils Eugène (1893-1972, Prague) enseigne de vaisseau, enseignait la physique au Corps de la Marine, avec sa première épouse – Anna Nicolaevna (née Lichine) ( ? – 1944, Riga) et sa fille Tatiana (1917-2001, Riga). 
[28] Guerassimov Alexandre Mikhaiïovitch (1861-1931, Tunis), Vice-amiral. A participé à la guerre Russo-Japonaise. Sous le général Denikine, il fut nommé responsable de la Formation Maritime à Sébastopol. Représentant du Général Wrangel à Batoumi. En 1920 a été évacué à Bizerte. Responsable du Corps de Marine de 1920 à 1925. Membre d’honneur du Corps Militaire de la Marine. Membre du Comité de l’édification du mémorial aux navires russes à Bizerte.

Voir en ligne : Texte en russe sur : http://www.les...