kalinka-machja CERCLE CULTUREL ET HISTORIQUE CORSE-RUSSIE-UKRAINE

"Le problème de l'Ukraine" vu par un diplomate français à la veille de la seconde guerre mondiale.1938.


"Le problème de l'Ukraine" vu par un diplomate français à la veille de la seconde guerre mondiale.1938.

 



https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1938_num_3_6_5690

Martel René. Le problème de l'Ukraine. In: Politique étrangère, n°6 - 1938 - 3ᵉannée. pp. 551-564.

DOI : https://doi.org/10.3406/polit.1938.5690

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Note préliminaire 


 A la veille du second conflit mondial l'Ukraine est ici dépeinte sous un angle mettant en exergue les appétits des deux  puissances  qui à travers les siècles  ont  infléchi  le cours de son histoire, à savoir la Pologne et la Russie.
Un troisième "larron", si l'on ose dire, apparaît à travers la description des ambitions allemandes de l'époque.
- La Russie est présentée  comme une puissance ayant russifié puis "bolchevisé" contre son gré une Ukraine historiquement animée de sentiments nationalistes latents ou déclarés.
- La Pologne est dépeinte comme une puissance ayant longtemps considéré que l'Ukraine était l'un de ses "champs clos",  et ayant du mal à se départir d'une certaine volonté colonisatrice.
- L'Allemagne est suspectée de  se  servir d'aspirations nationales ukrainiennes toujours vivaces pour contenir l'expansion soviétique, mais aussi pour entreprendre une expansion vers l'Est et réaliser son rêve séculaire de Drang nach Osten .
- Of course, pourrions nous dire, la France est pour sa part présentée, dans la continuité de la politique de la monarchie et surtout des desseins napoléoniens, comme une amie prête à s'investir dans une  coopération profitable aux deux nations qui serait en termes actuels qualifiée de politique du "donnant-donnant" ou du  "gagnant-gagnant".

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Précisons, en dehors de cet article, que  la politique de la France à l'égard de l'Ukraine a connu un parcours séculaire marqué par trois étapes principales.
- La première est illustrée par le mariage  d'Anne de Kiev, princesse varègue devenue reine des Francs par son mariage avec Henri Ier, petit-fils du fondateur de la dynastie capétienne, Hugues Capet. (Cf. sur notre site, dans la Rubrique "France Ukraine à travers l'Histoire", l'article intitulé " Anne de Kiev, princesse varègue devenue reine des Francs".

- La seconde a trait aux ambitions napoléoniennes et, pourrait-on dire, à ses manœuvres pour susciter "la création de deux États fantoches Français en Ukraine […] qui isoleraient la Russie de l’Europe et bloqueraient son accès à la mer Noire. Un État aurait été constitué des territoires de Chernihiv gubernia et Poltava gubernia et des terres adjacentes aussi loin au nord qu’Orel, et l’autre, qui aurait été appelé Napoléonide, les territoires de Katerynoslav gubernia,la valléede la rivière Donets, et Tavriia gubernia, y compris la Crimée. *
- La troisième se situe dans les années 1917-1921, qui ont été marquées par  la révolution russe et les différents conflits qui l'ont caractérisée.
(Cf. sur notre site l'article " La politique de la France à l'égard de l'Ukraine.  Mars 1917 - février 1918" . Rubrique : "France-Ukraine à travers l'Histoire".

J.M
 
 
 
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LE PROBLÈME DE L'UKRAINE
 
https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1938_num_3_6_5690




L'Ukraine, problème international témoin

INTRODUCTION

La question d'Ukraine est un problème international témoin. Elle apparaît, en général, quand de profonds remaniements se produisent en Europe, quand un ordre nouveau s'instaure, quand l'équilibre des forces se modifie au centre ou à l'est du continent. Et il en est ainsi depuis trois cents ans.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le grand royaume de Pologne, issu de l'idée jagellonnienne d'un Etat composé de nationalités librement unies en fédération, et instauré par l'Union de Lublin, en 1569, se disloque.

Après les terribles « guerres cosaques », les luttes dirigées contre la Pologne, par Khmelnitzkij, l'Ukraine se sépare de la Pologne et s'allie, en 1654, par le traité de Péréiaslav, à la naissante Moscovie. Ainsi l'Ukraine a porté le coup fatal à la domination polonaise tandis qu'elle contribuait à faire de la Russie une grande puissance européenne, bouleversant ainsi tout le statut de l'Europe orientale.

En 1709 c'est la grande entreprise suédoise de Charles XII, secondé par Mazeppa, cette fois contre la Russie. Pierre le Grand l'emporte, mais l'alerte a été chaude et une victoire des Suédois à Poltava eût changé sans doute le cours de l'histoire, dans l'Europe orientale tout au moins.

1812. Napoléon Ier, reprenant à son compte, dans des plans grandioses, la politique de Choiseul, de Vergennes, des bureaux de la monarchie française, fait une place de choix à la question d'Ukraine.[...] Nous retrouverons alors les principes français de l'équilibre des forces, de la diversion, énoncés par les ministres de Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, repris par la Révolution, étudiés, mis au point dans des anticipations hardies par la diplomatie impériale, coordonnés par le comte d'Hauterive qui ne craignait pas de songer à un futur État cosaque allié et vassal de la France, la Napoléonide...

1918. La question d'Ukraine posée dès 1917 ne trouvera pas sa solution dans les traités de paix. Elle provoquera un vaste conflit, en 1920, entre les Soviets et la Pologne, guerre gagnée de justesse, grâce à l'intervention française, et sous les murs de Varsovie. Le traité de Riga, en 1921, établissait une solution d'attente plutôt qu'un règlement définitif.
Nous le constatons aujourd'hui. La guerre mondiale a pris fin sans que l'Europe orientale ait trouvé son équilibre. Elle l'a cherché, douloureusement, les armes à la main, pendant trois années de luttes confuses et sanglantes. Elle ne l'a pas encore atteint. Aux heures troubles et si incertaines que nous vivons, nous sentons tous que des changements profonds se préparent.
La poussée allemande vers l'Est a pris, nous dit-on, pour objectif final l'Ukraine et ses richesses. Nous apprenons, à l'heure même où ces lignes s'écrivent qu'un rapprochement inattendu vient de s'esquisser entre la Pologne et l'Union Soviétique. Inattendu ? Certes, mais combien explicable si l'on songe aux actuels aspects du problème ukrainien dans le cadre international, aux événements de ces dernières semaines, au regroupement des forces dont le dynamisme s'emploie à frayer de nouveaux chemins à une expansion économique et industrielle contrainte, par sa puissance même, à chercher sans cesse d'autres marchés, à livrer, sans trêve ni répit, cette bataille des matières premières, formule moderne de la lutte entre les nations, et dont le problème ukrainien, du point de vue allemand, n'est qu'un des multiples aspects.
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