MOLDAVIE 1940. Chronique des déportations.




Les déportations organisées par les Soviétiques sur le territoire de la Bessarabie en 1940 ( "géré" à l'époque par la Roumanie)  sont un épisode peu connu de l'histoire moldave.
- Le site
moldavie.fr propose un récit de ces déportations.
- Une  version  différente de l'occupation de la Bessarabie par l'URSS en 1940, dans la foulée des accords germano-soviétiques, est donnée par le site  Russia Beyond.
- Pour sa part, un troisième site "insère" le tragique épisode de la déportation dans une vision peu complaisante de la Roumanie. Cf: 
https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/romania    
JM

 
 I.

https://www.moldavie.fr/Les-deportations-des-Moldaves-ou-Pour-le-fait-d-etre.html
 
Après la chute du monstre soviétique, le peuple moldave, partie du peuple roumain, qui a été lâchement arraché à la Roumanie le 28 juin 1940, se réveille avec une histoire parsemée de « meurtrissures ». Ces meurtrissures fatales subies pendant des décennies par les Moldaves sont autant de faits tragiques à connaître.
Et ces faits sont : les premières déportations vers la Sibérie, la collectivisation de l’agriculture, l’invention de la classe sociale des "koulaks" et ses conséquences, la famine des années 1946-1947, les nouvelles déportations, l’injustice, la dénationalisation, le vol de l’alphabet et de la langue, la guerre en Afghanistan et la guerre sur le Nistru.
 
 
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Certains de ces sujets ont déjà été abordés, pas assez élucidés, mais nous les connaissons. Ici, je veux parler d’un sujet, que peu de monde connaît- les déportations du 28 juin 1940, quand l’Armée Rouge a occupé le territoire de l’est du Prout (l’actuelle République de Moldavie plus deux départements : l’un à l’extrémité Nord (Cernauti) et l’autre au Sud (Cetatea Alba) qui restent attachés à l’Ukraine depuis cette date-là.
Par un ultimatum, l’administration du Kremlin a demandé à la Roumanie de retirer son armée de ce territoire, ce que la Roumanie a fait. Le même jour, l’Armée Rouge, qui se trouvait déjà sur place, a occupé le territoire et planté le poteau marquant la frontière sur le Prout, avec l’inscription « CCCP » (URSS).
Toute la population qui devait se déplacer ne pouvait plus le faire. Plusieurs « d’ici » avaient quelqu’un « là-bas » et vice-versa. La population donc a été surprise par cet événement ; elle était décontenancée, les gens ne savaient pas quoi faire. Certains ont réussi à traverser le Prout sans danger, des autres n’ont pas eu une telle chance. Là où il y avait déjà des postes russes, on était arrêté et embarqué le même jour ou le lendemain dans des trains à destination de Sibérie, en qualité d’ « ennemis du peuple ».
Et pour vous rendre compte comment cela se passait, je veux vous raconter ce qui s’est passé avec mon père - Dumitru Bagrin (08.01.1913-10.01.1990) qui était âgé de 27 ans à l’époque et habitait un village pas très loin de la future frontière.
 
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Ce jour là, le 28 juin 1940, comme militaire en réserve, mon père se trouvait dans ce qui est aujourd’hui la Roumanie, pour des exercices militaires. Et comme après cette néfaste journée son domicile ne se trouvait plus en Roumanie, des supérieurs lui ont demandé s’il voulait rester vivre en Roumanie ou s’il voulait retrouver son village natal. Il a décidé de rentrer, mais il fallait le faire tout de suite. Accompagné par son ami, qui était originaire du même village, ils sont partis, portant une uniforme militaire, vers la Moldavie. Et comme ils se déplaçaient à pied, dans un village à proximité du Prout, il leur fut conseillé de quitter l’uniforme et de se mettre en civil, pour de ne pas être suspecté par les nouveaux gardes - frontières.
Mais, hélas, même s’ils étaient en civil, ils devaient traverser le pont sur le Prout entre Falciu (Roumanie) et Tiganca ( Moldavie) qui était surveillé par les Russes. Ni les uns, ni les autres ne parlaient pas la langue de l’autre, et Dieu seul sait ce que les gardes ont dit à mon père et à son ami, mais ils ont été embarqués dans un train et emmenés à Tambov (en Russie) où ils ont passé leur jeunesse comme « prisonniers de guerre »…Quelle guerre ?.. La guerre pour nous, les Moldaves, a commencé le 22 juin 1941, un an plus tard… Ils avaient été déportés simplement parce qu’ils étaient Roumains. Mon père a passé 4 ans à Tambov et après il est rentré en Moldavie, mais certains ne sont jamais rentrés.

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Ainsi, les déportations des Moldaves ont commencé bien avant 1949, le 28 juin 1940. Combien y a-t-il eu de déportés ? Et qui furent-ils ? On ne le sait pas. Mais on sait que le 28 juin 1940 a marqué le début d’une grande tragédie pour les Roumains de l’est du Prout.
 
Article par Valentina Bagrin


 

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 II.

UNE AUTRE VERSION DE L'ANNEXION DE LA BESSARABIE
 
https://fr.rbth.com/histoire/86284-allies-allemagne-nazie-hitler-front-est-contre-urss-seconde-guerre-mondiale
 
Extraits
 

En 1918, la Roumanie a profité du chaos de la guerre civile russe pour annexer la Bessarabie , qui faisait partie de l'Empire russe depuis 1812. Moscou n'a jamais oublié cette perte et, en 1940, faisant pression sur Bucarest avec le consentement tacite de Berlin, il l'a récupérée. Dans le même temps, avec l'aide des Allemands, de vastes étendues de terres roumaines ont été cédées aux demandeurs qu’étaient la Hongrie et la Bulgarie.

Ayant perdu jusqu'à 40% de ses territoires, la « Grande Roumanie » a cessé d'être « Grande » du jour au lendemain. Le Troisième Reich, qui a joué un rôle clé à cet égard, a immédiatement attiré dans son camp ce pays affaibli et choqué (auparavant orienté vers ses alliés occidentaux). En échange de leur participation à la guerre qui s'annonçait contre l'URSS, les Roumains se sont vu promettre non seulement la restitution de leur Bessarabie perdue (ainsi que de la Bucovine du Nord cédée à l'Union soviétique), mais aussi l'annexion d'une partie considérable de l'Ukraine soviétique.     

 
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 III.
 
 
  A PROPOS DE LA ROUMANIE
Les traités signés après la Première Guerre mondiale conférèrent à la Roumanie un territoire et une population plus que doublés par rapport à l’avant-guerre. Le recensement effectué en Roumanie en 1930 faisait état de 728 115 personnes se définissant comme juives, soit environ 4% de la population.
Traditionnellement, la Roumanie entretenait d’étroites relations avec la France, mais, dans les années 1930, (sous le règne de Carol II), elle tenta de demeurer neutre. Lors de la défaite de la France en juin 1940, l’Allemagne nazie soutint les prétentions révisionnistes de l’Union soviétique, de la Hongrie et de la Bulgarie à propos du territoire roumain. L’Union soviétique réclama la Bessarabie et le nord de la Bucovine qu’elle obtint le 28 juin 1940. Le 30 août 1940, en vertu d’un arbitrage allemand et italien, la Roumanie fut contrainte de céder le nord de la Transylvanie à la Hongrie dans un soi-disant second pacte de Vienne. En septembre, la Roumanie céda le sud de la Dobroudja à la Bulgarie.
Avant même que la Roumanie ne tombe dans la sphère d’influence de l’Allemagne nazie, les autorités roumaines menaient une politique antisémite acharnée, en particulier à l’encontre des Juifs vivant dans les régions limitrophes orientales, associés à tort au communisme soviétique, ainsi qu'à l'encontre de ceux de Transylvanie, identifiés avec l’ancien régime hongrois. Des mouvements révolutionnaires sociaux de droite, dont le plus important était la Garde de fer fasciste, bénéficiaient d'un soutien populaire considérable et jouissaient d'une certaine sympathie officielle lorsqu'ils demandaient que les Juifs de Roumanie soient chassés de prétendus postes d’influence, puis expulsés du pays. Par contre, leur appel à une révolution sociale contre l’establishment politique et économique, ainsi que leur recours à la protestation violente, suscita une forte hostilité de la part des autorités en place. En 1938-1939, la police roumaine et la Garde de fer s'affrontèrent dans un état de quasi-guerre civile terroriste.

"L’ÉTAT LÉGIONNAIRE NATIONAL", 1940-1941

En septembre 1940, le roi Carol II fut contraint d’abdiquer après la cession du nord de la Transylvanie à la Hongrie. Un gouvernement de coalition constitué d’officiers d’extrême- droite, sous la direction du général Ion Antonescu et de représentants de la Garde de fer, arriva au pouvoir et demanda l’envoi d’une mission militaire allemande en Roumanie. Le 20 novembre 1940, la Roumanie rejoignait officiellement les puissances de l’Axe.
L’"Etat légionnaire national" créé par Antonescu et la Garde de fer, promulgua rapidement un certain nombre de mesures à l’encontre des Juifs. Les voyous de la Garde de fer dévalisèrent en outre arbitrairement les entreprises appartenant à des Juifs ou s’en emparèrent. Ils agressèrent, et parfois assassinèrent, des citoyens juifs dans les rues. Les confiscations et la corruption régnante menacèrent d’ébranler l’économie roumaine et conduisirent à des tensions avec Antonescu et l’armée roumaine. La Garde de fer se souleva contre le régime le 21 janvier 1941. Au cours d’une guerre civile de trois jours, gagnée par la suite par Antonescu avec le soutien de l’armée allemande, les légionnaires de la Garde de fer fomentèrent un pogrom meurtrier dans la capitale, Bucarest. Le massacre de plusieurs dizaines de civils juifs dans les abattoirs de Bucarest fut particulièrement horrible. Après avoir tué les victimes, les assassins suspendirent les corps à des crochets de boucherie et les mutilèrent au cours d’une odieuse parodie des pratiques d’abattage rituel.

LA ROUMANIE ET LA GUERRE GERMANO-SOVIETIQUE, 1941-1944

Sous la direction d’Antonescu, la Roumanie participa activement à l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne, en juin 1941. Quelques jours après le début des opérations, le 25 juin, les autorités roumaines organisèrent un pogrom contre la population juive de la ville de Iasi, la capitale régionale de la Moldavie. Les policiers roumains assassinèrent des centaines de Juifs dans la cour des bureaux de la police. Plusieurs centaines d’autres furent massacrés dans les rues ou chez eux. Au total, au moins 4 000 Juifs furent assassinés à Iasi durant le pogrom. Plusieurs milliers furent arrêtés, entassés dans des wagons de marchandises et déportés à Calarasi et Podul Iloaei, des villes situées au sud-est d’Iasi. Bon nombre de ces déportés moururent en route, de faim ou de déshydratation.
Après l’invasion de l’Union soviétique, la Roumanie réannexa la Bessarabie et la Bucovine du Nord dont s’étaient emparés les Soviétiques un an plus tôt. Après la conquête de l’Ukraine par les Allemands et les troupes roumaines, en juillet et août 1941, la Roumanie reçut le territoire situé entre le Dniestr et le Bug. Les autorités roumaines y instaurèrent une administration militaire et baptisèrent la région "Transnistrie".
Tant par leur soutien aux unités allemandes de la police et de la SS que de leur propre initiative, les soldats et les gendarmes roumains massacrèrent plusieurs milliers de Juifs en Bessarabie, en Bucovine du Nord et en Transnistrie. Des unités roumaines et allemandes entreprirent l'assassinat systématique des habitants juifs de Kichinev, la capitale de la Bessarabie, peu après avoir occupé la ville en juillet 1941. Les survivants des premiers massacres, environ 11 000 personnes, furent parqués dans un ghetto et astreints à des travaux forcés dans d’effroyables conditions. En octobre, ceux qui avaient survécu furent déportés dans des camps et des ghettos de Transnistrie, comme le furent les Juifs survivants de Bessarabie et de Bucovine du Nord. Des dizaines de milliers de Juifs moururent de froid, de faim ou de maladie au cours des déportations en Transnistrie ou après leur arrivée. D’autres furent assassinés par des unités roumaines ou allemandes, soit en Transnistrie, soit après avoir été transférés de l’autre côté du Bug dans l'Ukraine occupée par l’Allemagne.
Les autorités roumaines créèrent de facto plusieurs ghettos et deux camps de concentration en Transnistrie. Bogdanovka, situé sur la rive occidentale du Bug, où furent internés des milliers de Juifs, fut l’un des plus tristement célèbres. En décembre 1941, les troupes roumaines et leurs auxiliaires ukrainiens massacrèrent la quasi-totalité des Juifs de Bogdanovka ; les meurtres se poursuivirent pendant plus d’une semaine. Les Roumains exterminèrent également les Juifs dans les camps de Domanevka et Akhmetchetkha. Les Juifs ravagés par le typhus furent entassés dans la "colonie" de Moguilev. Durant l’hiver 1941-1942, les autorités roumaines créèrent des camps de concentration à Pechora et Vapniarka, en Transnistrie. Vapniarka était réservé aux prisonniers politiques juifs déportés de Roumanie proprement dite. Sur les milliers d’internés, très peu survécurent.
L’armée soviétique envahit la majeure partie de la Transnistrie au printemps 1944. La Bessarabie fut conquise durant les premières semaines de l’offensive d’été. Tandis que les troupes russes se massaient sur la Prout, une rivière qui sépare la Moldavie de la Bessarabie, un groupe d’hommes politiques de l’opposition, soutenus par le roi Michel, renversa Antonescu et signa un armistice avec l’Union soviétique, le 23 août 1944. Les troupes roumaines combattirent alors aux côtés des troupes soviétiques en Hongrie et en Allemagne.
Entre 1941 et 1944, les autorités allemandes et roumaines assassinèrent ou provoquèrent la mort de 150 à 250 000 Juifs roumains et ukrainiens en Transnistrie. Au moins 270 000 Juifs roumains furent assassinés ou moururent de mauvais traitements pendant la Shoah.
Antonescu et plusieurs autres responsables du régime roumain durant la guerre furent jugés après la guerre. Antonescu fut reconnu coupable et exécuté. La plupart des assassins roumains ne furent cependant jamais traduits en justice.

 
Bessarabie. Déportations de 1940
 

Le premier article ci-dessous, tiré du journal québécois "Le Soleil"  se présente comme un "témoignage vécu" relatif aux déportations de Bessarabie en 1940. 
La plupart des médias occidentaux (ou de certains pays de l’Est 
devenus pro-occidentaux)  voient dans ces déportations staliniennes de Moldavie (alors couramment désignée sous le nom de Bessarabie) la conséquence immédiate du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, encore appelé Pacte Molotov-Ribbentrop, ou  « Traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique ». 
C'est pourquoi n
ous reproduisons aussi un article tiré du « Monde Diplomatique », qui fait une analyse des motivations respectives de l'URSS et de l'Allemagne lors de la signature de ce fameux pacte.



 
 
https://www.lesoleil.com/actualite/politique/ancien-prisonnier-dun-camp-de-travail-boris-vasiliev-denonce-les-mefaits-du-communisme-606f269c070ec1ae2326fc84c4066274
 
PartagerLUC FOURNI
Le Soleil
2 août 2011
Luc FOURNIER


 
Ancien prisonnier d'un camp de travail, Boris Vasiliev  dénonce les méfaits du communisme

 
«Je n'ai pas le droit de mourir tant que je n'ai pas dévoilé les crimes commis par les communistes.» C'est l'objectif que s'est donné Boris Vasiliev, un Moldave qui a pu s'échapper d'un camp de travail communiste dans les années 40. L'auteur de "Staline a volé mon enfance" s'est livré au Soleil.
En Moldavie, M. Vasiliev multiplie les conférences pour dénoncer les méfaits du communisme. Il veut que le monde entier connaisse l'histoire de sa déportation et des cruautés qu'il a vues. De passage à Hamilton, en Ontario, pour livrer une conférence à une communauté roumaine, il tente de partager ce qu'il estime être le premier livre à dénoncer les excès communistes se reposant sur des documents jusque-là gardés secrets.
Il en profite aussi pour visiter son fils et sa famille, qui ont adopté Québec il y a huit ans afin d'assurer l'avenir de leurs enfants. La petite-fille de Boris, Anastasia, une mannequin connue au Québec pour son passage dans la téléréalité Occupation double, traduit la rencontre avec le battant de 79 ans.
Boris Vasiliev est bien déterminé à lever le voile sur ce «génocide qui a fait 60 millions de morts». «Je ne veux pas que ce soit seulement les nazis qui soient vus comme des criminels, mais aussi les communistes.» Les deux situations se comparent, estime-t-il. Il espère encore que les responsables soient punis.
Comme ceux qui dénonçaient les dérapages du communisme ont été pendant longtemps emprisonnés, il a longtemps dû taire son histoire et se fait aujourd'hui un devoir de la faire connaître. Même s'il s'exprime publiquement depuis nombre d'années, c'est depuis 1990 qu'il peut se raconter sans crainte de représailles.
Sa petite-fille Anastasia explique pour sa part qu'à l'époque où elle étudiait en Moldavie, «les écoles ne parlaient jamais des méfaits du communisme. Mais moi, je sais, parce que mon grand-père m'en parle depuis que je suis toute petite. Je sais qu'est-ce qui s'est passé. C'est un grand batailleur, donc moi, je savais», dit-elle, emplie de fierté. Le livre de son grand-père est maintenant étudié dans certaines écoles.
Train vers la Sibérie
L'histoire de Boris Vasiliev l'amena bien malgré lui, à l'âge de neuf ans, dans un train pour la Sibérie. «Mon père avait huit hectares de terre et était identifié comme un homme riche», explique M. Vasiliev. Il était aussi maire de son village et possédait des bêtes dont il ne voulait se départir. Refusant de céder ses avoirs à la communauté, la famille de M. Vasiliev a ainsi été déportée près du cercle polaire, dans des conditions misérables, en juin 1941. Environ 20 % de la population était déportée. Une proportion similaire était tuée. On les compte par centaines de milliers. Son père fit partie du deuxième groupe.
«Les communistes déportaient les gens dans la nuit», explique-t-il en roumain. Pendant le trajet jusque dans les camps du nord, le train conçu pour le transport du bétail s'arrêtait périodiquement pour faire embarquer d'autres déportés, et pour qu'on sorte les corps des gens qui avaient succombé aux conditions difficiles.
En plus d'une alimentation se résumant souvent à quelques bouchées de pain chaque jour, l'homme forcé au travail dès 12 ans a dû vivre dans le froid de la Sibérie sans les vêtements appropriés. Sans connaître la langue, non plus. Les prisonniers étaient vus comme des ennemis de la population locale et la haine envers eux était encouragée.
Boris Vasiliev raconte le jour où deux personnes ont tenté de s'évader. Capturées, elles ont été emmenées au centre d'un groupe de déportés pour être livrés à des chiens affamés, sous les yeux horrifiés de tous. De retour en Moldavie, en 1946, M. Vasiliev retrouva son pays en famine. Des hommes si faibles qu'ils n'avaient pas la force d'enterrer les leurs. Des cas de cannibalisme, même. Un non-sens pour un pays où l'agriculture est importante. Les vivres étaient exportés.
Plus tard, pour parvenir à étudier, Boris Vasiliev a dû cacher son histoire. Dans les années 80, devenu professeur d'éducation physique, c'est au moment où il devait recevoir une distinction qu'il a été découvert. «Quand ils ont découvert qu'il était le fils d'un "ennemi de la population", comme ils les appelaient, il n'a pas été décoré», raconte son fils Veaceslav. Le professeur aura plutôt été démis de ses fonctions.
Pour élaborer son livre, «j'ai ramassé beaucoup de documents sur moi et ma famille, que j'ai volés au KGB», confie-t-il. Une centaine de documents auxquels il a accédé grâce à la complicité d'un membre des services secrets et qu'on retrouve dans son livre. «Le général avait un grand coeur et savait mon histoire. Il voulait qu'à travers moi, le public sache la vérité», explique Boris Vasiliev.
Il a dû cacher les documents pendant cinq ans dans des pots, enfouis sous la terre. Mais la parution de Staline a volé mon enfance, l'an dernier, a libéré M. Vasiliev d'un lourd fardeau. «Le livre, c'est comme une sécurité, pour moi. Maintenant qu'il a été publié et que les gens l'ont lu, si demain je suis tué, ils sauront que c'est le KGB.»
Staline, un «monstre»
«Criminel! Bandit! Un homme sans foi... Un monstre!», s'emballe Boris Vasiliev lorsqu'on lui parle de Joseph Staline, le dictateur qui a dirigé la destinée du Parti communiste de l'Union soviétique. «Tout le monde avait peur de Staline. Même sa famille!»
En plus de la crainte qu'il semait, la propagande communiste aura réussi à en convaincre plus d'un. «Ils m'ont menti assez que je pensais qu'on était la meilleure nation», se désole son fils Veaceslav.
Boris Vasiliev traduit présentement son livre du roumain au russe. Il souhaite aussi sa traduction en anglais et en français. En Moldavie, on le trouve maintenant dans les bibliothèques, et son auteur souhaite que les jeunes le lisent et se dissocient du choix du communisme qu'ont fait leurs grands-parents.

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Dans la même lignée que cet article, un site très documenté offre une large vision des déportations subies par la Moldavie. Faute de reproduire l'intégralité du document nous en donnons les "coordonnées".
Le texte en roumain et une traduction google sont accessibles  :

https://newsmaker.md/ro/nu-se-va-intoarce-nimeni-si-niciodataaici-va-vor-putrezi-oasele-cum-au-fost-deportati-locuitorii-moldovei-sovietice/

 
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https://www.monde-diplomatique.fr/1997/07/GORODETSKY/4861
 
 Juillet 1997, pages 22 et 23
Retour sur la préparation de la seconde guerre mondiale
Les dessous du pacte germano-soviétique

Dans l’entreprise en cours de révision de l’histoire du XXe siècle, qui concerne en particulier le communisme, la question des rapports entre l’Union soviétique et l’Allemagne nazie occupe une place centrale. Pour certains, Staline aurait suivi, dès les années 30, une politique d’alliance, conflictuelle mais déterminée, avec Hitler. A preuve le pacte germano-soviétique, expression, selon eux, d’une stratégie offensive et non défensive. Diffusé en décembre 1996 par France 3, le film « Hitler-Staline : liaisons dangereuses », réalisé par Jean-François Delassus et Thibaut d’Oiron et conseillé par l’historien Stéphane Courtois, défendait cette thèse jusqu’à la caricature. Cette nouvelle cuisine, qui a souvent recours à de vieux ingrédients, n’est pas du goût de tous les chercheurs.
Tard dans la nuit du 23 août 1939, au Kremlin, le commissaire du peuple aux affaires étrangères, Viatcheslav Molotov, et le ministre allemand des affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, signèrent un pacte de non-agression. Les protocoles secrets adoptés au cours de la seconde visite de Joachim von Ribbentrop à Moscou, le 28 septembre, divisèrent l’Europe orientale en sphères d’influence. Il est généralement admis que, en signant le pacte, les Russes ont volontairement scellé le destin de la Pologne et des pays baltes, partageant ainsi la responsabilité du déclenchement de la seconde guerre mondiale.
Certains — comme les promoteurs du film Hitler-Staline : liaisons dangereuses (lire « Falsifications à la télévision ») — partent de l’idée que l’alliance avec les nazis aurait toujours été présente, implicitement, dans les plans de Staline, tandis que la politique de sécurité collective n’était, pour le dictateur, qu’un masque destiné à cacher ses desseins à l’Occident. Le film souligne les prémices idéologiques de la stratégie stalinienne : dès 1927, le secrétaire général du PC soviétique était déterminé à manœuvrer avec les puissances capitalistes pour les entraîner dans une guerre de destruction inter-impérialiste. L’URSS en serait sortie indemne et en position d’étendre son territoire. Et c’est prétendument pour provoquer cette guerre que Staline aurait contribué à l’accession au pouvoir de Hitler en poussant la politique du Komintern et du Parti communiste allemand sur une voie suicidaire.
A la vérité, les sentiments et les sympathies idéologiques pesaient peu sur l’orientation de la politique étrangère de Staline. En dépit de son système despotique de gouvernement, sa stratégie apparaît, avec le recul, comme relativement rationnelle et équilibrée : une Realpolitik dénuée de scrupule. Sa doctrine, qui aurait eu l’aval de Machiavel, avait pour seul objectif la mise en œuvre de sa conception des intérêts de la sécurité nationale de la Russie.
A la recherche d’une aiguille dans une botte de foin, le documentaire évoqué enfle démesurément, par exemple, les négociations sans réelle portée menées par David Kandelaki, chef de la mission commerciale à Berlin en 1937-1938 (1). L’ambassadeur russe à Berlin assurait pourtant à Maxime Litvinov, commissaire aux affaires étrangères jusqu’en mai 1939, que « les rumeurs d’un rapprochement éventuel avec l’Allemagne [étaient] dénuées de fondement ». « Nous n’avons conduit ni ne conduisons aucune négociation avec les Allemands (2) », ajoutait-il. Et rien ne prouve que Staline ait agi dans le dos de son ministre des affaires étrangères. En fait, ces contacts secrets ont été, dans une large mesure, suscités par le lobby allemand — gros industriels et fonctionnaires de la Wilhelmstrasse —, toujours soucieux de ressusciter l’Ostpolitik. Du côté russe, ils constituèrent une pitoyable tentative de contrer les éléments antisoviétiques au ministère allemand des affaires étrangères (3).
Il est plus tentant d’attribuer le changement à la désillusion soviétique à l’égard de l’Occident après la conférence de Munich, en septembre 1938. L’exclusion de l’URSS de cette conférence et la liberté d’action donnée à l’Allemagne en Tchécoslovaquie étaient de nature à confirmer le sérieux soupçon soviétique selon lequel Neville Chamberlain et Edouard Daladier étaient déterminés à détourner le danger allemand en encourageant Hitler à une expansion à l’est. Mais cette interprétation ne prend pas en compte un fait : en dépit du coup sévère porté à la politique de sécurité collective, Staline ne considérait pas Munich comme irréversible. De plus, il n’avait pas d’autre réponse, alors que Hitler, lui, pouvait miser sur une soumission accentuée de l’Occident. Même le fameux avertissement lancé aux démocraties occidentales en mars 1939 — selon lequel l’URSS n’avait aucune intention de « tirer les marrons du feu » pour leur compte — ne marqua pas un changement de position soviétique. Une analyse superficielle du texte complet de ce discours suffirait à montrer que Staline rejetait l’idée de Lénine de la guerre révolutionnaire et craignait qu’une guerre mondiale ne constituât une menace pour la Russie.
Ce sont en fait les garanties unilatérales données par la Grande-Bretagne à la Pologne, le 31 mars 1939, qui ouvrirent la voie au pacte Ribbentrop-Molotov et au déclenchement de la seconde guerre mondiale (4). Il s’agissait d’une réaction émotionnelle et spontanée à l’humiliation que Hitler infligea à Chamberlain en s’emparant de Prague, le 15 mars 1939. Paradoxalement, en garantissant la sécurité de la Pologne, Londres provoqua l’Allemagne et perdit la position, qu’elle détenait jusque-là, de pivot de l’équilibre des forces en Europe. Ces garanties offertes à Varsovie pouvaient avoir deux conséquences. Soit elles avaient un effet dissuasif, et Hitler devait revenir à la table de négociations. Soit, s’il maintenait ses revendications territoriales sur la Pologne, et pour respecter l’axiome militaire découlant des leçons des guerres précédentes — la nécessité d’éviter une guerre sur deux fronts —, le chancelier devait impérativement neutraliser l’Union soviétique.
Du coup, une option allemande, jusqu’ici inexistante, s’ouvrait à Moscou. Inversement, lorsque Chamberlain commença à comprendre que le chemin vers un second Munich était incertain et que le déclenchement de la guerre demeurait une possibilité réelle, il dut, à contrecœur, s’assurer, au moins en apparence, de l’engagement — vital pour l’application des garanties — de l’armée soviétique. Ainsi, c’est l’Union soviétique qui devint, sans l’avoir voulu, le pivot de l’équilibre des forces en Europe.
Surfant sur la vague de notre mémoire collective hésitante, certains historiens révisionnistes ne présentent ce pacte inattendu que sous sa nature perfide. Or les mythes du coup de poignard dans le dos et du plan prémédité ont été construits autour de lectures simplistes des événements ayant conduit au pacte. Conformes au modèle totalitaire dominant dans les années 50, ces visions cherchèrent à établir l’existence d’une communauté d’intérêts et d’affinités politiques entre les régimes nazi et communiste, tous deux menaçant gravement la démocratie et la civilisation occidentale.
En réalité, le Foreign Office reconnut, dès avril 1939, les conséquences logiques des garanties britanniques. L’ambassadeur de Sa Majesté à Moscou, Sir William Seeds, par exemple, leur reprocha d’avoir suscité chez Staline la tentation, tout à fait compréhensible dans les circonstances nouvelles, de « se tenir à l’écart et, en cas de guerre, de limiter son soutien au commerce fructueux de matériels aux victimes de l’agression ». Et d’anticiper l’accord de l’Allemagne et de la Russie sur l’avenir des Etats baltes et de la Bessarabie. A l’instar du sous-secrétaire d’Etat français aux affaires étrangères, Vansittart, qui admit à contrecoeur : « Maintenant que le gouvernement de Sa Majesté a donné ses garanties, le gouvernement soviétique va s’asseoir et se laver les mains de toute cette affaire (5). »
Dès ce moment, face à l’attitude de Londres, Staline aurait donc pu théoriquement se compromettre avec les Allemands. Mais il ne faut pas perdre de vue que la constante de la politique étrangère soviétique pendant l’entre-deux-guerres plonge ses racines dans l’intervention militaire alliée en Russie en 1920-1921. D’où une profonde méfiance à l’égard de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, qui pourraient faire bloc et lancer une croisade contre la Russie communiste.
Depuis le 31 mars, Staline faisait face à un grave dilemme qui n’avait pas grand-chose à voir avec ses penchants idéologiques : prudent et pragmatique dans la conduite des relations internationales, le maître du Kremlin était hanté par la crainte que Londres, en dépit de ses garanties, n’abandonnât la Pologne comme elle l’avait fait pour la Tchécoslovaquie, facilitant ainsi une agression allemande sur le front oriental. En même temps, il avait pleinement conscience que, en cas d’incapacité de la Grande-Bretagne à répondre à une invasion allemande de la Pologne, l’Allemagne pouvait violer un éventuel accord et poursuivre sa poussée vers l’est. Ce pronostic le conduisit à tenter désespérément de convaincre la Grande-Bretagne de remplacer les garanties unilatérales accordées à la Pologne par une alliance militaire contractuelle entre la Russie et l’Occident. Ce qui ne l’empêcha pas de sonder l’Allemagne.
Pendant les négociations, qui traînèrent presque cinq mois, Londres et Moscou explorèrent différentes possibilités d’accords. Au cours des années 30, l’Union soviétique voulait obtenir sa sécurité à travers l’établissement d’une zone tampon comprenant, du nord au sud, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, et ce par le biais d’accords d’assistance mutuelle avec ces Etats, soutenus par l’Angleterre et la France. Ces projets avaient pour caractéristique principale de définir sans ambiguïté les mesures militaires à prendre par chacun des belligérants une fois la guerre déclenchée. Et ils supposaient une véritable menace allemande et l’inévitabilité de la guerre.
Cette démarche reposait sur des renseignements fiables arrivés sur le bureau de Staline. L’information la plus importante apparut en août 1938 : une source sûre, implantée chez Hermann Göring, décrivait avec force détails les plans militaires de l’Allemagne présentés par le maréchal du Reich au maréchal Gerd von Rundstedt, le commandant du groupe d’armées qui allaient envahir la Pologne, et aux autres officiers supérieurs. La cible était clairement l’Est : « L’Allemagne, précisaient-ils, n’a pas besoin de colonies en Afrique, mais en Europe de l’Est ; elle a besoin d’un grenier = l’Ukraine (6). »

« Effet apaisant » et dissuasion

A partir de mai 1939, Staline reçut un flot constant de renseignements sur les intentions de Hitler d’attaquer la Pologne sans se soucier des réactions occidentales. Les Allemands semblaient penser que la guerre resterait localisée, et cela dut inquiéter particulièrement Staline, qui ne comptait guère sur l’intervention de la Grande-Bretagne et de la France avant le déclenchement des hostilités (7).
Les garanties données par Londres à la Pologne, que Staline interprétait correctement, tentaient de préserver les principes fondamentaux de la politique d’« apaisement » à l’égard de Hitler en cherchant à dissuader les Allemands. Elles ne pouvaient donc satisfaire les besoins fondamentaux de la sécurité soviétique. Dès le début, Lord Halifax, le secrétaire au Foreign Office britannique, souhaita une coopération russe limitée à une fastidieuse déclaration selon laquelle, « en cas d’agression contre un voisin européen de l’Union soviétique et auquel ce pays résisterait, l’assistance du gouvernement soviétique serait accordée si le désir en était exprimé et serait fournie suivant le mode le plus approprié ». Il en attendait « un effet apaisant sur la situation internationale (8) », « effet apaisant » étant ici synonyme de dissuasion.
Lord Halifax évolua à pas comptés au cours de l’été 1939 pour tenir compte des demandes soviétiques. Mais une telle alliance se révéla difficile à conclure, en raison du refus des Polonais d’envisager ne serait-ce qu’un transit des troupes soviétiques sur leur territoire en cas de guerre, et de la répugnance de Londres à reconnaître l’Union soviétique comme son principal allié en Europe orientale.
La position rigide de la Grande-Bretagne conduisit Staline, par pur calcul, à explorer une autre voie à travers le dialogue avec les Allemands. La décision finale s’imposa pratiquement à lui le 19 août 1939, lorsqu’il reçut un remarquable rapport de renseignement sur les objectifs de Hitler à long et à court terme. Selon ce rapport, le Führer était déterminé à « résoudre » le problème polonais quel qu’en fût le coût, sans se soucier d’avoir à combattre sur deux fronts. Il comptait sur l’URSS pour « conduire des négociations avec [Berlin], puisqu’elle n’a aucun intérêt dans un conflit avec l’Allemagne et qu’elle n’est pas moins inquiète d’être vaincue au nom des intérêts de l’Angleterre et de la France ». Ceux qui entretiennent l’idée d’une communauté de destin nouvellement formée entre Moscou et Berlin devraient le noter : bien que préconisant « un nouveau Rapallo, étape d’un rapprochement et d’une collaboration économique avec Moscou », le rapport soulignait la nature éphémère de ce « second Rapallo », qui devait être poursuivi « pendant une période limitée » d’environ deux ans (9). Staline ne pouvait donc l’ignorer.
En fait, depuis Munich, les Allemands maîtrisaient manifestement les événements. Loin de pouvoir lancer une agression contre eux, Staline — comme d’ailleurs les Britanniques — devait répondre à des demandes allemandes équivalant à un ultimatum. De son épais crayon bleu, Staline souligna le « conseil » de Hitler d’accepter la proposition d’accord, car le comportement de la Pologne à l’égard de l’Allemagne était tel qu’ « une crise pouvait avoir lieu n’importe quand ». Hitler commentait plus loin qu’il serait prudent pour Staline de « ne pas perdre de temps (10) ». L’alliance trouva sa justification lorsque Staline comprit que la délégation militaire franco-britannique, arrivée à Moscou par bateau au cours de la deuxième semaine d’août, était dépourvue d’instructions et ne disposait d’aucun pouvoir. Elle devait, en permanence, consulter Londres et Paris.
Staline exploita les occasions à chaque fois qu’elles se présentèrent. Pendant la majeure partie des années 30, cherchant ainsi à protéger la Russie d’une guerre désastreuse, il adhéra à la politique de sécurité collective jusqu’à ce que, à la fin de la décennie, il ne croie plus à son succès. Sachant que le maître du Kremlin soupçonnait en permanence — et de manière compréhensible — la Grande-Bretagne et l’Allemagne de vouloir se réconcilier, on peut douter qu’il ait considéré le pacte germano-soviétique comme une garantie sérieuse des frontières occidentales de la Russie. Loin de conduire à une fraternité « par le fer et le sang » avec l’Allemagne, ou à la renaissance du rêve depuis longtemps oublié d’une expansion sans limite, ce pacte reflétait surtout la relative faiblesse de la Russie et la claire conscience qu’elle serait forcée, au bout du compte, d’affronter l’Allemagne sur le champ de bataille. Staline opta pour le moindre des deux maux.
La condamnation des historiens révisionnistes est inspirée par un jugement moral sur les protocoles secrets qui permirent la division de la Pologne et l’occupation des pays baltes. Mais, dans leur jugement, les historiens se doivent de saisir l’esprit du temps. Comme l’a observé un spécialiste avisé, « le Kremlin menait une diplomatie qui n’était ni morale ni idéologique. La politique de Moscou, comme celle des démocraties, n’était ni pure et noble ni diaboliquement rusée  (11) ».

Gabriel Gorodetsky
Historien, directeur du Centre russe, université de Tel-Aviv, auteur du livre : Stalin and the German Invasion of Russia, Yale University Press.


NOTES
 
(1) Pour trouver une approche similaire à celle du film cité, voir Evgueni Gnedin, Katastrofa i vtoroe rozhdenie, Fond im. Gertsena, Amsterdam, 1977, et, dans une version plus subtile, Jiri Hochman, The Soviet Union and the Failure of Collective Security, 1934-1938, Ithaca : Cornell University Press, Londres, 1984, pp. 124 et 171. Voir aussi Vojtech Mastny, Russia’s Road to the Cold War : Diplomacy, Warfare and the Politics of Communism (1941-1945), Columbia University Press, New York, 1979, et Robert Tucker, Stalin in Power : The Revolution from Above, 1928-1941, Norton, New York, 1990, chapitres 10-21.
(2) Cité dans l’excellente analyse de ces contacts élaborée sur la base des archives russes in N. A. Abramov et L. A. Bezymensky, « The Special Mission of David Kandelaki », Voprosy Istorii, n°s 4-5, 1991, Moscou, p. 152.
(3) Ingeborg Fleischauer, Der Pakt : Hitler, Stalin und die Initiative der deutschen Diplomatie, 1938-1939, Ullstein, Berlin, 1990, et Geoffrey Roberts, The Unholy Alliance : Stalin’s Pact with Hitler, Tauris, Londres, 1989, chapitre 5.
(4) Voir le travail, qui fait autorité, d’Anita Prazmowska, Britain, Poland and the Eastern Front, 1939, Cambridge University Press, 1987, et son article « The British Guarantee to Poland of March 1939 », European History Quarterly, n° 14, 1984.
(5) E. L. Woodward (sous la direction de), Documents on British Foreign Policy, 1919-1939, 3e série, vol. V, Londres, 1952, p. 104.
(6) Archives privées de Dimitri Volkogonov, « The Estimate of the Intelligence Services of the General Staff on the Plans and State of the Armed Forces and the Possible Outbreak of World War II ».
(7) Archives militaires de la Fédération de Russie (AMFR), 9157/2/350-360, « Information de Proskurev à Staline sur les plans allemands d’agression obtenus par Kleist », 17 mai 1939.
(8 Documents on British Foreign Policy, 1919-1939, 3e série, vol. V, pp. 205-206.
(9) AMFR, 9157/2/418- 431. L’interception des télégrammes de Werner von Schulenburg, ambassadeur allemand à Moscou, qui étaient ainsi fournis à Staline confirma l’information. Voir par exemple 9157/2/447, 453-454.
(10) Dimitri Volkogonov, Stalin : Triumph and Tragedy, Grove Weidenfeld, New York, 1991. Voir aussi « Alternativy 1939-go », Izvestia, 21 août 1989. Une autre interprétation éclairante est « Ribbentrop- Molotov », Voprosy Istorii Kpss, n° 8, 1988.
(11) Teddy J. Uldricks, « Evolving Soviet Views of the Nazi-Soviet Pact », in Richard Frucht (sous la direction de), Labyrinth of Nationalism : Complexities of Diplomacy, Slavica Publishers, Colombus, Ohio, 1992, pp. 331-360.