Plongée dans la galaxie des pro-russes français



https://www.atlantico.fr/decryptage/993540/plongee-dans-la-galaxie-des-pro-russes-francais-philippe-migault-et-alexandre-del-valle-et-olga-bronnikova

 
Cet article datant du 28 février 2014   .......  mérite d'être "actualisé".
Il décrypte les diverses "filiations"  de la "russophilie", dont celle des descendants de l'émigration blanche,  mais laisse apparaître une idéologie sous-jacente  plutôt russophobe.
J.M



Atlantico: En France, qui sont les partisans de la cause russe et pourquoi ? Quel est leur profil idéologique et politique ?

Olga Bronnikova : Il faut déjà se demander ce qu'est une "cause russe". Que ce soit les partisans du pouvoir actuel en Russie ou les opposants, tous deux sont présents en France et tous deux pensent défendre la cause russe. Ce sont les deux pôles qui ont émergé à la suite des élections de 2011 qui ont été truquées. Leurs positions sont pourtant  bien évidemment très différentes. Ici, il ne s'agit pas des journalistes, activistes, politiques, chercheurs français mais des russes ou des Français d'origine russe habitant en France. Ce sont les deux positions politiques qui se sont exprimées publiquement, souvent par le biais des médias français. Ils se structurent, en ce qui concerne les migrants russes et les français d'origine russe, autour du Conseil de coordination des compatriotes russes. C'est une organisation non enregistrée qui fait l'intermédiaire entre les autorités russes et ce que la politique russe définit comme compatriotes de Russie. C'est un projet qui a émergé  en Russie dans les années 1990 et qui s'est intensifié à partir de 2006. Cette politique s'adresse aux russes ou aux personnes liées d'une façon ou d'une autre à la Russie et qui résident à l'étranger. A la suite de cette politique, ont été créés dans différents pays des conseils de coordination des compatriotes russes dont un existe en France depuis l'automne 2011. Les membres de ce conseil ont été élus. Ce conseil de coordination des  compatriotes soutient publiquement la ligne directrice de la politique contractuelle. Celui qui est le plus présent dans le cercle médiatique français est le président de ce Conseil qui est également président à la Russie d'aujourd'hui : Dimitri de Kochko. Il s'exprime sur le fait que les médias français éclairent de manière binaire la situation politique en Russie. Ce conseil souhaite améliorer l'image de politique de la Russie en France. Ces membres sont souvent invités aux débats en France, sur France 24 par exemple, pour faire le contradictoire des ONG et des journalistes français qui critiquent la situation politique et le régime politique russe actuel.
On a aussi tout un milieu d'extrême droite en France qui apporte son soutien à la politique russe. Deux associations françaises (Novopole et le Collectif France-Russie) sont présidées par un certain André Chanclu, qui est un ancien membre du Gud (Groupe union défense, ndlr), association étudiante française d'extrême droite qui a été très active dans les années 1970. Dans ces associations, ce sont des français qui, eux, soutiennent ouvertement la politique de Vladimir Poutine. Ils sont également liés à des organisations comme Troisième Voix.
Enfin, on a aussi des conférences organisées par des chercheurs français qui invitent des personnalités considérées comme de l'extrême droite en Russie. Une institution russe qui s'appelle l'IDC (Institut  de la démocratie et de la coopération, ndlr) travaille beaucoup avec des personnalités politiques françaises. Elle se présente comme une ONG mais émane de ce qu'on peut appeler le soft-power russe. C'est une institution présidée par Natalia Narotchnitskaïa, qui elle-même dans les années 1990 était dans le parti nationaliste. Elle, au centre de cette institution, organise plusieurs débats qui doivent aborder des questions d'actualité en France et en Russie. Il n'y a pas longtemps ils ont organisé une table ronde sur les questions de la famille en France et en Russie. Du côté russe, des politiques très contestables étaient invités, notamment ceux qui ont proposé la loi contre l'homosexualité. Du côté français, des membres de la Manif pour Tous étaient conviés.

Alexandre Del Valle : On parle des pro-russes en France qui ne veulent pas donner dans la critique de la Russie, dans la Russophobie, dans la diabolisation de la Russie, et on les retrouve dans plusieurs milieux. Premièrement, les plus raisonnables et les plus constants, ce qui agissent d'un point de vue politique français, sans extrémisme, non sulfureux, sont les gaullistes et les souverainistes en général. Que ça soient des souverainistes à la Philippe de Villiers, des souverainistes à la Charles Pasqua ou des souverainistes à la Jean-Pierre Chevènement, on retrouve ces milieux gaullistes ou souverainistes, à droite comme à gauche. Parmi les gaullistes, on se souvient du général Gallois, un grand stratège français qui était très pro-russe. Il était le conseiller de Charles De Gaulle pour les décisions géopolitiques. D'ailleurs, beaucoup de grands géopoliticiens sont plutôt pour une alliance avec la Russie. De Gaulle y tenait beaucoup. Les gaullistes, les militaires, les grands résistants, ont souvent cette position. A gauche on retrouve plutôt les chevènementistes. Bien que différents, ils ont des points communs avec les gaullistes, notamment la grandeur de la France qui passe par une alliance avec l'allié russe et qui permet de ceinturer à la fois l'Allemagne et de contrecarrer les anglo-saxons.
Ceux qui sont pour la Russie mais non d'un point de vue politique sont tous ceux de l'école de géopolitique de ce qu'on appelle la Grande Europe.  La Grande Europe est le contraire de l'Union européenne actuelle et qui était basée sur une coopération des Etats. Ce sont donc des géopolitologues d'inspiration gaulliste bien que non politisés. On parle souvent de Paris-Berlin-Moscou. Cette alliance serait la colonne vertébrale d'une grande Europe des nations qui serait une construction européenne différente de celle d'aujourd'hui. Elle serait basée sur la défense de l'Etat souverain mais qui serait d'accord pour coopérer dans le cadre d'une Europe forte fondée sur la civilisation et l'intérêt des Etats. C'était le projet de Fouchet, également conseiller de De Gaulle.
Poutine est adepte d'une Europe souple, c'est-à-dire qui ne soit pas une construction européenne de type fédéraliste ou confédéraliste. Il est pour une grande Europe qui fasse contrepoids aux Etats Unis et c'est pour ça qu'on trouve avec lui des gens qui sont des souverainistes de gauche comme de droite. On trouve aussi des gens de l'extrême droite et des populistes. Mais en général c'est quand même plus des milieux gaullistes que souverainistes qui trouvent un écho en Russie. L'idée à la mode est de créer une Europe eurasiatique c'est-à-dire une Europe continentale, contre l'Europe occidentale atlantiste, et les russes plaident pour un monde multipolaire dans lequel l'Europe serait une alternative à l'Europe Atlantique. C'est pour ça que les souverainistes et les gaullistes qui sont souvent hostiles à une définition purement atlantique de l'Europe, ne sont pas contre l'alliance atlantique, ils veulent bien être un allié des américains mais ils ne veulent pas que l'Europe soit un vassal des Etats-Unis. Pour que l'Europe soit forte, elle doit forcément s'allier avec la Russie.

Philippe Migault : Quelques précisions d’abord. Il y a à coup sûr en France des "partisans de la cause russe" comme il y en a de la cause israélienne, de la cause palestinienne, de celle de l’environnement ou des femmes. Mais il y a une sensible différence entre la première et les autres : Je serai bien en mal - et bien des Russes aussi je pense - de vous dire ce qu’est "la cause russe"… Car le discours officiel russe est si protéiforme que chacun peut s’en réclamer peu ou prou. Vous pouvez considérer que la "cause russe" est indissociable de l’Europe ou, a contrario, estimer que la Russie se détourne de nous avec raison pour s’orienter vers la région Asie-Pacifique, bien plus dynamique. Vous pouvez être violemment hostile à la Russie parce que vous êtes gay et considérez qu’elle foule aux pieds les droits de sa communauté homosexuelle, tout en étant en phase avec elle lorsqu’elle insiste sur la nécessité de bâtir un monde multipolaire, ce qui est d’ailleurs la position traditionnelle de la diplomatie française. Par ailleurs on entend de plus en plus souvent revenir les qualificatifs de "russophile" ou de "pro-russe". Mais cela ne veut rien dire non plus. Nous ne sommes plus à l’époque de l’URSS et des compagnons de route. La Russie ne se veut pas l’agent propagateur d’une idéologie ou de valeurs soi-disant universelles vouées à conquérir le monde. Elle défend ses positions et sa vision, que l’on partage ou pas, comme tout Etat sur la scène internationale. Certains Français sont sensibles à tout ou partie de son discours. Cela n’en fait pas nécessairement des "pro-russes", même si certains choisissent de se définir comme tels.
Cependant votre question est importante dans la mesure où un parfum de néo-maccarthysme l’enveloppe de plus en plus. Je résume : si vous êtes étiqueté "pro-russe" cela signifie pour certains que vous êtes "Poutinien". Et ce raccourci n’a rien d’innocent. Car celui ou celle qui est désigné comme tel est considéré comme se plaçant sur la même ligne que Marine Le Pen, qui a exprimé à plusieurs reprises son approbation vis-à-vis de la politique du Kremlin. Bref, dans ce débat comme dans d’autres, on tente de décrédibiliser l’hérétique en le diabolisant. Ce n’est plus le point Godwin, c’est le point Poutine. Or il est aussi caricatural de tenir exclusivement des discours négatifs sur un pays que de coller des étiquettes à ceux qui ont vis-à-vis de lui une position hétérodoxe. Car les "partisans de la cause russe", je reprends vos termes par facilité, n’ont pas de profil idéologique et politique type.
Promenez- vous sur les réseaux sociaux et vous verrez qu’il y a de tout. Des partisans du Front National certes,  une collègue de l’IRIS, Magali Balent a d’ailleurs écrit sur ce sujet.  Mais vous avez aussi des gens d’extrême-gauche, minoritairement par nostalgie de l’Union soviétique, surtout par désir de s’opposer aux Etats-Unis et à l’ultra-libéralisme. Vous avez des personnes issues de l’immigration qui considèrent qu’une Russie forte est nécessaire pour contrebalancer la politique étrangère américaine et son interventionnisme au Moyen-Orient. Vous avez des gens proches du Parti socialiste, d’autres proches de l’UMP… S’il y a une "cause russe", elle transcende les clivages partisans. 
Les sympathisants de la Russie s'apparentent souvent au courant de la droite souverainiste, à l'image de Thierry Mariani qui a récemment publié une tribune pro-russe dans le Figaro. Pourquoi ces affinités ? Souverainisme, conservatisme, attachement à la nation et à l'autorité,... Est-ce autant de positons politiques qui impliquent de facto un attachement à la position russe ? 

Olga Bronnikova : L'extrême droite française soutient beaucoup plus le régime actuel russe que les milieux d'extrême droite en Russie. Pour eux, d'après ce qu'ils disent en tout cas via les articles publiés dans Troisième Voix et les manifestations de soutien à la politique de Poutine, la Russie représente le dernier pays en Europe qui a choisi de protéger sa souveraineté contre la présense américaine. C'est donc, pour eux, un modèle à suivre pour la France. La France devrait s'allier davantage à la Russie pour s'opposer à l'influence américaine en Europe.

Alexandre Del Valle : Non, pas forcément de facto. Les conservateurs de droite, les ultra-conservateurs populistes ou de droite, les néo-conservateurs américains, comme les libéraux conservateurs en Europe (qu'on retrouve en Angleterre, en Pologne, en Ukraine, en Irlande, en Espagne, etc.), peuvent aussi lutter contre la Russie tout en étant à pour l'autorité et pour des valeurs ultra-conservatrices.  On retrouve des gens très à droite, voire populistes, mais qui sont pro-américains et qui sont pour une politique de diabolisation de la Russie. Ce n'est donc pas automatique. 

Philippe Migault : J’ai eu l’occasion d’entendre Jean-Pierre Chevènement s’exprimer à Moscou il y a quelques temps. Son discours insiste sur la nécessité stratégique, économique, industrielle, de renforcer les liens entre la Russie et la France. Il est très apprécié des Russes et je pense d’ailleurs que François Hollande ne l’a pas nommé à ce poste par hasard.  A ma connaissance il peut sans doute être qualifié de souverainiste, surement pas de partisan de la droite souverainiste. Certes Thierry Mariani appartient davantage à cette sensibilité. Mais qu’en est-il de François Fillon ? C’est à lui que l’on doit le rapprochement entre Sarkozy et Poutine. Est-il de droite souverainiste ?  Je ne pense pas non plus.
Cependant il est évident que pour les gaullistes, je ne désigne par-là aucun mouvement politique car sur ce point aussi nous sommes au-delà des clivages traditionnels, la politique de coopération avec Moscou est une donnée traditionnelle de la diplomatie française qu’il faut pérenniser, parce que la France est libre de ses amitiés, n’a de compte à rendre à personne et qu’ainsi elle est plus forte. Aujourd’hui Soyouz est lancé depuis Kourou. Les salariés de STX à Saint-Nazaire doivent partiellement la sauvegarde de leur emploi à la commande russe de deux navires Mistral. A plusieurs reprises le gouvernement français a insisté sur la nécessité d’attirer davantage d’investisseurs russes en France afin de rééquilibrer un peu une balance commerciale qui entre nos deux pays penche largement en faveur de Moscou. Je crois savoir qu’Arnaud Montebourg s’est battu sur plusieurs dossiers pour que des investisseurs russes reprennent des actifs industriels français et sauvent de l’emploi en sauvant certains pans de notre industrie. C’est cela qu’il faut faire. Ce n’est pas en traitant régulièrement les Russes ou le Kremlin de tous les noms, en considérant systématiquement tous les investisseurs russes comme des mafieux, que nous défendrons nos intérêts. 
Le site La Voix de la Russie diffuse depuis des années, dans la lignée de Radio Moscou, des informations favorables au gouvernement de Moscou. Quelles personnalités gravitent autour de ce site ?

Olga Bronnikova : Gravitent autour de ce site des personnes liées au Conseil de coordination des compatriotes. Dimitri de Kochko y est un membre influent. En ce qui concerne le volet français de la Voix de la Russie, ils publient beaucoup de compatriotes de Russie qui habitent en France. Certains articles sont assez critiques de la situation en France. La question est de casser si on peut un certain nombre de clichés sur la vie formidable en France pour montrer les réalités et expliquer que la situation sociale et politique en Russie n'est pas si mauvaise que ça.

Alexandre Del Valle : C'est un média qui est composé de gens très favorables à la Russie. C'est un choix géopolitique. Mais il y a des partisans de plein d'autres pays qui ont aussi des sites. En France on trouve des sites qui défendent Erdogan ou encore le Che Guevara. Même Jacques Attali défend à chaque conférence et dans chaque livre le régime communiste chinois qui est bien pire que la Russie. Et c'est intéressant de voir qu'on diabolise moins ceux qui encensent la Chine qui est la mode aujourd'hui que ceux qui défendent la Russie. S'il y avait Les Voix de la Chine ou Les Voix du Qatar, je pense que personne ne s'indignerait et ça ne ferait pas les Unes des médias.
Quels sont les autres profils des pro-russes en France ? La défense de la cause russe est-elle compatible avec l'atlantisme et/ou le libéralisme ?

Olga Bronnikova : C'est tout à fait compatible avec le libéralisme. Les compatriotes sont des personnes qui peuvent avoir des visions libérales en ce qui concerne l'économie et la politique. Ils se battent pour le monde multipolaire donc ils pensent que la question de la politique russe est assez mal éclairée en France et toujours présentée de manière perverse. Ils se battent pour améliorer l'image de la Russie, pour expliquer que la Russie fait partie de l'Europe, pour dénoncer les questions autour de l'opposition à la Russie.
Quant à l'extrême droit française, on peut difficilement les définir en tant que libéraux et atlantiques.
Mais on a aussi des membres de la droite libérale en France qui peut tout à fait soutenir un certain nombre de projets en Russie. Ils vont soutenir  des points précis, des questions particulières sur les liens économiques qui existent entre la Russie et la France, pour promouvoir les partenariats entre les entreprises. Ces associations s'inscrivent largement dans la ligne libérale.
Si on prend organisation par organisation :
L'IDC s'oppose au libéralisme économique et défend un conservatisme politique. Les membres du Conseil de coordination des compatriotes peuvent partager l'idée du libéralisme économique, tout en étant plus conservateurs en ce qui concerne la politique et la société. Les organisations d'extrême-droite française, Novopole et Collectif France-Russie, s'opposent au modèle libéral des Etats-Unis et soutiennent entièrement la politique du Kremlin.
Ca dépend donc de qui on parle et d'où on parle. 

Alexandre Del Valle : Il y a tout une communauté de "russes blancs" qui ont fui la Russie soviétique et qui deviennent pro-russes maintenant que la Russie n'est plus soviétique. Ce sont des gens milieux influents, des personnes qui ont une bonne situation, financière et intellectuelle, héritiers de grandes familles russes nobles. Les russes blancs en France et en Europe sont influents et sont souvent derrière des médias, des conférences et des initiatives de défense de la Russie. On en retrouve même dans l'association le dialogue franco-russe. Ils sont actifs, pas forcément politisés. Leur but est de donner une chance à la Russie post union soviétique.
C'est mon plaidoyer, oui. Comme le pensait certains berlusconiens en Italie et certaines tendances d'une droite raisonnable en Europe, on peut allier certains contraires car le monde a changé. Dans l'avenir, il ne faut pas voir la Russie comme un ennemi de l'occident. Il faudra de plus en plus de partenariats entre l'occident et la Russie. On n'est pas forcément obligé de raisonner en termes de guerre froide, les temps ont changé, un jour on pourra voir une Russie se rapprocher de l'occident à condition que l'occident cesse de diaboliser la Russie.

Philippe Migault : Sur le premier point j’ai été explicite, il y a pléthore de profils parmi ceux que vous qualifiez de pro-russes.
Sur le second point oui, l’amitié avec la Russie est sans doute compatible avec l’Atlantisme  - quand celui-ci ne tourne pas au lien de suzerain à vassal - et avec le libéralisme, quand celui-ci est tempéré par une saine réglementation et ne creuse pas sans cesse davantage les inégalités. Ce n’est donc pas la Russie mais la nature de l’Atlantisme ou du libéralisme qui posent problème.
Je rappelle qu’en décembre 1991 Boris Eltsine faisait de l’adhésion à l’OTAN un "objectif à long terme" et que son ministre des affaires étrangères, Andreï Kozyrev, considérait en 1990 l’entrée de la Russie dans l’Union européenne comme "la question principale". Nous étions à une période charnière où James Baker, François Mitterrand et Mikhaïl Gorbatchev parlaient de "l’espace commun Vancouver-Vladivostok". Cela signifiait que l’OTAN aurait reposé sur deux piliers de part et d’autre de l’Atlantique et du détroit de Béring, constituant un ensemble géopolitique en mesure d’imposer la paix à quiconque d’un haussement de sourcil. Nous étions alors sans doute quelques millions à penser naïvement que l’histoire n’était peut-être pas finie, comme le prétendait Fukuyama, mais que cette "guerre civile européenne", dont on nous parlait à l’école dans les années 70, venait de connaître son dernier épisode, la fin du communisme complétant la réconciliation franco-allemande. Ce rêve s’est envolé, toutes les occasions de lui donner corps ont échoué. Mais ce n’est pas, loin s’en faut, la faute des Russes seulement. Nous les avons traités en vaincus de la guerre froide, avons répondu à leurs mains tendues par des diktats de Bruxelles, du FMI ou de la Banque mondiale. Or s’il y a une erreur à ne pas commettre - et je pense que nous devrions particulièrement nous en souvenir en ce moment - c’est de s’imaginer qu’on puisse imposer des diktats aux Russes.

Propos recueillis par Marianne Murat